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Hafsia Herzi en route pour la Palme avec La Petite dernière

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J’ai fini en larmes la projection de La Petite dernière présentée cette semaine en compétition officielle du Festival de Cannes. Lorsque les lumières de la salle obscure se sont rallumées, j’ai découvert que j’étais loin d’être la seule. La Petite dernière d’Hafzia Herzi bouleverse la croisette. Son secret ? Un film d’une vérité et d’une pudeur rare, adaptation du roman éponyme de Fatima Daas, qui raconte l’histoire autobiographique d’une jeune femme musulmane pratiquante et lesbienne. Entre une écriture de scénario à conjuguer avec un petit bébé de 9 mois, un an de casting pour trouver les perles rares prêtent à porter le message d’amour, de spiritualité et de liberté de Fatima Daas, des financements difficiles à trouver pour ce sujet encore tabou… Hafzia Herzi a déplacé des montagnes pour aller au bout d’un film qu’elle avait, au départ, peur de réaliser. Mais les obstacles ont toujours été le moteur d’Hafzia. Juste avant qu’elle ne foule le tapis rouge, j’ai pu échanger avec elle sur les coulisses d’un film qui fera date dans l’histoire cinématographique queer…

La Petite dernière est l’adaptation du livre éponyme de Fatima Daas : pourquoi l’avoir choisi comme sujet de ton long-métrage ?

En réalité, ce sont deux productrices qui voulaient me rencontrer pour me proposer de faire l’adaptation de ce roman. A l’époque, j’avais sorti Tu mérites un amour et j’étais sur la fin de réalisation de Bonne mère. Je n’avais pas d’idée de scénario pour la suite, je n’avais encore jamais fait d’adaptation : j’ai décidé de lire le livre de Fatima Daas et d’aviser ensuite. Au départ, je n’étais pas emballée par l’idée d’une adaptation, cet exercice me faisait peur… Mais le roman m’a plu.  

Tu dis que te lancer dans l’adaptation d’un roman te faisait peur, pourquoi ?

Honnêtement, après avoir lu le livre de Fatima Daas, je me suis dit « comment je vais faire ». Je ne voulais pas trahir l’autrice, je voulais rendre honneur à son œuvre bouleversante et pudique. Son sujet est bien trop important : on n’a jamais vu ce personnage au cinéma alors qu’il existe dans la vie.

J’ai vu plein de femmes en casting qui vivent la même chose que Fatima Daas et elles sont nombreuses : plus qu’on ne croit.

Hafzia Herzi

Voir toutes ces femmes, mais aussi me heurter aux difficultés de casting, les difficultés financières aussi car mon film n’a pas beaucoup été financé, ça m’a permis de dépasser ma peur et donné la motivation d’aller au bout.

Quand on lit ce roman, on découvre une écriture très hachée, pudique, une narration sous forme de journal intime par bribes de souvenirs… On visualise difficilement sa retranscription cinématographique : comment as-tu appréhendé ton travail d’écriture pour faire passer l’histoire de Fatima Daas sur grand écran ?

Le livre de Fatima Daas n’a pas été évident à adapter car son écriture est très pudique.

Hafzia Herzi

Dans un premier temps, j’ai rencontré l’autrice qui avait validé le fait que ce soit moi qui réalise l’adaptation de son livre et cela a été une vraie rencontre humaine.

Fatima ne m’a pas donné plus d’informations que ce qu’elle avait écrit dans son livre, mais on a senti toutes les deux qu’on s’était comprise.

Hafzia Herzi

J’ai donc accepté le projet, je me suis dit pourquoi pas tenter et je me suis lancée. Je voulais proposer quelque chose dans la subtilité, dans les non-dits, voilà comment je voyais les choses.

J’ai écrit plusieurs versions que je lui ai partagées à chaque fois, même si ce n’était pas contractuel, car c’était important pour moi de ne pas la laisser à l’écart. C’est son œuvre, j’avais envie de la faire participer.

La Petite dernière ouvre une porte sur le monde lesbien que tu ne connaissais pas avant l’écriture de ce film. Comment t’y es-tu prise ?

Pour La Petite dernière, j’ai infiltré le milieu lesbien car il fallait que je rentre dans les pensées de Fatima, ce qui n’était pas évident pour moi car ce n’est pas ma sexualité.

Hafzia Herzi

Je voulais aller voir sur le terrain, m’immerger dans des soirées lesbiennes, parler avec beaucoup de gens de la communauté. Même si j’ai des amis du milieu queer, je voulais être au plus près de la réalité et ne surtout pas trahir la communauté. C’est mon approche lorsque je travaille sur un projet de film : j’ai besoin de voir et d’être spectatrice de ce que je souhaite ensuite partager sur grand écran. J’ai été très touchée d’entendre des retours comme « C’est bien, il va y avoir un film qui parle de nous et nous met en lumière. » J’ai pu poser toutes mes questions, recueillir toutes les réponses.

Qu’est-ce qui t’a le plus touchée durant cette immersion dans le monde lesbien ?

Ce qui m’a le plus touchée dans mon enquête, ce sont ces personnes queer qui souffrent de cette différence alors que la différence ne devrait pas rimer avec souffrance.

Hafzia Herzi

Je ne dis pas qu’ils souffrent tous, mais l’homophobie et le rejet de certaines familles est une réalité dans notre société. On ne devrait pas être victime de la différence. C’est la nature, ce sont des êtres humains comme tout le monde.

La préparation de ce film et son tournage ont été une magnifique aventure humaine, très émouvante.

Hafzia Herzi

Que penses-tu apporter aux combats LBGTQIA+ avec ton film La Petite dernière ?

Je ne sais pas, c’est très dur encore d’avoir du recul.

