Vous ne la connaissez peut-être pas encore, nous on la découvre tout juste et elle a tout de suite capté notre attention : Kat Pereira, artiste multi-instrumentiste, signe un premier long jeu électro-pop alternatif, « Vert de lichen », composé de 10 chansons et 4 interludes. Une fresque foisonnante où chaque morceau est un univers en soi inspiré du néo-soul, de la pop et de l’électro. Quand on tend l’oreille et qu’on prête attention à ses textes, on découvre une femme engagée et profondément militante qui appelle à la sororité, aux liens, à la lumière qui nous élève. On a demandé à Kat de nous raconter son histoire et les messages cash qu’elle glisse dans ses chansons.
crédit photo de couverture Kat Pereira – Benoît Paillé
Kat tu as fait tout ton parcours collégial et universitaire en jazz : que retiens-tu de ces années , dans un univers très masculin ?
Kat Pereira – Les études collégiales et universitaires en jazz ont été pour moi l’une des premières confrontations concrètes au manque de représentativité dans l’industrie musicale en général. Non seulement il y a un grand manque de diversité raciale, mais aussi de diversité de genres. Dès le début de mon parcours, il était difficile de se projeter dans ce milieu en ne se sentant pas représentée. On a souvent besoin de se voir à travers un modèle pour comprendre que certains rêves sont possibles pour nous aussi.
Je me suis donc accrochée aux musiciennes de jazz que j’ai découvertes par moi-même, et qui ont été de grandes sources d’inspiration pour persévérer dans cet univers très masculin. Parce qu’à l’école, on ne nous expose pas vraiment à la musique faite par des femmes, non pas par manque d’artistes féminines, mais peut-être par manque de curiosité.
KAt Pereira
Ayant débuté mon parcours en guitare jazz, une de mes grandes modèles a été Emily Remler, qui m’a énormément motivée à pousser mon instrument plus loin. Ensuite, j’ai poursuivi mon parcours en piano jazz et des artistes comme Mary Lou Williams, Hiromi, Emie R Rousse m’ont beaucoup inspirée.
Ce que j’ai aussi beaucoup retenu de ces années, c’est que les rares femmes présentes dans le milieu académique et dans l’industrie musicale sont parfois mises en compétition, comme s’il n’y avait qu’un nombre limité de places pour nous. J’ai appris au contraire qu’entre musiciennes, on gagne à s’élever ensemble, parce qu’on se comprend et qu’on veut le meilleur les unes pour les autres. Chaque place obtenue par une musicienne devient une victoire collective.
Finalement, ce parcours, au lieu de me décourager, a nourri en moi un profond sentiment de sororité et le besoin de créer des liens entre artistes féminines, pour se soutenir et évoluer ensemble tout en faisant évoluer le milieu musical.
KAt Pereira
Dans quelle mesure ton parcours académique a eu une influence sur ton projet artistique ?
Kat Pereira – Je dirais que mon parcours académique m’a surtout donné des outils pour traduire plus rapidement en musique ce que j’entends dans ma tête. Il m’a aussi poussée à passer d’innombrables heures par jour avec mes instruments, ce qui m’a permis de développer une vraie fluidité technique et une liberté de création : aujourd’hui, je peux vraiment donner forme à tout ce que j’ai envie de créer.
Ce parcours m’a également influencée dans mon utilisation de rythmiques parfois plus atypiques et d’harmonies plus riches. Cela dit, je me suis beaucoup éloignée du cadre académique, que je trouve parfois étouffant.
J’écris maintenant de manière très intuitive, sans chercher à intellectualiser ma musique. Ça donne des chansons plus accessibles et accrocheuses, mais qui gardent une profondeur et une complexité issues de mon bagage jazz.
Kat Pereira, ta musique aujourd’hui a pris une tonalité très différente avec une forte sonorité électro : comment définirais-tu ton univers ?
Kat Pereira – Mon univers musical est assez éclaté et puise dans plusieurs genres différents. Je dirais que la meilleure façon de le décrire, c’est comme un univers maximaliste et lumineux.
Maximaliste, d’abord, dans l’utilisation de multiples textures : les synthés, les guitares, les traitements sonores, les rythmiques, tout se superpose pour créer quelque chose de dense et vibrant. C’est aussi maximaliste dans l’écriture, des mots chargés d’images, des couleurs sonores qui se succèdent sans cesse.
