Aurélia Blanc est journaliste pour le magazine féministe Causette. Lorsqu’elle est tombée enceinte, convaincue qu’elle attendait un garçon, elle s’est demandée comment elle pourrait éduquer son fils comme un futur homme féministe. Dans une société où les stéréotypes de genre, le marketing genré et le sexisme ordinaire sont bien ancrés… Comment mener son petit garçon vers une masculinité apaisée, respectueuse des femmes ? Un livre éclairant à mettre entre les mains de tous les papas et de toutes les mamans.
Pendant votre grossesse, vous avez été confrontée au vide de documentation au sujet de l’éducation féministe des garçons, dans les librairies. Pourquoi personne, auparavant, n’avait fait le travail de traiter le féminisme sous le prisme de l’éducation des garçons ?
Je crois que la question de l’éducation des garçons est une préoccupation nouvelle dans le féminisme. Ces dernières décennies, on s’était beaucoup concentré sur l’éducation des filles, et à juste titre : il y avait beaucoup de retard à rattraper. Mais il y a eu un impensé : l’éducation égalitaire concerne aussi les garçons. Si on prend par exemple le problème du consentement, dans la sexualité : il ne suffit pas d’en parler aux filles pour régler les problèmes de violences sexuelles ! Alors il y a des choses qui ont émergé ces dernières années, mais c’est vrai qu’elles sont un peu disparates… et on n’a pas forcément le temps de fouiller les articles, les blogs. En tant que mère je cherchais un outil qui soit plus exhaustif, et permette de rassembler les choses.
A qui adressez-vous votre livre ?
Je m’adresse à des parents qui s’intéressent aux enjeux égalitaires, et s’interrogent dessus, mais pas seulement. Je donne aussi des chiffres, je pose des constats. L’idée, c’était de parler aussi à mes amis, mes proches qui n’ont pas de bases théoriques sur le féminisme. Il y a une volonté grand public, néanmoins mon livre ne s’adresse pas à des gens qui sont hostiles au féminisme, ça, c’est sûr.
On va spontanément avoir tendance à verbaliser les émotions qu’on suppose que la petite fille ressent : tu pleures, tu es fatiguée, tu as peur… Est ce qu’on prend la peine, avec les garçons, de leur parler de ce qu’ils ressentent ?
Vous consacrez un chapitre aux réflexes sexistes quasi-quotidiens dont on ne rend, souvent, même pas compte… C’est quoi, par exemple ?
On peut déjà essayer de s’écouter parler à nos enfants. C’est quelque chose de très ancré en nous. Des études ont montré que, même sans nous en rendre compte, on ne s’adresse pas de la même façon, à une petite fille et à un petit garçon. On va spontanément avoir tendance à verbaliser les émotions qu’on suppose que la petite fille ressent : tu pleures, tu es fatiguée, tu as peur… Est ce qu’on prend la peine, avec les garçons, de leur parler de ce qu’ils ressentent ?
Un autre domaine où on a des biais sexistes inconscients forts, c’est sur l’occupation de l’espace. Il est encore très communément admis que les garçons sont turbulents ont besoin de beaucoup de place pour s’épanouir, se défouler, et que les filles sont par nature plus calmes. Alors que c’est nous qui avons tendance à les inciter à faire des activités plus posées.
Catherine Monod donne un conseil intéressant : recourir aux contre-exemples. Face à un enfant qui tient un discours très stéréotypé, c’est le moment de le mettre face à ses contradictions.
Dans un magasin de jouets, comment réagir si son petit garçon va vers les rayons marketés pour lui plaire ?
C’est un combat de tous les instants. Dans le magasin de jouets, à ce moment crucial où l’enfant va vouloir aller dans le rayon qui lui est destiné, ce ne sera pas le meilleur moment pour entamer une discussion. On peut toujours faire un tour dans le rayon des filles ou dans le rayon jeux de société qui est peut-être un peu moins genré… Mais ce qui est important, c’est de pouvoir parler de ces stéréotypes assez tôt, de ne pas faire comme si le sujet n’existait pas ou pire encore, comme si c’était tout à fait normal que les filles soient confinées au rose et les garçons au bleu. On peut proposer un choix d’activités, de jeux, de lectures et de modèles le plus large possible, et ça commence très tôt. Si finalement, il s’avère que l’enfant, à 7 ans, veut s’habiller en bleu et qu’il n’aime que Spiderman et le foot, au moins on sait qu’il n’a pas été enfermé dans ce choix-là. On a proposé, à la maison, d’autres modèles qui sortent du marketing genré. Il ne faut pas non plus s’auto-flageller en tant que parents. Il faut régulièrement interroger son enfant sur ce qu’il en pense, pourquoi il aime ça et pas ça, pourquoi il ne s’autorise pas à jouer à certains jeux.