Tout ce que je peux dire à ce jour, c’est que j’ai essayé d’être sincère, de filmer sans jugement et avec subtilité : je ne peux pas filmer des gens que je n’aime pas. Par ailleurs, j’ai souhaité que le message soit le plus universel possible : Fatima est lesbienne musulmane, mais cela pourrait être une fille lesbienne catholique, ou un homme…

Et puis en tant que femme qui a grandi en cité, même si je ne suis pas lesbienne, j’ai pu connaître ce sentiment d’être différente aux yeux des autres…

As-tu rencontré des difficultés durant le casting pour trouver des acteurs prêts à incarner ce message si important ?

Je savais que le casting allait être long, car je pressentais qu’il y aurait une résistance par rapport à son sujet qui reste très tabou, alors on l’a lancé pendant mon travail d’écriture et il a duré presque un an.

Beaucoup de personnes n’ont pas souhaité poursuivre le casting lorsqu’ils ont découvert son sujet autour de l’homosexualité et la religion. J’ai vu des personnes se décomposer en audition.

Hafzia Herzi

Je n’insistais pas. Il me fallait des gens qui avaient envie de parler de ces sujets. Leurs réactions m’ont encore plus donné envie de faire ce film.

L’actrice principale qui incarne Fatima est Nadia Melliti. Pourquoi elle ?

Nadia n’avait jamais tourné avant mon film. J’ai eu comme un frisson en voyant ses photos de casting, elle m’en avait envoyé 5 prises à l’arrache. J’ai trouvé qu’elle avait un regard bouleversant, un profil, elle me faisait penser à une Egyptienne. Je l’ai vue trois fois en casting et ça a été une évidence, même si je ne l’ai pas beaucoup vu jouer : j’avais confiance.

Nadia Melliti connaissait le livre de Fatima Daas, alors on a travaillé ensemble, dans la confiance, car ce n’était pas un personnage évident ni pour elle, ni pour moi, ni pour le film.

Hafzia Herzi

On sent une évidence entre Nadia Melliti et Ji-Min Park, qui incarne Ji-na. C’était le couple que tu avais en tête pour La Petite dernière ?

Non, en réalité j’ai réadapté le scénario en fonction d’elles en changeant parfois les émotions des personnages à partir de ce que j’avais pu percevoir chez elles. Nadia et Ji-Min sont assez sérieuses et c’est ce qui m’a plus chez elles : j’aime les personnages mystérieux et c’est ce que j’ai voulu retranscrire dans mon film.

Ji-Min est artiste plasticienne dans la vraie vie, ce sont ses œuvres que le personnage de Ji-na présente à Fatima. Ma rencontre avec Ji-Min est une drôle d’histoire : c’est le réalisateur de Retour à Séoul, David Chou, qui voulait me voir pour me parler d’un projet et en discutant, il m’a montré son film. Dès les premiers plans, j’ai été impressionnée par la présence de Ji-Min. Je n’avais pas imaginé une actrice d’origine coréenne pour mon film, mais j’ai senti le rôle pour elle. Et ça a matché avec Nadia.

Comment s’est passé le tournage ?

Malgré tout, beaucoup de portes se sont ouvertes pour le film.

On a tourné à la mutinerie, dans les lieux où les filles peuvent se retrouver. On a fait appel pour la figuration à des personnes qui fréquentent ces milieux et tout le monde répondait présent. C’est un tournage qui a été très fort en émotion. Pour quelques scènes, j’ai dû demander à certains techniciens qui regardaient le retour caméra de partir car ils étaient beaucoup trop émus. Il fallait que je gère ma concentration, mais c’était beau de voir que l’émotion était communicative.

Ce n’est pas la comédie de l’année ! (rires)

Tu as une relation unique au Festival de Cannes : chacun de tes films y a été sélectionné. Tu mérites un amour à la Semaine de la critique, Bonne Mère à Un certain regard… Et maintenant La Petite dernière en compétition officielle : comment vis-tu cette nomination ?

J’ai été très émue et bouleversée, j’ai mis du temps à réaliser ! Ce sujet est si important, je ne voulais pas qu’il soit mis de côté et ce projet est parti de tellement loin : je me revois en train d’écrire l’adaptation, me demander chaque jour si j’allais être à la hauteur. Et puis j’avais mon fils de 9 mois qui décidait de mon emploi du temps. J’ai très peu dormi pendant cette période, je me réveillais à 4h du matin pour écrire, je ne sortais plus, j’ai sacrifié ma vie sociale.

Je n’imaginais pas que ce serait aussi compliqué d’écrire avec un bébé, de concilier le rôle de mère avec toute la charge mentale que cela implique et celui de scénariste. C’est pour cela que je suis encore plus fière de sa sélection à Cannes.

Hafzia Herzi

Avant d’apprendre la nomination, j’ai passé quelques nuits blanches : j’avais peur de la réponse, je redoutais un refus parce que Cannes, j’en rêve depuis toute petite et j’adore les compétitions.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le film ?

La Palme d’or pour La Petite dernière ! J’aime la compétition et j’aime gagner ! (rires) Si cela arrive, je pense que je tombe dans les pommes… Maintenant il faut que ce film soit bien accueilli. Je suis déjà fière et heureuse de sa sélection au Festival qui met la lumière sur ce personnage si important. C’est pour ce genre d’instant que j’aime faire des films.

Peu importe le destin de La Petite dernière au Festival de Cannes (que je souhaite le plus glorieux possible), il fauDRA aller le voir dès sa sortie en salle cet automne. J’ai beaucoup de peine à trouver les mots justes pour qualifier la beauté de ce film. Je crois que c’est un film qui se vit, tout simplement. Bravo Hafzia…
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