Il y a dix ans, débarquait l’historienne Manon Bril sur YouTube avec une idée simple et à contre-courant : vulgariser l’Histoire pour montrer qu’elle n’est pas un empilement de dates barbantes, mais un moyen fantastique et passionnant de comprendre le présent.
Pari gagné avec sa chaîne C’est une autre histoire – qui compte plus de 700 000 abonnées, oui madame ! – et qui dynamite l’image poussiéreuse de la discipline prouvant qu’on peut parler de mythologie grecque ou de Révolution française comme on parle d’une série culte : avec humour, rythme et sens de la punchline.
Aujourd’hui, Manon change de scène mais pas de ton.
Avec 300 000 ans, son premier spectacle de stand-up, Manon fait salle comble à L’Européen. Car sous les vannes cash et bien envoyées, le propos est clair : démonter les mythes qui nourrissent les discours réactionnaires et rappeler que l’expression « Français de souche » n’a aucun fondement et que la tradition est une illusion ». Un spectacle anti-réac’ sans filtre ni langue de bois, performée par cette docteure en histoire contemporaine qui n’a pas finit de nous éclairer sur l’histoire de l’humanité…
Crédit photos Manon bril – Eva Cagin
Manon Bril, tu es historienne et tu ne corresponds pas vraiment à l’image que l’on se fait de cette profession. As-tu conscience de casser les codes ?
Manon Bril – Oui et je le fais depuis longtemps avec ma chaîne YouTube qui fête cette année ses 10 ans !
J’ai toujours défendu l’idée que ce n’est pas parce qu’on parle de sciences humaines ou d’un contenu très académique qu’on a besoin d’être soi-même académique. Dans un cadre universitaire oui, mais en vulgarisation, non !
Sur ma chaîne et sur scène, mon but est de parler d’Histoire de la même façon que lorsque je parle à mes potes.
Manon bril
Avec cette approche, j’ai aussi envie de réconcilier des gens un peu fâchés avec l’Histoire ou qui se sentent exclus d’un milieu qu’ils peuvent parfois percevoir comme élitiste. Avec plus de 700 000 abonné.es sur ma chaîne, je pense que j’ai trouvé mon public !
Ton passage de la chaîne à la scène était évident pour toi ?
J’ai fait du théâtre d’impro à Toulouse pendant 10 ans en tant qu’amateur, et j’ai arrêté en 2018 quand je suis arrivée à Paris. C’est quelque chose qui me manquait beaucoup. J’ai commencé à remonter sur scène grâce à l’impulsion de copains d’internet, Nico et Etienne qui ont monté un comedy club, c’était au moment où mon activité de vulgarisation a commencé à se pérenniser sur Youtube. J’ai trouvé que le seul en scène était vraiment un exercice super difficile, bien plus que l’impro’ !
Les premières fois que tu es remontée sur scène, dans quel état d’esprit étais-tu ?
J’ai découvert l’univers des comedy club pour rôder mes sketches. J’étais préparée, je connaissais mon texte par cœur, mais mon objectif, c’était avant tout de dire mon texte sans m’évanouir. J’avais tellement peur du bide ! Je voulais jouer au plus vite pour sortir le plus vite possible de scène.
Pourquoi est-ce que monter sur scène en tant qu’humoriste, avec un texte préparé à l’avance, t’a beaucoup plus stressée que de faire de l’impro ?
En impro les gens sont plus tolérants car ils savent que tu n’as rien pu préparer à l’avance. Alors que dans le stand up, le public peut se dire « T’as écrit ça et tu trouves ça drôle ? ». L’exercice de rodage en comédie club est périlleux : l’ambiance va beaucoup dépendre de la personne qui passe avant et après toi, t’as 5 à 10 min pour convaincre un public qui ne te connait pas… Et puis c’est un peu un boys club, mis à part quelques comedy club très cools comme le Good Girls Comedy Club de Rokhaya, la Nouvelle Seine de Jessie Varin, le Yaaas Queen Comedy ou encore le Cartel de Justine Le Pottier où le public sait qu’il vient voir des meufs sur scène : tu ne dois pas convaincre que les meufs c’est drôle.