Une anthropologue, Catherine Monod donne un conseil intéressant : recourir aux contre-exemples. Face à un enfant qui tient un discours très stéréotypé, c’est le moment de le mettre face à ses contradictions : tu me dis que c’est pour les filles, mais pourtant tonton machin lui il est super bon en danse, il fait du tricot…
Elever d’une façon égalitaire dans un monde assez sexiste, ce n’est pas en faire une espèce d’être à part sous cloche et déconnecté du reste.
Comment répondre à cette angoisse que peuvent avoir les parents que leur enfant soit exclu parce qu’il rejette les codes ? C’est ce que vous appelez « la solitude du féministe »…
J’avais moi-même ces questions. Dans les recherches que j’ai faites, et les témoignages que j’ai recueillis, j’ai compris que les choses n’étaient pas si binaires que ça. Un enfant, ce n’est pas « une pâte à modeler » ! Les enfants naviguent entre ces différentes problématiques. L’essentiel c’est de rester à l’écoute. S’il est moqué parce qu’à la maternelle, il met des baskets roses : il faut en parler avec lui et trouver une solution qui lui permette d’être lui-même. Ça dépend beaucoup de l’enfant : il y en a qui répondent aux moqueries sans problèmes et d’autres plus fragiles… Elever d’une façon égalitaire dans un monde assez sexiste, ce n’est pas en faire une espèce d’être à part sous cloche et déconnecté du reste. Aussi, on est de plus en plus nombreux à les élever dans une optique plus égalitaire, donc il y a fort à parier qu’ils seront de plus en plus à l’aise avec le fait de s’éloigner des stéréotypes, de s’en affranchir.
Une masculinité apaisée n’a pas besoin de passer par la domination de l’autre pour s’affirmer : pas besoin de dénigrer les homosexuels pour chercher à s’en différencier à tout prix, ni de se comparer en rejetant ce qui est féminin ou lié au féminin.
L’objectif d’une éducation féministe, c’est aussi de mener le garçon vers une masculinité apaisée. Par quoi se caractérise-t-elle, brièvement ?
C’est une masculinité qui n’a pas besoin de passer par la domination de l’autre pour s’affirmer : pas besoin de dénigrer les homosexuels pour chercher à s’en différencier à tout prix, ni de se comparer en rejetant ce qui est féminin ou lié au féminin.
C’est une masculinité qui ne passe pas forcément par une prise de risques, aussi. A l’adolescence, les garçons sont davantage dans une conduite à risque que les filles : la vitesse, par la consommation de drogues… C’est lié à une construction de la masculinité qui passe par le fait qu’il faut montrer au groupe des autres garçons qu’on est un homme, un vrai, et qu’on en a. Une masculinité apaisée, c’est se débarrasser du besoin de prouver aux yeux du groupe qu’on en a, et s’autoriser à être soi-même.
La première cause de mortalité chez les hommes de moins de 35 ans dans les pays anglo-saxons, c’est le suicide. En France, 75% des personnes qui se suicident sont des hommes. Il y a un enjeu de santé mentale derrière cette masculinité très toxique.
Cela passe par le fait aussi d’être à l’écoute de ce qu’on ressent soi-même : il ne faut pas hésiter à reconnaitre qu’on a aussi des passages à vide, des faiblesses, du mal être. La première cause de mortalité chez les hommes de moins de 35 ans dans les pays anglo-saxons, c’est le suicide. En France, 75% des personnes qui se suicident sont des hommes. Il y a un enjeu de santé mentale derrière cette masculinité très toxique.
Un joli livre-manuel pour apprendre à élever nos garçons pour un monde plus égalitaire ! Disponible ici.
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