J’ai remarqué que pour beaucoup, lorsque l’on évoque le sujet de la transidentité, un malaise s’installe. Souvent parce ce mot n’est pas compris, soulève plein de questions intrusives (qu’a-t-iel dans le pantalon ? Spoiler : on s’en ouf.), parce qu’il envoie valser la binarité de notre société (et ça fait vriller quelques cerveaux), parce qu’il refuse de se plier aux normes de genre auxquelles beaucoup d’hommes et femmes adhèrent (pas toujours avec plaisir…), parce qu’il est aussi associé à des idées transphobes largement diffusées aujourd’hui (les trans sont partout et vont nous envahir)… J’étais donc très curieuse d’aller voir le spectacle de l’humoriste trans Lou Trotignon qui se joue en ce moment au Théâtre Saint Georges : une claque d’amour, de transidentité joyeuse et surtout d’appel à vivre la vie qui nous ressemble, qu’elle soit vécu en tant que femme cis hétéro, homme ou trans, whatever ! Un show drôle à la portée universelle qui lève tous les tabous sur la transidentité et qui nous invite à ne pas passer à côté du bonheur d’être soi.
J’ai rencontré Lou Trotignon à la terrasse d’un café quartier Gare de Lyon, quelques jours avant qu’il ne fasse une pause dans sa tournée, trop affecté par le harcèlement dont il souffre sur les réseaux, comme toute la communauté trans, depuis que Meta a changé sa politique envers elle. Rencontre avec un sacré mérou (sic!).
Lou Trotignon, tu es le premier humoriste trans médiatisé : comme vis-tu cette visibilité ?
Lou Trotignon – Je ne m’y attendais pas du tout !
La visibilité qui est donnée aujourd’hui à mon spectacle à la fois me touche de façon positive car beaucoup de personnes commencent à me reconnaître de plus en plus dans la rue (et pas uniquement des personnes queer !), on me remercie pour les messages que je partage, on me dit que je suis drôle… Mais en même temps, mon propos est souvent instrumentalisé, sorti de son contexte et peut me mettre en danger. Cela représente bien ce qu’il se passe en ce moment.
On assiste à une montée de transphobie parce qu’on est en train de gagner en visibilité. Au quotidien, je reçois beaucoup de haine sur les réseaux sociaux et beaucoup d’amour dans la vraie vie.
Lou Trotignon, humoriste
Comment affrontes-tu cette haine sur les réseaux ?
La haine que je reçois commence à être difficile à gérer, surtout depuis que Méta autorise les commentaires parlant de « maladie mentale » à destination des personnes LGBTQIA+. Il n’y a plus aucune modération pour nous protéger.
Lou Trotignon, humoriste
Depuis quelques temps, j’avoue avoir quelqu’un qui m’aide sur les réseaux sociaux pour ne pas que je sois exposé quotidiennement à la haine que je peux recevoir surtout en messages privés.
Comment s’est passé ton coming out ?
Lou Trotignon – J’ai fait mon coming out sur scène !
Quand j’ai démarré le stand up, je n’avais même pas encore fait mon coming-out… à moi-même ! Dans mon premier spectacle, je parlais beaucoup du doute autour de mon identité. Un jour, j’ai écrit un texte sur ma prise de testostérone et ma transition. Mon amie humoriste Dena Divah m’a dit de le tenter sur scène et ça s’est super bien passé. Je n’avais jamais entendu parler de transidentité dans un spectacle d’humour. En général, les gens qui en parlent sont transphobes.
Mon spectacle, même si cela m’attriste un peu, est devenu une réponse directe à toutes les fausses informations données sur nos vies de personnes trans.
Lou Trotignon, humoriste
Je sais ce que c’est, moi, la vie d’une personne trans.
Te sens-tu investi d’un rôle particulier pour la communauté trans ?
Lou Trotignon – Je crois que j’ai réalisé seulement il y a trois semaines l’impact de mon travail : j’étais parti jouer mon spectacle à Genève, une ville où je ne suis pas censé être connu. J’allais dans des bars randoms et on me reconnaissait, tout en me parlant de mon travail qui plait. Le fait d’être devenu, malgré moi, une figure représentante de la communauté trans, me dépasse complètement. C’est plus grand que moi.
