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Nathalie Sejean : « Le livre est revenu au coeur de la conversation citoyenne », co-créatrice de La Fourmi éditions

Nathalie Sejean la fourmi éditions interview le prescripteur

Monter une maison d’édition féministe et queer, quand même les grandes maisons d’éditions sont en peine et que le prix du papier flambe, c’est plutôt culotté ! C’est pourtant le pari fou (et merveilleux) d’un trio de badass comme on aime : Nathalie Sejean, Marie Pereira et Chien Fou. Elles viennent de présenter leurs deux premiers titres, un roman graphique « Synthétique & toxique » de Chien Fou et une nouvelle « Aucune notification » de Pauline Harmange : deux formats courts (c’est la signature de la maison) révélés dans un petit livre pensé comme un précieux objet à garder près du coeur.

Nathalie Sejean, à l’initiative de cette formidable aventure littéraire, m’a raconté les coulisses de La Fourmi Editions, mais surtout l’importance de la fiction et de sa circulation pour transformer nos imaginaires…

Nathalie Sejean, tout d’abord, pourquoi avoir appelé votre maison d’édition La Fourmi ?

A la création de La Fourmi Editions, on a tout de suite su qu’on voulait proposer des récits courts, dévoilés dans de petits objets. On avait déjà cette dimension du « petit » qui collait bien à l’image de la fourmi. Ensuite, ce petit insecte est incroyablement travailleur et on est toutes les trois très travailleuses ! On aime le labeur et l’idée que le petit travail constant sur le temps long peut donner lieu à une transformation immense. C’est ce qu’incarne pour nous la fourmi.

La Fourmi Editions, ce sont des livres perçus comme de petits objets innocents, qui vont en réalité circuler de mains en mains et provoquer le changement.

Nathalie sejean, co-fondatrice de la fourmi editions

A l’heure où les maisons d’édition peinent à tenir debout, c’est plutôt culotté de lancer la vôtre !

Economiquement, c’est le pire le timing pour monter une maison édition, mais politiquement c’est toujours le bon moment.

Nathalie sejean

C’est le pire timing économiquement car le papier n’a jamais été aussi cher, son prix change tout le temps et il ne fait qu’augmenter. La marge du livre, qui était déjà faible, diminue. Et puis écologiquement, la question du nombre d’exemplaires se pose !

On a fait le choix d’imprimer peu d’exemplaires en première impression. Même si cela coûte plus cher, on préfère fonctionner avec un système de préventes plutôt qu’être dans un système de prévision comme dans les maisons d’édition classiques qui détruisent les livres si finalement ils ne fonctionnent pas aussi bien que prévu.

On a pris le parti pour l’instant de faire une donation à une ONG qui s’appelle Life, dont le programme « Ca pousse » nous a permis de planter déjà 120 arbres ! On travaille également avec des imprimeurs qui ont des encres spéciales, un papier issu de forêts gérées durablement…

Politiquement, en quoi est-ce toujours le bon moment de créer sa maison d’édition ?

Le livre est revenu au coeur de la conversation citoyenne comme objet d’échanges, de partage, que ce soit dans la fiction ou les essais.

Nathalie sejean

La pandémie a probablement joué en la faveur du retour du livre. Beaucoup de gens ont eu accès à un espace temps plus lent.

Nathalie Sejean, pourquoi vous être tournées vers la publication de nouvelles : des textes courts par définition ?

Il y a plusieurs raisons à cela.

Parallèlement, on observe aujourd’hui un souci d’attention : l’intensité du monde fait que l’on a besoin de petits formats littéraires que l’on peut remâcher, relire, passer à quelqu’un qui pourra le lire à son tour. Il manquait cela à mon sens dans le paysage littéraire.

Nathalie sejean

Je pense souvent au livre Inconnu à cette adresse, de Kathrine Kressmann Taylor que j’ai lu et relu. Au joueur d’Echecs de Stefan Zweig… Ces petits livres ont eu un impact sur mon imaginaire, ma pensée en tant que citoyenne et sur ma facilité à en parler avec les autres.

J’ai une frustration, c’est que l’on a accès à tellement d’histoires aujourd’hui que plus personne ne lit la même chose en même temps. Mais l’intérêt de lire une histoire, c’est de savoir ce qu’on en fait ensuite. C’est l’oralisation suivant la lecture d’un livre qui transforme nos imaginaires.

Nathalie sejean

C’est aussi cela qui nous a donné envie de faire des formats courts. Et puis c’était aussi donner la voix à des auteur.ices qui peuvent écrire simplement 100 pages et pas un essai ou un roman qui leur prendrait 3 ou 4 ans.

La Fourmi Editions est un projet à trois têtes : vous, Natalie Sejean, Chien Fou et Marie Pereira. Qu’est-ce qui vous a rassemblées autour de ce projet ?

Pour ma part, j’ai fait DUT du livre quand j’avais 19 ans – j’en ai 41 aujourd’hui ! A l’époque, je voulais être éditrice, mais je suis devenue libraire et ensuite j’ai changé de carrière pour me diriger vers la réalisation de film. J’aimais fabriquer des histoires. Je n’ai jamais perdu mon amour du livre et cette conscience de son importance dans la construction collective. J’y suis revenue avec la pandémie et l’envie de créer ma propre maison d’édition s’est imposée.

Marie Pereira gère toute la partie essentielle du réseau de libraire. On en a 50 aujourd’hui : c’est elle qui gère toute la distribution, c’est la fourmi de l’ombre !

