Dès les premières pages, mon coeur se serre : lire sur la solitude des personnes âgées me bouleverse car elle dénonce une aberration de notre société actuelle, celle de « cacher nos vieux ». De les parquer dans des epadh, des foyers, de les oublier chez eux, qu’on n’en entende plus parler d’eux. Qu’on ne les voit plus. Qu’on ne s’en occupe plus. Je me souviens de ma grand-mère qui me disait « Les vieux, faut les tuer », tant elle était convaincue que passé un certain âge, les anciennes et les anciens « ne servent plus à rien. » Je lui répondais patiemment, à chacune de mes visites, que moi, j’avais besoin d’elle. Ce récit de Léa Anaïs Machado publié aux éditions La Fourmi m’a donc touché en plein coeur. Il raconte l’histoire – inspirée de faits réels – de Léa, bénévole dans une association qui vient rendre visite aux personnes âgées isolées et précaires. C’est ainsi qu’elle rencontre Janine avec qui elle va nouer, malgré les obstacles, une amitié radicale…
Extrait d’Une dent en or de Léa Anaïs Machado :
Autour de la table ronde, le pichet d’eau en plastique vert, vous pleurez.
Les larmes jaillissent soudainement, je ne les avais pas prévues.
Aujourd’hui c’est ma dernière visite car dans quelques jours je pars habiter ailleurs. Nous nous sommes préparées à ce moment depuis des semaines, et, comme un rituel, nous regardons la carte de la France à nouveau. Ensemble nous traçons la diagonale avec nos doigts entre ici et le nouveau chez-moi, vous le dites vous-même, c’est très loin. Une dernière fois je fais défiler les pages de votre agenda vide, celui dans lequel chaque matin vous tracez une petite croix tremblante à côté de la date du jour. sur la page de garde et au commencement de chacun des prochains mois j’écris mon numéro de téléphone pour conjurer le sort, dire : notre histoire ne se termine pas là. Je vous explique une nouvelle fois comment vont s’articuler les prochains temps, une nouvelle bénévole va prendre ma site, nous avons passé deux après-midi ensemble mais vous ave déjà oublié son existence, ce n’est pas grave, elle est très gentille vous allez voir, je ne mâche pas votre bras de l’heure. Je vous répète comme j’ai aimé passer ces trois dernières années avec vous.
Au moment des aurevoiradieux, en guise de mantra, je vous dis : je ne vous oublie pas, vous ne m’oubliez pas, on ne s’oublie pas.
Pour nous parler de Juste une dent en or, j’ai interrogé Nathalie Sejean, co-fondatrice des éditions La Fourmi et éditrice de ce magnifique récit.
Nathalie Sejean, pourquoi avoir choisi d’éditer le récit de Léa Anaïs Machado sur la solitude des personnes âgées : un sujet encore si peu explorée en littérature et profondément ignorée dans notre société ?
Le sujet de la solitude des personnes âgées me touche énormément. Je peux trouver une explication : je viens d’une famille libanaise dont la culture est de vivre en communauté avec une dimension très intergénérationnelle. Personnellement, j’ai vécu en France toute ma vie, mais je n’ai jamais eu la sensation que mes grands-parents restés au Liban étaient seuls. Je les savais toujours entourés et je n’ai jamais été inquiètes pour eux.
En France, j’ai observé quelque chose de tout à fait différent. Les familles vivent beaucoup moins en communauté, plus les décennies passent et plus les personnes âgées peuvent se retrouver seules. La majorité des personnes dont les parents sont en epadh ne le font pas par manque d’amour : nous vivons plutôt dans un système qui rend l’accompagnement difficile. Soit on devient accompagnant/soignant de ses parents, ce qui est extrêmement éprouvant et la plupart du temps impossible à assumer par les familles, soit on les confie à un epadh qui très souvent les isole du reste de leur famille…
A part moi, Janine n’a de relation qu’avec des personnes payées pour prendre soin d’elle.
Extrait de « Juste une dent en or »
Laisser un peu cette pensée peser dans mon ventre.
