Billie, jeune Afro-Américaine introvertie, garçon manqué, un œil en moins, décide de braquer une banque pour aider ses parents dans le besoin. La situation tourne au fiasco et elle prend en otage Franny, 18 ans, enceinte jusqu’aux dents, un caractère bien trempé et plus rien à perdre. Ensemble, elles se lancent dans une cavale électrique à travers les grands espaces américains, en quête d’un avenir meilleur. C’est le pitch de « Silver Star », le dernier road movie signé Ruben Amar et Lola Bessis en ce moment en salle obscure : ce duo au travail et dans la vie nous raconte les coulisses d’un tournage haut en couleur…
Silver star donne l’impression d’être un remake du mythique « Thelma et Louise » : c’est le cas ?
Ah c’est marrant que vous l’ayez vu comme cela. Non ce n’est pas du tout un remake, Thelma et Louise n’était même pas une inspiration pour nous, même si c’est un film mythique et que nous accueillons la comparaison avec plaisir.
Nous avons un peu l’impression que l’on manque si cruellement de représentations de femmes au cinéma que le simple fait de faire un film sur deux femmes badass sur la route engendre la comparaison avec le film de Ridley Scott, alors qu’il y a des centaines de road-movies avec deux hommes.
Cela fait très longtemps que nous n’avons pas revu Thelma et Louise mais on en garde un vrai souvenir de modernité, de girl power, une certaine ambiguïté entre les deux personnages, que l’on retrouve chez Silver Star, mais nous plaçons notre récit dans une Amérique de Trump fracturée où les violences raciales et les disparités sociales font partie d’un décor encore plus rugueux que les montagnes de l’Arkansas.
Au-delà du contexte politique actuel, on puise nos inspirations dans le cinéma du Nouvel Hollywood où l’on suit souvent de manière plus intimiste des duos un peu bancals et cabossés qui traversent l’Amérique. L’Épouvantail de Schatzberg, Midnight Cowboy, ou plus récemment Buffalo ’66 de Vincent Gallo. Il y a aussi Wanda de Barbara Loden qui dresse un portrait brut d’une jeune mère. On s’est aussi inspiré de photos documentaires, notamment de Mary Ellen Clark ou de Brenda Ann Kenneally.
Vous travaillez en tandem sur la réalisation de ce long métrage : vous qui partagez aussi votre vie, avez un petit garçon, comment travaillez-vous ensemble ?
Travailler ensemble est devenu notre manière naturelle de faire des films. On écrit, on réalise et on produit à deux depuis plus de quinze ans, donc on a développé une façon de collaborer très fluide. On discute énormément avant le tournage, parfois jusqu’à l’obsession, ce qui nous permet d’arriver sur le plateau avec une vision vraiment commune. Depuis qu’on a un petit garçon, notre manière de nous organiser et de nous épauler s’est encore renforcée, dans le travail comme dans le quotidien.
Pour Billie et Franny, c’était exactement la même dynamique. On les a construites ensemble, scène après scène, sans jamais se répartir les personnages. Il y a vraiment beaucoup de nous deux dans les deux héroïnes : des bouts de notre caractère, de nos contradictions, de nos sensibilités. Quand on regarde le film aujourd’hui, on se retrouve un peu partout, parfois dans des détails, parfois dans des réactions, et c’est assez beau de voir à quel point les personnages nous ont absorbés tous les deux.
Sur le plateau, tout se mélange. On se complète énormément et on est interchangeables quand il le faut. Ce qui compte, c’est que les actrices sentent qu’on porte le film ensemble et qu’on parle d’une seule voix.
Mais aujourd’hui on a aussi une envie d’indépendance, de récits qui divergent. Et depuis qu’on a un enfant, il est difficile de s’imaginer s’absenter simultanément en tournage, donc cela pourrait bien nous pousser à réaliser séparément, mais tout en continuant à collaborer sur les différentes étapes.
Le casting de Silver Star fait la part belle aux femmes : deux nanas badass incarnées par Troy Leigh Anne Johnson et Grace van dien qui d’ailleurs crève l’écran en bimbo enceinte terriblement attachante. Pourquoi les avoir choisies elles ?
Le casting a été un processus très long, parce qu’on ne voulait pas se tromper. On cherchait vraiment deux jeunes femmes capables de porter un duo très contrasté, avec chacune une identité forte, et surtout une vraie complémentarité à l’écran.
Pour Grace Van Dien, ça a été un chemin assez inattendu. On avait vu énormément d’actrices pour Franny — littéralement tout Hollywood entre 18 et 25 ans — mais on n’arrivait pas à trouver cette singularité qu’on cherchait. Et un jour, presque par hasard, Lola est tombée sur une annonce pour la nouvelle saison de Stranger Things. On a regardé qui jouait dedans, on a “googlisé” Grace… et il y avait chez elle quelque chose d’étonnamment décalé, un mélange de fraîcheur, de culot et de drôlerie qu’on avait envie d’explorer. Quand elle nous a envoyé son audition, ça a été une évidence. Et les premiers essayages costumes ont confirmé qu’elle était Franny, totalement.