Chien Fou est d’abord arrivée dans le projet en tant qu’autrice. Au début, je pensais que deux personnes suffiraient pour faire tourner la maison (une tête admin et une tête distribution). Je savais que je voulais un roman graphique de Chien fou, je connais très bien son travail. On a commencé à parler de la direction artistique des livres : des couvertures qui tapent. Et on a rapidement réalisé qu’il fallait une directrice artistique. Chien Fou était très impliquée, elle avait proposé de faire des couvertures pour nous, mais je voulais qu’on aille plus loin. Je lui ai proposé de rejoindre l’aventure et elle a accepté de faire partie des 3 cofondatrices.

Ce qui nous réunit, ce sont les mêmes valeurs queers et féministes.

Nathalie sejean

A la fin de chacun des livres édités chez La Fourmi Editions, on trouve une double page qui permet de suivre la « circulation » du livre en permettant à ses différents lecteurs d’y inscrire leur nom. C’est cela, l’ADN de La Fourmi éditions : la circulation ?

On invite les gens à faire ce qu’on faisait avant Internet : à l’époque, t’achetais un CD et tu faisais des K7 pour faire circuler les sons. La page circulation de nos livres est une toile humaine qui permet de laisser une trace, de redonner du sens aux objets.

Nathalie Sejean

J’utilise le mot « circulation » depuis quelques années car elle symbolise la participation au changement de notre ADN culturel. Par ce petit geste de faire circuler son livre, de parler de son histoire et de partager ce qui nous a plu, modifié, interpellé, on transforme les imaginaires.

Un livre n’est pas un simple objet de consommation. Chargé d’émotions et d’affects, il est en conversation avec nous et nous avec lui.

Nathalie sejean

Et puis comme ce sont des textes courts, on peut aussi imaginer que si des amis viennent chez toi le temps d’un week-end, ils peuvent lire le livre sans partir avec ! Avec nos nouvelles, ce n’est pas un engagement pour 3 semaines de lecture, et c’est ça qui est chouette.

Nathalie Sejean, il y a un vrai désir de proposer des livres conçus comme de très jolis objets. Quel était ton cahier des charges ?

Je suis venue avec une vision très forte sur l’objet pour ce projet.

J’ai un rapport intense aux livres que j’ai lus. Je regarde encore les couvertures de ceux qui on eu une grande importance pour moi.

Nathalie sejean

Pour La Fourmi Editions, je voulais un petit livre qu’on tienne près du coeur. J’ai voulu activer le sens du toucher, aussi la couverture a une texture. Le papier est épais, il a une couleur crème, c’est tout ce qui me plait, et qui plait aussi à Marie et Chien Fou. L’idée est de garder cette identité graphique pour l’ensemble de nos prochaines parutions : que ce soit un essai, une auto-fiction, un livre d’éco-fantaisie…

On a fait le choix d’imprimer peu de livres, alors faisons-le très très bien.

Nathalie sejean

D’ailleurs les 200 premiers exemplaires de chaque titre sont signés !

Tout à fait, les 200 premiers livres tirés sont tamponnés, numérotés et signés La Fourmi Editions pour garder cette idée de préciosité et remercier les personnes qui nous suivent et nous font confiance.

Une autre double-page est présente dans tous vos livres : c’est la double-page contexte où chaque auteur.ices explique, dans un texte écrit à la main, le contexte d’écriture de l’ouvrage. Là encore, c’est très novateur !

Cela part toujours de ce qui m’anime : j’aime savoir comment les choses se font. Je trouve que dans une démarche de création, c’est le processus le plus intéressant et pourtant, les gens n’ont que le résultat.

Evidemment cette double-page ne permet pas forcément de tout expliquer, mais je trouve que c’est important de donner la voix aux autrices sur leur contexte d’écriture : ce sont des êtres humains avec des vies, des enfants… C’est important de montrer que l’écriture peut s’insérer dans des vies normales, découvrir que c’est à la fois très simple et très compliqué.

On nous a tellement nourries à l’idée du géni créateur qui s’enferme dans son bureau, qui fume des cigarettes et dont la femme s’occupe des enfants et fait les repas pendant qu’il crée… Nous, ce n’est pas du tout notre réalité !

Nathalie Sejean

Et c’est exactement ça qui nous anime : donner envie de fabriquer des histoires ! C’est triste de dire qu’ne 2024, c’est politique de donner envie. Notre résistance, c’est ramener du beau : rentrer émotionnellement dans des histoires qui donnent envie de changer les choses.

Deux titres sont sortis à ce jour : le roman graphique Synthétique & toxique de Chien fou et Aucune Notification de Pauline Harmange.

Cette dernière nouvelle, Nathalie Sejean, parle d’un couple hétérosexuel dans lequel la fille ne donne plus de nouvelles après le retour d’un voyage. Le garçon se pose alors 1000 questions. Qu’est-ce qui t’a plu dans ce texte de Pauline ?

C’est drôle parce qu’on s’est beaucoup disputés autour de cette nouvelle. Moi par exemple, je n’aurais pas accepté d’être traitée ainsi, les autres, elles, comprenaient. Et si 50 pages font autant parler, c’est qu’il faut les partager avec les gens. Toi, qu’aurais-tu fait dans cette situation ? Qu’est-ce qu’on accepte ou pas dans une relation ? Qu’est-ce qu’on a besoin de savoir ? Ce sont des questions intimes qu’on se pose souvent, surtout aujourd’hui dans une société ultra-connectée.

Découvrez La Fourmi Editions et suivre la sortie de ses prochains livres.
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