Ton spectacle drôle et authentique, est aussi un topo éclairant sur la transidentité : quels sont pour toi les plus gros malentendus au sujet des trans ?
Il y en a tellement ! Mais je pense que le nœud du problème, c’est le malaise que peut susciter une personne trans quand elle parle de sa transidentité. Les gens s’imaginent toutes sortes de choses, des opérations chirurgicales, des problèmes… J’ai fait le choix, dès le début du spectacle de montrer qu’on n’est pas si différent. Et puis la plupart des gens pensent qu’ils ne connaissent pas de personne trans, mais plein de gens sont sous hormones depuis plusieurs années, et la question de leur genre ne se pose plus. Démarrer par cela crée une forme d’empathie.
On a tous un genre, on est tous soumis à ces normes de genre.
Une scène du film « Orlando » me parle beaucoup : être trans, c’est enlever les lunettes du genre normé. Le genre, et toutes ses injonctions qui lui sont rattachées, m’ont beaucoup bloqué pour me trouver, c’est pour cela que je suis non binaire (même si je n’aime pas ce mot).
Lou Trotignon, humoriste
Comment expliques-tu le malaise que peut susciter la transidentité ?
Lou Trotignon – Je pense que cela réveille quelque chose de très profond chez les gens. Quand tu es une femme ou un homme cisgenre – c’est-à-dire que tu te reconnais dans le genre qui t’est assigné à ta naissance, tu essaies toute ta vie de répondre à ce qu’attend de toi la société.
Quand une personne trans débarque et te dit : « Moi ces injonctions de féminité ou de masculinité, je m’en fous, je ne me reconnais pas là-dedans », c’est insupportable. Les gens les plus transphobes, sont d’ailleurs très souvent les plus normés. Je ne dis pas non aux normes de genre, j’espère simplement que si tu y adhères, tu le fais pour toi. Et c’est en cela que mon spectacle parle à tout le monde.
Lou Trotignon, humoriste
Quand ma sœur a fait son coming out par exemple, j’étais d’abord très énervé. J’avais tellement essayé de rentrer dans les normes. Elle m’a permis d’ouvrir cette porte…
Ce n’est pas trop difficile d’être trans dans la société d’aujourd’hui ?
Il y a un certain fantasme d’aller chercher la tristesse et la souffrance chez nous.
Dans les documentaires sur la transidentité, les personnes sont souvent floutées, le ton dramatique. Ce n’est pas triste d’être trans. Aller vers sa transidentité, c’est aller mieux !
Lou Trotignon, humoriste
Ce qui est dur, c’est la place que tu as dans la société : tu n’as plus accès aux mêmes espaces, il y a des pays où je ne peux plus aller. Dès que je sors ma carte d’identité, je m’expose à des remarques transphobes. J’ai perdu en capital affection et sexuel : moins de gens veulent sortir avec des personnes trans. Tu dois faire un deuil de à qui tu plais. Il faut aussi se protéger car il y a beaucoup de fétichisation. Je fais aussi le deuil d’avoir un enfant un jour, car c’est plus difficile. Mais ce que je gagne en étant authentique avec moi-même, ça n’a pas de prix.
Être trans c’est cool, c’est la transphobie qui est difficile.
Lou Trotignon, humoriste
Tu racontes dans ton spectacle que dans ta fratrie : vous êtes 5 dont 3 personnes queer ! Comment l’ont vécu tes parents ?
Ma mère ne nous a jamais lâché.es mais elle a dû tout apprendre sur le tard. Au début, elle pensait qu’elle avait raté quelque chose avec nous, elle parlait de mutilation quand on parlait de transition… Je pense qu’on attend trop de nos parents qu’ils soient parfaits alors qu’ils n’ont ni les infos ni les outils pour l’être. Pour moi, tant qu’ils continuent à nous aimer c’est le plus important. Après s’ils sont toxiques, il faut s’éloigner. Avec mon père, on ne se parle plus. Il ne me reconnait pas dans ma nouvelle identité et il fait pareil avec ma sœur trans.
Comment expliques-tu ce schéma assez fréquent de la mère qui tient et du père qui lâche ?
