« La nuit au cœur », le récit percutant de Nathacha Appanah sur l’emprise et les violences conjugales

« La nuit au cœur », le récit percutant de Nathacha Appanah sur l’emprise et les violences conjugales prix goncourt 2025 marie masuyer crédit photo frances mantovani

9 ans après « Tropique de la violence », la romancière  Nathacha Appanah nous revient en cette rentrée littéraire avec un récit bouleversant, déchirant parfois, mais d’une nécessité impérieuse ! Dans ces destins croisés de trois femmes, toutes victimes des violences de leurs compagnons, on entrevoit l’œuvre la plus personnelle de l’autrice et journaliste mauricienne et l’on plonge dans les mécanismes obscurs et destructeurs de l’emprise.

crédit photo de Nathacha Appanah – frances mantovani

De ces trois femmes, il a fallu commencer par la première, celle qui vient d’avoir vingt-cinq ans quand elle court et qui est la seule à être encore en vie aujourd’hui. Cette femme, c’est moi.

extrait de « La nuit au coeur »
de Natacha Appanah

Dès les premières lignes, souples, fluides, presque compatissantes, l’autrice nous l’annonce : elle est l’une de ces trois victimes. La seule ayant survécu à l’innommable, la seule en capacité de raconter pour les autres et la postérité, le calvaire mortifère qu’elles ont vécu.

De ces nuits et de ces vies, de ces femmes qui courent, de ces cœurs qui luttent, de ces instants qui sont si accablants qu’ils ne rentrent pas dans la mesure du temps, il a fallu faire quelque chose…

extrait de « La nuit au coeur »
de Natacha Appanah

Nathacha Appanah entreprend une quête de ces mortes

Que faire en effet de ces années de vie constamment écorchée, à se confronter à une sauvagerie masculine sans bornes, mais aussi à sa propre incapacité à se sauver ? Comment survivre avec les stigmates de cette barbarie domestique, illisible par le reste du monde, quand partout autour de soi se répète l’histoire ?

Quand Nathacha Appanah apprend la mort atroce de Chahinez Daoud, abattue puis brûlée vive par son mari dans une rue près de Bordeaux en 2021, les images reviennent en trombe. Celles un peu floue d’Emma, sa cousine assassinée par son compagnon à l’Ile Maurice en 2000… Celles aussi de ses 6 années de toute jeune fille dans les bras d’un pervers narcissique.

Il lui faut partir « en quête de ces mortes comme si elles étaient vivantes », c’est irrépressible ! Tout l’y oblige, mais peut-être surtout son besoin vital d’introspection et l’instinct de survie… celui qui parfois lui fit défaut pendant cette période d’abnégation totale.

La domestication psychologique à son paroxysme

Comprendre les mécanismes psychologiques de l’emprise, relier entre eux les contextes familiaux et sociaux de cette lente descente aux enfers qu’on semble s’être soi-même choisie, c’est ce que la romancière va tenter de faire, sans aucune concession avec la jeune fille qu’elle était au moment des faits. Son écriture devient d’une efficacité redoutable !

Palpitante, emballée, elle crie sa colère et sa lucidité est bouleversante ! De son besoin de fuir un univers familial un peu trop étroit à ses rêves d’écriture… Nathacha évoque ces naïvetés post-adolescentes comme autant de désirs coupables d’être aimée et l’on aimerait lui objecter justement son manque d’expérience ! Comment se douter à 17 ans que cet homme de lettres reconnu, trente ans plus âgé qu’elle, deviendrait ce prédateur, ce bourreau, contrôlant chaque aspect de son existence jusqu’à tenter de l’éliminer de la surface de la terre ?

Comme MB et RD, les meurtriers d’Emma et Chahinez, HC est un manipulateur. Il enflamme le cœur de l’autrice de paroles brillantes et lui écrit des poèmes. Sa culture l’impressionne, son statut de poète reconnu la grise. D’amitié particulière, leur relation évolue en une relation amoureuse, et là commence le calvaire. Il l’isole de tout, de sa famille en premier lieu, de ses amies, de toutes ses valeurs ensuite. C’est subtil au début, mais lentement l’étau se resserre…jusqu’au jour où la peur s’installe, les brimades pleuvent et elle n’ose plus… ni partir ni se rebeller. Tenter de s’enfuir… Oui mais si l’échec est au bout, comment gérer la fureur du bourreau ensuite ?

Nathacha Appanah, contrairement à ces deux autres femmes, a connu le point de bascule. Celui qui a changé son destin en lui intimant d’appeler son père pour venir la chercher et en renouant avec sa famille in extremis.

Quand je me suis tenue en bas de l’escalier de la maison de mes parents avec cette valise chargée de quelques livres et de quelques vêtements et que ma mère est apparue en haut des marches et qu’elle a dit « C’est comme si tu rentrais d’un grand voyage », j’ai pensé que c’était le genre de voyage que je ne raconterai jamais

extrait de « La nuit au coeur »
de Natacha Appanah

« La nuit au cœur » : un travail de mémoire en lice pour le Goncourt

Et ce travail de mémoire qui pourrait s’apparenter aussi à une reprise de pouvoir, l’autrice le fait finalement avec « La nuit au cœur » en lice pour le Goncourt.

Un cri de colère, d’incompréhension et de désolation contre ces hommes sans colonne, ces pervers cyniques et violents jetant la peur sur des esprits et des corps féminins aimant, jusqu’à les vider de leur substance, jusqu’à la mort souvent. Contre les institutions qui ne préviennent pas, ne condamnent pas suffisamment. Et contre une société qui a souvent tendance à relativiser ces sévices en pointant un soi-disant manque de volonté des victimes, occultant ainsi leur souffrance et rajoutant de la honte au calvaire. Mais elle redonne aussi leurs identités à ces femmes en les exfiltrant, l’espace de ses lignes, de leur simple statut de victimes, et en leur redonnant leurs places de mères, de filles, d’amies, de collègues… aimées et admirées.

En France, en 2024, 137 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint… Un récit capital, primordial donc.

La nuit au cœur de Nathacha Appanah est aux éditions Gallimard
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