Notre palme d’or, c’est lui : « Les Graines du figuier sauvage », réalisé par Mohammad Rasoulof. Une œuvre cinématographique qui va résonner fort – je l’espère – dans les prochains mois tant il transcende les frontières de l’art pour devenir un acte de résistance. Les rumeurs canoises indiquent que le film a été terminé la veille de sa projection à Cannes, dernier jour du Festival. Son réalisateur n’était pas certain de pouvoir venir : n’ayant pas de visa et étant bloqué en Allemagne. Un arrangement entre l’ambassade allemand et français aurait donc permis à Mohammad Rasoulof de présenter son film ici. Quelle claque. Et quel honneur d’avoir pu assister à sa projection en présence du réalisateur. Né dans les geôles iraniennes et façonné dans la clandestinité, ce film offre une immersion poignante dans les tourments d’une famille iranienne, tout en résonnant profondément avec le mouvement « Femme, Vie, Liberté ».
Mohammad Rasoulof a l’idée du scénario alors qu’il est retenu en prison
Je vous retranscris ici le plus fidèlement possible l’histoire racontée par le réalisateur suite à la projection de son film au Palais des Festivals.
L’idée de son film germe lors de l’incarcération de Rasoulof en 2022, période coïncidant avec le début du mouvement « Femme, Vie, Liberté » en Iran. Témoin des bouleversements sociaux depuis sa cellule qu’il partage avec un prisonnier politique, le réalisateur assiste impuissant à la grève de la faim entamée par son co-détenu. L’état de ce dernier étant préoccupant, leur cellule est particulièrement surveillée par les autorités pénitentiaires. Un jour, un de ses geôliers prend Mohammad Rasoulof à part et lui propose un stylo pour écrire. Suspicieux et craignant d’accepter un « cadeau » d’un gardien de prison – est-ce un piège ? – il refuse dans un premier temps jusqu’à continuer d’échanger avec le gardien qui lui fera cette confession :
« Je me demande quand je finirai par me pendre à la grande porte de la prison car chaque soir, quand je rentre du travail, mes enfants me demandent ce que j’ai fait de ma journée. »
Cette révélation intime devient le catalyseur d’une narration centrée sur les fractures générationnelles au sein d’une famille iranienne.
Un tournage clandestin en Iran
Conscient des risques encourus, Rasoulof entreprend un tournage clandestin, mobilisant une équipe restreinte et du matériel minimaliste. Le recrutement des acteurs s’effectue avec une prudence extrême, chaque membre devant allier talent artistique et courage face à la menace omniprésente des autorités. Les actrices Mahsa Rostami, Niousha Akhshi et Setareh Maleki, incarnant les filles de la famille, sont contraintes à l’exil après la production, témoignant de la répression sévissant contre les artistes en Iran.
« Les Graines du figuier sauvage » : une esthétique mêlant réalité et fiction
« Les Graines du figuier sauvage » se distingue par une esthétique hybride, fusionnant images d’archives des manifestations de 2022 – beaucoup de stories venant des réseaux sociaux – et scènes tournées. Cette approche confère au film une authenticité saisissante, immergeant le spectateur dans la réalité brutale des événements. Les séquences familiales, filmées en huis clos, contrastent avec la violence des images de protestation, soulignant l’impact du régime autoritaire sur l’intimité des foyers.
Résonance avec le mouvement « Femme, Vie, Liberté »
Le film s’inscrit en écho direct avec le mouvement « Femme, Vie, Liberté », reflétant les aspirations et les luttes des femmes iraniennes pour leurs droits. Les personnages féminins incarnent cette quête d’émancipation, confrontant les traditions oppressives et les attentes sociétales. Rasoulof dépeint avec acuité les tensions intergénérationnelles, mettant en lumière le fossé entre une jeunesse avide de liberté, un père ancré dans des valeurs conservatrices et une mère en plein éveil féministe grâce à ses filles.
Émotion à Cannes malgré l’absence de l’équipe
Présenté en compétition officielle, « Les Graines du figuier sauvage », j’ai eu la sensation d’un authentique moment de solidarité internationale suite à la projection. L’absence d’une bonne partie de l’équipe du tournage (retenue en Iran ?) dénonce les entraves à la liberté artistique imposées par le régime iranien et confère une résonance particulière à la projection, transformant la salle en un espace de solidarité et de reconnaissance pour ces voix réduites au silence.
J’espère de tout mon coeur que l’appareil de la dictacture et de l’oppression finira par disparaître d’Iran.
Mohammad Rasoulof
[eXTRAIT DE SON DISCOURS LORS DE LA PROJECTION CANNOISE 2024
« Les Graines du figuier sauvage » transcende le cadre cinématographique pour devenir un témoignage puissant de la résistance culturelle et iranienne face à l’oppression. Mohammad Rasoulof, par son courage et sa vision artistique, offre une œuvre qui interpelle, émeut et inspire, rappelant le rôle essentiel du cinéma comme miroir des luttes humaines.
J’espère, à défaut de la Palme d’or, que son film recevra une distinction à la cérémonie de clôture !