Et lumineux, parce que, malgré les thèmes parfois plus lourds de certaines chansons, je cherche toujours à créer un moment qui donne envie de bouger, de se connecter à l’autre, dans la joie.
L’univers de mon album est inspiré par la couleur « vert de lichen », qui en est aussi le titre. Comme je suis synesthète, j’associe une couleur précise à chaque note de musique. Dans cette période de ma vie, c’est le vert pâle, le Ré bémol, qui dominait, et cette teinte a guidé mes choix artistiques et musicaux.
Kat Pereira
J’ai écrit presque tout l’album près du fleuve salé, à différents endroits du Nord et de l’Est du Québec. L’iode, la mer, le vent salé, tout cet univers marin m’a énormément inspirée. On le sent dans le champ lexical de l’océan qui traverse les textes. Je ne voulais pas aller du côté doux de la nature, mais plutôt du côté puissant, effervescent, vivant de l’océan, cet univers qui grouille d’énergie.
C’est aussi pour ça que j’ai intégré beaucoup de sonorités électro, pour créer un clash entre le digital et l’analogique, entre la nature et la technologie. Cette tension donne à ma musique une poigne ferme, énergique, vivante et affirmée.

crédit photo Kat Pereira – Benoît Paillé
Kat Pereira, derrière tes mélodies tu souhaites faire passer des messages, j’ai choisi 3 morceaux à décortiquer ensemble :
L’ECUMEUR DES MERS : qui est cet écumeur ?
Kat Pereira – « L’écumeur de mer », c’est d’abord une figure symbolique. La chanson adopte un ton volontairement sarcastique et un peu sassy, comme une forme de refus adressée au f*ckboy typique. Mais derrière cette façade, l’écumeur devient le symbole de toutes les figures de pouvoir qui nous manipulent, nous aveuglent de promesses et transforment nos aspirations en profit.
Parce qu’un écumeur, c’est littéralement un bandit des mers, un voleur et dans ce morceau, c’est la satire de ces f*ckboys du capitalisme à qui on a trop souvent cru, ceux qui ont monnayé notre temps, nos émotions et nos passions au profit de leurs ambitions.
Mais l’écumeur de mer, c’est aussi une réappropriation du pouvoir. C’est la réponse féminine et féministe à ces dynamiques de domination. Dans la chanson, cette figure devient celle d’une force collective, d’une femme qui reprend le contrôle du récit, qui choisit le rythme de sa propre révolte.
C’est une ode à un féminisme intersectionnel, un refus à la fois du patriarcat, du capitalisme et du faux féminisme qui prétend que l’égalité consiste simplement à accéder aux mêmes postes de pouvoir dans un système inchangé.
Kat Pereira
En somme, «l’écumeur de mer», c’est la révolte des “office sirens”, celles qui refusent de jouer selon les anciennes règles et qui réécrivent leur propre histoire.
LES TAMARIS SALES : tu confies que ce morceau est une profonde prise de conscience de tes propres biais colonialistes. De quoi parles-tu exactement ?
Kat Pereira – La chanson « les tamaris salés » est une prise de conscience de mes propres biais colonialistes et une reconnaissance de ce passé, pour avancer vers un mode de vie décolonial, dans une démarche de réconciliation et de réparation avec les peuples autochtones.
Cette prise de conscience s’est faite lorsque j’ai découvert la poésie d’artistes autochtones et que je suis tombée en amour avec les œuvres de Joséphine Bacon, Natasha Kanapé et Tanya Tagaq. Par la suite, ces lectures m’ont menée à lire des essais sur le décolonialisme, au Canada et ailleurs dans le monde, et à reconnaître mes privilèges comme personne blanche, ainsi que notre passé colonialiste collectif. J’ai également eu la chance d’accompagner musicalement plusieurs artistes autochtones, ce qui m’a permis d’être dans le partage, d’apprendre d’eux et d’approfondir ma réflexion.
Dans la chanson, le tamaris, qui est une plante envahissante venue d’Europe, représente le colon : c’est une plante qui colonise les berges salées, augmente la salinité du sol et prive la flore autochtone de ses ressources, une métaphore directe du colonialisme.
