Je rejoins Philippine Delaire dans un café quartier République à Paris. Elle sirote déjà sa boisson chaude (je suis en retard…) et m’explique qu’elle pratique le jeûne intermittent lorsque je lui propose de commander, elle aussi, un délicieux cookie. Philippine est la même sur les réseaux, sur scène et dans la vie : drôle et solaire ! Celle qui joue en ce moment son spectacle « Fifille à papa » dans des salles combles revient dans une discussion intime sur son parcours de comédienne et de femme : son buzz sur Instagram pendant le confinement, ses premières scènes à Avignon devant 5 spectateurs, la découverte de l’infidélité de son mari alors qu’elle raconte sur scène depuis plusieurs mois déjà sa demande en mariage idyllique et son bonheur conjugal, la claque puis la dépression qui s’en suit, sa traversée du désert et enfin l’électro choc donné par sa mère qui lui répète en boucle : Philippine, on ne meurt pas par amour ! Rencontre avec une artiste à suivre et à voir absolument...
Philippine Delaire, tu es comédienne. Tu t’es fait connaître pendant le confinement sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce qui t’a poussée à sauter le pas et à te lancer dans ce format de courtes vidéos humoristique sur Instagram ?
Philippine Delaire – En fait, j’avais déjà commencé à poster quelques vidéos, mais vraiment très peu. Je n’avais pas encore trouvé cette dynamique des personnages qui se répondent. Et puis pendant le confinement, je venais de terminer les cours Florent, j’avais beaucoup de temps et je me suis lancée. En regardant mes stats, j’ai remarqué que les chiffres étaient beaucoup plus importants que d’habitude. Les gens étaient confinés, passaient plus de temps sur les réseaux, j’ai senti qu’il se passait quelque chose sur ma page, alors j’ai continué !
Il se trouve que j’avais déjà annoncé une date pour mon premier spectacle « Télédrama » : je ne l’avais pas encore écrit, je n’étais encore jamais monté seule sur scène, mais mon idée était d’inviter des pro’ du secteur à un premier showcase. J’avais 4 mois pour me préparer. Heureusement pour moi le confinement a traîné en longueur, car je n’avais pas du tout été lucide sur ce que cela représente en termes de travail de monter un spectacle ! Et puis ma page Instagram prenant en visibilité, des producteurs m’ont approchée pendant le confinement : ils m’ont dit de ne pas faire mon showcase mais plutôt de bosser à fond mon texte et de me préparer à le jouer au festival d’Avignon en 2021.
Le premier soir de la représentation, il y avait 5 personnes dans la salle dont 3 étaient mes producteurs. Je ne me suis pas démonté, j’ai tenu 1h sans être déstabilisée par cette salle vide. Et puis le bouche à oreille au festival s’est mis à fonctionner, un soir j’ai eu 20 personnes devant moi, j’avais l’impression de faire une Zenith !
J’ai joué « Télédrama » pendant un an et demi, ça été très intense. Mais je me cachais derrière des personnages qui n’étaient pas moi. Or je commençais à être très suivie sur les réseaux, mon public voulait en savoir plus sur moi. C’est comme ça que j’ai écrit mon deuxième spectacle « Fille à papa ».
Quand on est comédienne, on ne pense pas forcément à faire une carrière dans l’humour, c’est pourtant ce que tu as choisi, pourquoi ?
Philippine Delaire – Je ne prétends pas faire du stand up car je ne fais pas du tout de plateau.
Au départ, je voulais jouer de la tragédie grecque mais mes prof’ m’ont dit que j’avais quelque chose avec la comédie !
Philippine delaire
C’est vrai que depuis toute petite, je m’invente des personnages. C’est émouvant de voir que je fais aujourd’hui, ce que je faisais déjà quand j’avais 10 ans.
Alors que tu joues ton deuxième spectacle « Fille à papa », co-écrit avec ton mari, tu découvres son infidélité… et c’est la déflagration.
Qu’est-ce qu’il se passe à ce moment-là pour toi ?
Je me souviens du message d’une femme sur les réseaux sociaux qui m’avait dit, apprenant que j’étais cocue : « Je suis désolée que vous ayez à vivre le sol qui se dérobe sous vos pieds. » Et c’était exactement cela. Tout ce que je croyais solide dans ma vie s’effondrait d’un seul coup.
Philippine delaire
Philippine Delaire – J’avais déjà commencé à jouer mon spectacle « Fille à papa » depuis 4 mois, je l’avais écrit avec mon (futur ex) mari, j’y parlais de sa demande, de notre mariage fabuleux… J’avais toutes mes dates de spectacles prévues, j’étais censée être sur scène 3 jours plus tard.
Sauf qu’à ce moment-là je suis sidérée, sous le choc, moi qui suis assez pêchue, mon débit de parole est hyper ralenti, je suis stone. Je vois bien que je ne peux pas jouer dans 3 jours, alors je décale les dates. Sauf que 10 jours plus tard, j’ai une date à Bordeaux que je ne peux pas décaler.
Rapidement je me dis qu’il faut que je balance sur scène que je suis cocue sinon je ne vais jamais réussir à tenir mon spectacle jusqu’à la fin.
Et c’est ce que je fais.
10 jours après avoir appris que j’étais cocue, je le révèle sur scène.