Pour mon père, je pense qu’il appartient à cette génération de mecs contre les psys. Chez ma mère au contraire, toutes ces réflexions sur la transidentité ont réveillé chez elle des questions de féminisme : aujourd’hui elle réfléchit à sa condition en tant que femme et on avance ensemble.
Ton spectacle s’appelle Mérou car tu t’identifies… au Mérou, le poisson ! Pourquoi ?
Je me souviens très bien de la première fois que j’ai écrit cette blague. Je sortais avec un mec trans et qui était passionné d’animaux chelous. Il m’a parlé du mérou, ce poisson hermaphrodite qui jusqu’à l’âge de 5 ans, a un sexe indéterminé, puis devient femelle jusqu’à ses 14 ans où il prend le sexe mâle. Je me suis reconnu dans cet animal : on existe ! J’ai aussi réalisé que, moi-même, je regardais la nature au prisme de la binarité alors que cela n’a pas lieu d’être.
Le mérou m’a appris que mon identité est légitime !
Lou Trotignon, humoriste
Tu m’as dit plus tôt que tu n’aimais pas le terme « non binaire » même s’il t’arrive de te l’appliquer à toi-même. Pourquoi ?
« Non binaire » est pour moi un mot valise qui ne correspond à rien. Cela veut dire « pas comme les autres » et je n’aime pas l’identité qui se définie par la négative. Je l’emploie car c’est le seul mot dont on dispose aujourd’hui et qui est compris par tous, même si je préférerais mille fois me définir comme mérou !
A un moment de ton spectacle, tu dis « je n’aime pas le regard qu’on a de la masculinité » : de quel regard parles-tu ?
Je trouve que ce qu’on rattache aujourd’hui à la masculinité n’est pas très réjouissant. Alors que la masculinité mérite mieux, elle peut être belle. Télérama a fait un article sur les masculinités douces : j’y crois beaucoup ! Si je dis encore aujourd’hui que je suis non binaire, c’est parce que je ne me retrouve pas dans les codes de ce qu’on attribue à la masculinité aujourd’hui.
Toi qui a vécu une vie de femme hétéro jusqu’à tes 23 ans avant de commencer ta transition, as-tu observé des changements de comportements à ton égard ?
Oui, aujourd’hui quand je m’assois dans le métro, les femmes me font de la place en repliant leurs jambes, je ne vis plus de harcèlement de rue. Virginie Despente en parle : elle est devenue lesbienne politique et c’était comme déménager de Paris à la campagne, le bruit s’arrête. Moi j’ai ressenti cela. Je n’ai plus de pollution sonore de gens qui me sifflent dans la rue. Ca m’a montré en miroir le sexisme que j’ai subi lorsque je vivais ma vie de femme. Après je suis exposé à l’homophobie et la transphobie maintenant.
Tu dégommes évidemment les arguments transphobes qui se propagent beaucoup aujourd’hui et qui évoquent l’existence d’un lobby trans : quels points veux-tu remettre sur les « i » à ce sujet ?
C’est complètement fou cette idée ! D’un côté on nous dit suffisamment organisés pour avoir mis en place un plan mondial pour faire transitionner tout le monde, et de l’autre on nous décrit comme des malades mentaux incapables de rien ! Et que ce soit clair, s’il existait vraiment un lobby trans, et bien ce serait le plus nuuuul car il n’a aucun effet. On n’arrive pas à faire valoir nos droits auprès de nos gouvernements. Je ne connais aucune personne trans dans nos députés ou sénateurs, ou au gouvernement. On dit qu’il y a des trans partout : non, on n’est pas partout. On ne représente que 0,3% de la population.
J’entends parfois « Vous êtes si peu, pourquoi vous nous faites chier » : quand tu touches aux droits des trans, tu touches au droit de disposer librement de son corps.
Lou Trotignon, humoriste
Alors oui, peut-être que les coming out non binaire augmentent, mais ce n’est pas parce qu’il y a plus de personnes trans : c’est parce que les personnes de 50, 60 ans ont enfin les mots pour le faire.
Qu’aimerais-tu renvoyer comme image des trans avec ton spectacle ?
Je voudrais être le représentant d’une transidentité joyeuse ! Et c’est pour cela que j’ai voulu que mon spectacle soit 100% feel good.