Pour Troy Leigh-Anne Johnson, c’est un autre type d’évidence. On avait besoin d’une présence très particulière pour Billie : quelqu’un qui puisse dire énormément avec un regard, un silence, une retenue. On a vu des dizaines d’actrices, et puis un soir, on reçoit une salve de self-tapes. Lola lance la première, et avant même de voir son visage, juste en entendant sa voix, on s’est regardés : on avait trouvé Billie. Elle a une intensité, une douceur et une force intérieure qui font exister le personnage immédiatement.
Ce qui nous a séduits chez elles deux, au-delà du talent, c’est leur capacité à se transformer et à embrasser toutes les contradictions des personnages. Dès le premier jour de tournage, on a senti qu’on tenait un duo qui allait porter le film.

Les aventures que vivent les deux jeunes femmes sont assez rocambolesques : on peut imaginer qu’il en a été de même pour le tournage !
Oui, le tournage a été aussi mouvementé que les aventures de Billie et Franny. Une anecdote marquante, c’est toute la partie en voiture : on n’avait aucun dispositif classique pour filmer, donc tout se faisait en caméra embarquée… et Lola était enceinte de sept mois. Elle était littéralement cachée dans le coffre avec le combo et l’ingé son pendant que les actrices jouaient à l’avant.
On tournait en plein hiver, sur des routes gelées, la caméra bougeait dans tous les sens, et pourtant, c’est là qu’on a capté certaines des scènes les plus fortes du film. On improvisait énormément, on s’adaptait au réel à chaque seconde. C’était un mélange de chaos et d’adrénaline, mais ce côté brut est devenu la signature du film.
Quelle a été votre plus grande peur pendant le tournage ?
Notre plus grande peur, c’était de ne pas réussir à tenir le film avec un dispositif aussi léger. On tournait en plein hiver, avec très peu de matériel, beaucoup de scènes en voiture, et un planning extrêmement serré. Tout reposait sur l’énergie des actrices, sur la météo, sur notre capacité à improviser au bon moment. On avait parfois l’impression d’être en équilibre permanent, comme si le moindre imprévu pouvait tout faire basculer. Mais paradoxalement, c’est aussi ce vertige-là qui donnait sa force au tournage. Chaque jour était un défi, et c’est ce qui a créé cette intensité qu’on retrouve aujourd’hui dans le film.
Et votre plus grande surprise sur le tournage de Silver Star ?
Notre plus grande surprise, ça a été la complicité immédiate entre Grace et Troy. Elles ne se connaissaient pas, elles venaient de deux univers très différents, et on ne savait pas comment ce duo allait fonctionner dans la réalité. Et dès le premier jour, ça a été évident : elles se sont trouvées, elles ont créé un lien très fort, très instinctif.
Cette alchimie a vraiment porté le film. Beaucoup de scènes ont pris une dimension qu’on n’avait pas anticipée, simplement parce qu’elles jouaient l’une avec l’autre avec une telle sincérité. C’est sans doute la plus belle surprise du tournage.
J’ai pu entendre dans la salle autour de moi, « enfin un film misandre ». Mais il me semble qu’il célèbre surtout les femmes, plus qu’il ne critique les hommes. Je me trompe ?
On ne voit pas du tout Silver Star comme un film misandre, même si les personnages auraient des raisons de l’être. Le film ne cherche pas à taper sur les hommes, il raconte simplement deux jeunes femmes qui essaient de survivre dans un système qui, objectivement, ne leur facilite pas la vie.
Ce qui nous intéressait, c’était de célébrer leur force, leur humour, leur solidarité, leur capacité à avancer malgré tout. On montre des situations où les institutions ou certains comportements masculins sont défaillants, oui, mais ce n’est pas un discours contre les hommes en général.
Le cœur du film, c’est surtout cette complicité inattendue entre Billie et Franny, et la façon dont elles se relèvent ensemble. On a voulu faire un film qui regarde les femmes avec bienveillance, sans les idéaliser, en les montrant dans toute leur complexité.
Que souhaitez-vous au film que vous avez tourné en anglais (ce qui n’est probablement pas un hasard!) ?
Tourner le film en anglais n’est effectivement pas un hasard. Silver Star est profondément ancré dans l’Amérique d’aujourd’hui, dans ses paysages, ses contradictions, ses tensions sociales. On l’a imaginé là-bas, on l’a écrit en pensant à cette langue, à ce rythme, à cette façon de parler très particulière qui influence aussi la manière de jouer et de filmer. Ce qu’on souhaite au film, maintenant, c’est qu’il puisse circuler librement, aller à la rencontre d’un public large, en France comme à l’étranger.
Silver Star est un film indépendant, fait avec peu de moyens mais beaucoup d’énergie et d’amour, et on espère qu’il trouvera sa place, que des spectateurs se reconnaîtront dans ces deux héroïnes qu’on a voulu sincères et humaines.
Tourner en anglais nous a permis d’être au plus près de ce qu’on voulait raconter, et on aimerait que le film vive au-delà des frontières.