Je revois ma mère, ma sœur et Fanny, ma future productrice, dans les loges juste avant la représentation, livides, se demandant comment je vais faire. Moi j’avais perdu du poids, je fumais clope sur clope, ma mère me mettait un Xanax dans le bec dès qu’elle voyait une larme couler. Mais je sentais que dès que j’allais me retrouver sur scène, j’allais switcher et assurer.
Ce spectacle m’a fait reprendre possession de mon histoire.

Tu remontes sur scène, tu commences à jouer sur Paris, à avoir des chroniques sur Europe 1, ta visibilité médiatique s’accélère mais en coulisses, tu es l’ombre de toi-même, tu sombres.
Qu’est-ce qui va te faire remonter à la surface ?
Philippine Delaire – Ma mère !
Effectivement à ce moment-là ma carrière s’accélère et je sens que c’est la dégringolade. Je ne dors plus. Je suis tellement fatiguée, je suis malade en permanence et je n’arrive plus à jouer. Passé l’excitation des premières dates à Paris, je commence à avoir des idées très sombres qui ne me ressemblent pas du tout.
Moi qui aime la vie, je n’arrive plus à me rattacher des choses positives.
Alors j’appelle mon frère pour qu’il vienne me chercher.
Il faut savoir que j’ai un frère et deux sœurs et qu’à ce moment-là, il y a une sorte de relai qui se met en place dans ma famille : je comprends que mon frère a prévenu une de mes sœurs que je vais super mal et qu’il vient me chercher, que cette sœur appelle mon autre sœur qui appelle ma mère pour qu’elle me donne un électro choc.
Cet électro choc il arrive alors que tu guettes par la fenêtre l’arrivée de ton frère. A ce moment-là tu reçois un appel de ta mère : et qu’est-ce qu’elle te dit ?
Philippine Delaire – Elle me hurle dessus et me dit : « Non, non, Philippines, tu ne vas pas aller en hôpital psychiatrique ! Tu ne vas pas aller te mettre sous perf’ pour dormir, tu te relèves ! On ne meurt pas par amour Philippine ! ».
Quand ta mère te hurle dessus de te relever, alors que tu sais qu’elle a perdu mon père, son mari, son premier amour et l’amour de sa vie, ça te réveille.
Philippine delaire
Et surtout, ce qu’elle me dit à ce moment-là, c’est de ne surtout pas tout abandonner à cause d’un mec, alors que j’avais travaillé comme une folle pour en arriver là. Bien sûr j’avais besoin d’aide, d’aller consulter un psychiatre, mais je ne devais surtout pas arrêter la scène et elle avait tellement raison. Le soir-même elle était à Paris et j’ai été très entourée par ma famille pour relever la tête.
J’ai consulté un psy en urgence trouvé sur doctolib, j’ai pris mes médoc.
Une pote pharmacienne m’a dit que j’allais être satellisée avec la prescription qu’il m’avait faite : anti-dep, anxiolytique et somnifère ! Sur scène, ça ne se voyait pas car j’arrivais à me canaliser et le public m’a tellement portée.
Philippine delaire
Je me le répète souvent, la vie est bien faite car c’est en passant par tout ça que j’ai pris confiance en moi et que j’ai repris ma place.
Au bout de quelques mois, tu décides de réécrire ton spectacle avec ton amie autrice et metteuse en scène Adèle Royne, pour l’intituler « Fifille à papa » : c’est le spectacle que tu joues depuis septembre et qui cartonne. Qu’est-ce qui a changé ?
Philippine Delaire – Je suis tellement fière de cette réécriture et on me demande souvent ce que je racontais avant ! Je parlais en grande partie de mon mariage incroyable, de sa préparation, de mes questionnements sur la maternité et sur le fait que je ne souhaite pas spécialement d’enfant… Je parlais déjà de ma relation avec mon papa décédé. Aujourd’hui je trouve le spectacle plus fort. J’y parle de mon histoire de cocue mais je continue de croire en l’amour !

crédit photo – Fifou
Ce nouveau spectacle, c’est une profonde mise à nue. Sans spoiler, beaucoup terminent ton spectacle la larme à l’œil : comment vis-tu de jouer ce dévoilement intime et personnel à chaque représentation ?
En réalité, je pars de mon histoire personnelle pour toucher à quelque chose de très universel : l’amour, la tromperie, la dépression.
Philippine delaire
Être cocue est quelque chose de finalement très banale et j’ai parfois des spectatrices qui viennent me voir à la fin du spectacle pour me parler de leur histoire. Parfois elles ont aussi été cocue, parfois elles ont aussi perdu leur père, parfois elles ont aussi traversé une période de dépression
Philippine Delaire – Je dirais que le moment qui me touche le plus c’est finalement celui où je montre des vidéos de moi petite et des vidéos de mon père à une salle d’inconnus. Je mesure ma chance chaque soir de pouvoir vivre cela aujourd’hui, de faire monter mon père sur scène en quelque sorte. Et puis je dis toujours avec beaucoup d’émotions le texte qui clôt le spectacle : c’est d’ailleurs une partie que je ne prépare jamais en répétition.
Qu’est-ce qu’on te souhaite Philippine Delaire pour 2026 ?
Philippine Delaire – De toujours avoir la chance de jouer ce spectacle dans des salles combles ! Et surtout de continuer à vivre de ma passion. Ces derniers mois j’ai tourné pour Scènes de ménages : les épisodes sortent à Noël, je joue la sœur d’Elodie Poux. Et puis je rêve de cinéma ! J’ai déjà un peu joué par le passé et j’adorerais être au casting d’une une comédie dramatique…
A bon entendeur…
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