C’est quelque chose de rencontrer quelqu’une et de penser plutôt mourir que d’avoir une vie comme elle.
de Léa Anaïs Machado (éditions La Fourmi)
« Juste une dent en or » est le premier livre de Léa Anaïs Machado : qu’est-ce qui t’a touchée dans sa plume ?
La plume de Léa est très lumineuse et honnête. Je me souviens qu’elle avait fait un poste sur Instagram de quelques lignes dans lequel elle racontait brièvement son expérience de bénévole et où elle disait au revoir à M. C’était tellement bien écrit et fort, que je lui ai envoyé un message pour lui dire que j’espérais qu’un jour elle développe cette histoire. Les éditions La fourmi n’existaient pas encore. Quand ça a été le cas, j’ai tout de suite repensé à Léa et je lui ai demandé de mettre en mots de ce qu’elle avait vécu.
A la lecture de son récit, on ressent toute la justesse de sa plume : elle parle d’amour mais aussi de colère, elle traite de nombreuses sujets qui questionnent aujourd’hui notre société : l’injustice des situations de certaines personnes âgées qui se retrouvent dans la précarité sans même avoir eu auparavant un parcours marginal, la réalité du travail des soignants qui ne peuvent pas soigner les patients, la réalité de ceux qui occupent ces postes du care et qui ne sont pas valorisés…
Et pour répondre de façon plus succincte à ta question avec ma casquette d’éditrice, j’ai à coeur avec La Fourmi d’offrir des textes qui traitent de sujets importants, écrits par des personnes qui n’auraient pas forcément la possibilité de le faire dans une autre maison d’édition. C’est une prise risque énorme pour une maison d’édition de miser sur des auteurices peu connues mais je n’ai pas douté du talent de Léa. Son récit est à la fois engagé et poétique, et les retours des lecteurises sont là : ce récit touche, bouleverse, fendille le coeur.
Terminer ce livre me donne l’étrange sensation de relâcher un oiseau qui m’a tenu compagnie des saisons durant. Je suis joie de le laisser s’envoler, mais au moment d’ouvrir les mains, mon coeur se pince un peu.
Léa Anaïs Machado,
autrice de « Juste une dent en or »
À propos des livres comme objets : les livres de La Fourmi éditions sont brochés, reliés et embossés – Les 200 premiers exemplaires sont tamponnés, numérotés et signés.
Juste une dent en or de léa anaïs machado fait 112 pages
Livre broché, relié, embossé.
12.7 x 17.7 cm
Chaque commande est accompagnée d’un marque-page et d’un sticker.

Nathalie, parallèlement au livre « Juste une dent en or », les éditions La Fourmi ont également sorti un texte d’éco fantaisy : de quoi s’agit-il ?
L’éco fantaisy est un genre émergent, dont on commence tout juste à parler dans les cultures anglosaxonnes. En France, je n’ai même pas de source à te citer. C’est un sous genre de la littérature fantaisy : les histoires se passent dans un monde avec potentiellement de la magie, où il y a une horizontalité entre les être humains et les autres espèces. C’est une littérature qui n’est pas anti-technologique, ni nostalgique de la période chasseur-cueilleur : le but est de nous interroger sur notre rapport au monde.
Que raconte le récit « La graine » ?
La graine, c’est une civilisation qui se fait pousser une plante sur la tête ! J’ai rencontré l’autrice aux EU il y a 15 ans : on voulait toutes les deux faires des films (moi en réalisation et elle en production). A l’époque, elle était déjà capable de développer des univers super vastes. Je lui ai demandé si elle n’essaierait pas d’écrire une petite histoire sur son univers et elle a écrit la Graine.
Quelle est la suite pour les éditions La Fourmi ?
Normalement à la rentrée on devrait lancer une nouvelle collection de manuels pour sortir l’adaptation de mon atelier « Carnet d’idées » en livre ! C’est un atelier qui marche très bien : j’avais envie de pérenniser ça dans une nouvelle collection qu’on puisse facilement manipuler, comme un outil de terrain…
A suivre !