KaT Pereira
La poète, artiste multidisciplinaire innue et militante pour les droits autochtones Natasha Kanapé y offre une réponse décoloniale en spoken word, qui résonne comme un dialogue entre mémoire, lucidité et réparation. C’était un immense honneur qu’elle accepte cette collaboration et qu’elle vienne poser ses mots sensibles et puissants sur cette chanson.
JE NE CROIS PLUS AU KARMA : on sent une grande désillusion, tu ne crois plus en aucune justice ?
Kat Pereira – Ce n’est pas que je ne crois plus en aucune justice, mais plutôt que je ne crois plus que les gens au pouvoir, les systèmes ou même le karma s’en chargeront pour nous. C’est pour ça que j’ai écrit cet hymne : il a pour but de nous rassembler, de nous connecter et de nous donner de l’énergie pour se révolter ensemble.
Je ne crois plus au karma. C’est dans cette opposition entre un propos fataliste et une groove drum & bass frénétique que j’invite à réfléchir sur un destin profondément injuste, tout en donnant envie de sauter sur place et de s’époumoner sur un refrain addictif.
À travers ma vision du karma, je dénonce l’impunité de ceux qui causent les plus grandes catastrophes de notre génération sans jamais en subir les conséquences. Parce qu’on ne peut pas simplement attendre que le karma répare tout ce mal.
Kat Pereira
Avec une pointe d’ironie, j’habille donc cette réflexion d’une musique lumineuse et entraînante, pour donner l’énergie nécessaire d’agir et de se connecter aux autres, plutôt que de sombrer dans la léthargie ou l’inaction.
Je crois qu’on a plus que jamais besoin de lumière pour recréer un sentiment de communauté positif, qui nous donne la force de nous rallier et de nous battre ensemble, pour construire un mouvement qui aura un véritable impact contre les injustices et les tragédies qui marquent notre génération.
Kat Pereira
Cette chanson, c’est une invitation à la mobilisation : pour la Palestine, le Soudan, le Congo, Haïti, et pour toutes celles et ceux qui n’ont pas les mêmes privilèges que nous.
La sororité est aussi au coeur de ton projet, qui sont les artistes féminines qui t’inspirent particulièrement aujourd’hui ?
Comme je le mentionnais plus tôt, pour moi, la sororité est absolument essentielle, dans l’art comme dans nos connexions humaines. On doit se soutenir dans ce milieu difficile et s’élever ensemble, parce que chaque victoire individuelle devient une victoire collective.
Parmi les artistes féminines qui m’inspirent profondément, il y a d’abord Erykah Badu, parce qu’elle est littéralement la REINE. Pour son groove insatiable, pour son tone unique, rempli de personnalité, qui donne le droit de s’assumer pleinement. Elle dégage une aura lumineuse dans sa musique, une lumière que je pourrais écouter en boucle pour toujours. Elle m’a donné envie de créer une musique luminescente, peu importe la nature des sujets abordés. Écouter ses œuvres me ramène au souffle, à la lenteur, à cette manière de canaliser mon énergie créative dans la légèreté et l’abondance.
Ensuite, Saya Gray est une énorme inspiration pour moi, pour sa vision audacieuse du producing et son univers profondément authentique. Dès les premières notes, on reconnaît du Saya Gray, ses mélodies sont insoupçonnées, mais toujours accrocheuses. Elle incarne la liberté d’être soi sans compromis, sans suivre la voie facile, et c’est justement pour ça qu’elle touche autant de gens : par sa singularité et son inventivité. Chacune de ses chansons me redonne espoir qu’il reste encore tant à découvrir dans ce monde. Elle me donne le courage d’écrire sans peur, sans jugement, sans retenue. Et c’est aussi une grande “role model” comme producer et musicienne.
Enfin, Nai Palm est une autre grande modèle pour moi. Elle joue avec les codes des genres et devient presque inclassable, jamais enfermée dans une étiquette, toujours pleinement assumée. Elle m’a redonné espoir que même avec des influences jazz, on peut créer une musique qui connecte avec les gens, qui leur donne envie de groover, de danser, sur des chansons accessibles mais riches. J’aime aussi beaucoup ses textes, toujours un peu éclatés et poétiques, qui m’inspirent à élargir mes horizons d’écriture. C’est une musicienne et compositrice puissante, libre et assumée, un vrai modèle.




