Tout commence par un iPhone qui prend l’eau, sur une plage paradisiaque… et par une angoisse existentielle : comment documenter les vacances, les cocktails, l’azur et le sable fin sans son écran de poche ? Pour occuper le vide laissé par le défunt téléphone, Christine Berrou n’a d’autre choix que de se plonger dans la lecture d’un des plus grands chefs-d’oeuvre de la littérature française. C’est le début d’une nouvelle vie pour la comédienne, qui tisse son premier roman entre le récit proustien, et le récit de sa propre vie d’humoriste, dans les coulisses du monde du stand-up. A la recherche du temps perdu sur internet (Flammarion)… on finit par retrouver son moi profond. Interview.
Vous avez d’abord commencé par une carrière de journaliste, puis vous êtes devenue comédienne… et vous voilà maintenant écrivaine ! Quel est le lien entre ces trois métiers ?
Je n’ai jamais vraiment voulu être journaliste. C’était surtout pour trouver un « vrai travail » et faire plaisir à mes parents ! Il se trouve que la vie m’a offert des opportunités dans ce milieu-là, alors j’ai travaillé chez Ouest France pendant deux ans. Mais j’ai toujours voulu être comédienne, et l’appel de la scène a été plus fort que tout : donc j’ai tout plaqué en 2017 pour faire de la comédie. Parallèlement, j’écrivais tout le temps, depuis toute petite, sans vraiment me formuler le désir d’être écrivaine… J’ai envoyé mon premier manuscrit – mon journal intime – quand j’avais 18 ans à Flammarion, qui est mon actuel éditeur ! Heureusement, les choses arrivent au bon moment: si j’avais publié un livre il y a dix ans, ça aurait été horrible de couper des arbres pour ça…
En publiant ce roman, je me suis débarrassée de beaucoup de choses : j’espère ne pas trop m’être servi de mon lecteur comme d’un psy !
A la recherche du temps perdu sur internet se présente comme une fiction… Mais on y lit aussi beaucoup de vous-même !
Ecrire un premier roman, c’est un peu se purger. On sort des choses de soi qui sont incandescentes, qui nous dépassent, ou qui nous habitent trop intensément. En publiant ce roman, je me suis débarrassée de beaucoup de choses : j’espère ne pas trop m’être servi de mon lecteur comme d’un psy ! Je parle de la vanité de mon milieu, comment j’ai pu en souffrir, le patriarcat, la difficulté de faire rire avec ses convictions… c’est ce qui me tracassait et je suis contente de l’avoir écrit : maintenant ça ne me tracasse plus, c’est un peu comme la sophrologie ! Je pense que c’est nécessaire de passer par cette introspection là quand on veut écrire. Maintenant, je suis en train d’écrire un deuxième roman qui n’a strictement rien à voir avec ma vie.
Votre livre s’appuie et s’inspire du chef d’oeuvre de Proust, A la recherche du temps perdu. Qu’est-ce vous diriez à quelqu’un qui ne l’a pas lu ?
Qu’il y a quelque chose pour chacun dans cette oeuvre. Je sais que c’est difficile, parce que ça peut être au milieu du troisième tome… Mais ça vaut le coup ! Les 50 premières pages sont difficiles à passer mais une fois qu’on est dedans, on sait si ça va prendre ou pas. Vous êtes peut-être un futur Proustien qui s’ignore et vous ne le saurez jamais si vous n’essayez pas ! Je l’ai découvert à l’expo au Palais Galliera sur la garde-robe de la comtesse de Greffuhle : il y avait des textes de Proust accrochés au mur, j’ai trouvé ça grandiose. Moi-même, je ne pensais pas être Proustienne, jusqu’à ce qu’il m’arrive la mésaventure que je raconte au début de mon livre.
Sans mon smartphone, je me suis reconnectée à mon intuition ! […] A trop être sur les réseaux sociaux, on se saborde un peu. On perd ce lien animal avec notre moi profond : c’est celui qui nous sert à créer.
Vous cassez votre iPhone, vous vous mettez à lire ce bouquin que vous n’aviez pas touché depuis des mois… et votre vision du monde change.
Sans mon smartphone, je me suis reconnectée à mon intuition ! Il y a une grande part intuitive dans l’écriture humoristique. Or, on vit dans l’immédiateté, tout le temps, comme si notre cerveau avait besoin d’être tout le temps distrait. A trop être sur les réseaux sociaux, on se saborde un peu. On perd ce lien animal avec notre moi profond : c’est celui qui nous sert à créer.
Concrètement, comment s’est passé votre retour à l’intuition ?
J’ai retrouvé ma deuxième voix. Il y a deux voix en chacun de nous : la première, c’est celle qui parle, et la seconde est intérieure, c’est celle qui analyse. Cette deuxième voix n’aime pas les réseaux sociaux parce que ça l’empêche d’exister. Sans smartphone, j’ai appris à mieux observer autour de moi : la façon dont les gens se tiennent, agissent, je vais pouvoir le noter et en faire quelque chose plus tard… dans l’écriture.
Cette voix vous a permis de retrouver votre engagement, vos convictions…
Oui ! C’est aussi la voix de la morale et de l’éthique : c’est celle qui m’a permis d’arrêter de manger de la viande, par exemple. Beaucoup de gens ne veulent pas l’écouter parce qu’ils auraient d’autres convictions, et ça, ça ne les arrangerait pas… surtout en ces périodes de fêtes où on surconsomme : on n’a pas envie de savoir comment c’est fabriqué, qu’est-ce qu’on cautionne quand on achète, quand on consomme du plastique… la vie semble moins festive et divertissante. C’est pour ça que cette voix là, on la fait taire.
Vous évoquez votre rapport aux « haters » sur les réseaux sociaux… et vous citez, pour l’analyser, tout un passage de Nietzsche : au XIXème siècle, on avait déjà ce genre de problèmes ?
J’avais repéré ce passage chez Nietzsche depuis longtemps : ça fait du bien de lire ça ! Il était, lui aussi, confronté à des gens qui le critiquaient avec virulence. Il a fait leur portrait et c’est applicable à tous ces gens qui écrivent des horreurs sur internet. Je sais que les critiques sur internet peuvent faire très mal, mais c’est un problème qui a toujours existé. Peut-être que, même dans les grottes de Lascaux, il y avait déjà des messages de haters, je ne sais pas… Cette haine a toujours été là. Elle vient juste de gens frustrés, mal dans leur peau. C’est ce que dit très bien Nietzsche.
Je vois tout de suite quand les gens ont un problème : ceux qui publient 6 posts instagram dans la même journée, par exemple, je me dis : est ce qu’ils ne font pas ça pour les mauvaises raisons ? J’ai du mal a voir un comportement sain derrière ça.
Aujourd’hui, quelle relation avez-vous avec votre smartphone ?
C’est beaucoup moins déviant, même si c’est un rapport encore un peu conflictuel ! Avant je ne pouvais pas partir en vacances sans faire un Instagram. Je suis mieux dans ma peau maintenant. Je vois tout de suite quand les gens ont un problème : ceux qui publient 6 posts instagram dans la même journée, par exemple, je me dis : est ce qu’ils ne font pas ça pour les mauvaises raisons ? J’ai du mal a voir un comportement sain derrière ça.
Maintenant quand j’en poste quelque chose sur Instagram, je fais en sorte ça ait une utilité. En ce moment, par exemple, j’utilise Instagram pour montrer qu’un chat peut s’entendre avec un bébé, parce que beaucoup de gens pensent le contraire et abandonnent leurs chats…
A la recherche du temps perdu sur Internet, Christine Berrou (Flammarion, 19€)