J’ai pris mes bides comme tout le monde et aujourd’hui, je n’ai presque plus de stress avant de monter sur scène.
Manon Bril

Dans ton spectacle, tu dézingues l’idée reçue selon laquelle les historiens et les scientifiques sont impartiaux : ils ont tous des biais sociaux qui peuvent fausser la lecture de leurs découvertes. Quels exemples cites-tu en particulier ?
Sans spoiler le spectacle, quand on est scientifiques, quand on est historiens, on peut commettre des erreurs car on est biaisés. Le problème, ce n’est pas d’en faire, mais c’est de ne pas les reconnaître !
Jusqu’à très récemment, quand un archéologue découvrait une tombe ancienne, si on y trouvait des armes, on en déduisait automatiquement qu’il s’agissait d’un homme et si on y trouvait des bijoux, il s’agissait automatiquement d’une femme. Or l’Histoire nous a prouvé que c’est faux ! Et ce sont des exemples que je donne dans mon spectacle. Le pire dans tout cela, c’est qu’une fois que le verdict tombe et qu’il s’agit bien d’une femme, on cherche encore une surexplication à la présence d’armes (qui ne peuvent pas lui avoir appartenues !) au lieu de se dire : autre temps, autres mœurs, les femmes à l’époque étaient des guerrières puissantes et occupaient une place différente qu’aujourd’hui dans la société.
Les erreurs commises à cause de biais sexistes en archéologie sont (si) nombreuses !
Manon Bril
Tu reviens aussi sur le concept de « tradition » largement repris par l’extrême droite pour montrer que la tradition – en France et ailleurs – n’est qu’une illusion. Qu’entends-tu par-là ?
Je dis qu’il faut relativiser le concept de tradition. Sait-on depuis combien de temps le rose est assigné aux filles ? Les années 1980, c’est-à-dire hier. Dans l’Antiquité, il était très mal vu d’avoir un gros pénis, d’où les petits zizis sur les statues antiques. C’était il y a 2000 ans : autrement dit hier à l’échelle de l’humanité. Ce que je veux dire, c’est que certes les traditions créent du lien social, mais elles sont en perpétuel changements.
Tu t’attaques ouvertement à Stéphane Bern dans ton spectacle, pourquoi lui ?
Stéphane Bern a un capital sympathie que je ne peux pas nier, mais il fait passer tranquillement ses idées royalistes et sa vision d’une Histoire aristocratique sur France Télévisions : un regard réactionnaire et anti-démocratique !
Manon Bril
Sur l’échiquier politique, il faut prendre conscience qu’une politique royaliste signifie extrême droite. Stéphane Bern souhaite le retour à la monarchie et il ne s’en cache pas. Il a tout de même affirmé que le président de la République n’a que la légitimité du suffrage universel ! On retrouve ces mêmes problématiques avec les spectacles du Puits du Fou qui véhiculent une vision fantasmée de l’Histoire de France.
Selon toi, quelle est la bonne manière de faire de l’Histoire ?
Il faut adopter une méthode scientifique, rigoureuse, t’efforcer de mettre de côté tes biais tout en ayant conscience d’en avoir. L’objectivité est illusoire. Aujourd’hui qui fait encore les sciences ? Souvent des hommes blancs lettrés d’un certain âge avec leurs propres biais. On n’avancera pas tant qu’il n’y aura pas d’avancées sociales.
Tu es en ce moment à L’Européen à Paris tous les jeudi et vendredi soir avant de partir en tournée. C’est une grande salle !
Je suis trop contente, c’est la salle que je voulais même si c’est très intense de remplir cette salle deux fois par semaine. Venez !