Oui, vous lisez bien, un réseau social réservé 100% aux femmes, c’est le projet de Claire Suco, créatrice de MEUF qui vient de terminer sa première levée de fond pour ce projet ultra ambitieux qui souhaite concurrencer Facebook et Instagram ! Animée par l’envie de proposer enfin un espace en ligne en toute sécurité pour les femmes, à l’abris du cyberharcèlement et des attaques mascu’, Claire dessine les contours de cette nouvelle application gratuite (encore en phase de test), portée par sa communauté. Celle qui révèle avoir toujours cherché un espace d’écoute bienveillante suite à son avortement, semble enfin réaliser son rêve : proposer aux femmes une safe place où guérir ensemble. Rencontre avec une femme qui a fait de ses blessures passées son moteur.
MEUF était à l’origine une marque de vêtements aux punchlines féministes bien senties : en quoi ce projet a-t-il été une grande source d’épanouissement pour toi ces dernières années ?
J’ai créé Meuf juste après mon avortement. C’était à un moment de ma vie où j’ai ressenti le besoin de ma rapprocher d’autres femmes et je ne trouvais pas spécialement d’endroits pour le faire… A l’époque, je n’étais pas du tout prête à me lancer dans un projet tech’. Je pensais que ce n’était pas pour moi.
Je me suis donc tournée vers une marque de vêtements qui me paraissait bien plus simple à lancer, pour faire passer des messages dans la rue, au travail, développer un autre rapport à ce que l’on porte… Pour moi il existait, en tant que femme, une vraie charge mentale liée au vêtement : à quelle heure je vais rentrer ce soir, est-ce que ce vêtement est adapté…
Je voulais que le choix soit différent devant l’armoire avec des messages positifs et militants : comme l’inscription de métiers au féminin (cheffe, guerrière…) ou encore des mots comme « Sororité », « Gros ovaires »… Très vite, un des modèles a cartonné et a fait décoller la marque : c’était un T-shirt avec marqué TROP FORTE et entre les deux mots, plein de qualificatifs (grosses, souriantes…)… En 2019, j’ai fait une collaboration avec Angèle…
Je n’avais pas bien les contours de MEUF, je me suis lancée sans trop réfléchir. C’était un mois avant MeToo, et toute une communauté s’est fédérée autour de MEUF, bien au-delà de nos vêtements.
Claire Suco – Crédit photo Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur
Tu as su créer une grande communauté autour de ta marque, que tu as baptisée la MEUFIA : que t’a-t-elle apporté et en quoi elle t’a inspirée pour ce nouveau projet ?
C’est complètement avec elle qu’on a lancé notre application. Lorsque j’ai lancé ma marque de vêtement, la communauté qui s’est fédérée autour d’elle a commencé à m’envoyer des messages privés sur des thématiques que j’abordais sur les réseaux. Je recevais tous les jours des messages de femmes qui me disaient « Je pense que j’ai l’endométriose, pourriez-vous demander conseils à la meufia, j’aimerais rester anonyme. ». Je lançais des boîtes à questions tous les jours. C’est comme ça que l’idée s’est consolidée.
Tu as dévoilé il y a quelques semaines le lancement d’un réseau social sous forme d’appli 100% réservé aux femmes. En quoi ton expérience personnelle a été essentielle pour imaginer les contours de l’application MEUF ?
Quand j’ai avorté, je n’ai jamais regretté mon choix, mais ça été très difficile psychologiquement. J’ai essayé de trouver des groupes de paroles… Mes copines n’avaient pas avorté, mes sœurs non plus… Je ne trouvais personne pour me comprendre vraiment.
C’est fou, parce que je me rappelle avoir parlé de ce projet de safe place pour les femmes lors de ce groupe de parole : j’avais avorté la veille, et j’avais besoin de meufs réunies dans un espace bienveillant, sans culpabilité pour aborder nos épreuves de la vie.
Peux-tu nous expliquer en quoi l’appli consiste exactement ? Des forums sécurisés ?
Cela ressemble vraiment à Instagram : tu peux faire les mêmes choses (photos, vidéos, textes, audio, écrire des messages en privé…). Mais lorsque tu arrives sur l’appli, tu as un mur qui présente des thèmes. Dans tes paramètres, tu peux te créer ta propre safe place. Peut être que si tu as fait une fausse couche, tu ne veux pas voir les groupes de grossesse, etc, donc le paramétrage est important.
Claire Suco – Crédit photo Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur
Tu souhaites assurer la sécurité des femmes en ligne pour qu’elles puissent s’exprimer librement. Comment vas-tu assurer la non intrusion d’un public malveillant ?
On demande la carte d’identité et un selfie pour sécuriser l’endroit, car il n’y a pas que les hommes qui peuvent être malveillants. Il y a une modération intense et très attentive. On ne tolère pas plus de 3 signalements sur un membre.
Ton application est réservée aux femmes… Comment traitez-vous la question du genre ?
L’application est ouverte aux femmes trans aussi, aux personnes non binaires qui en ont le besoin si elles ont leurs règles par exemple. On bosse avec des personnes concernées de la communauté pour nous aiguiller car ni moi ni mon équipe ne sommes familiers avec ces enjeux.
Aujourd’hui tu as levé 500 000€ et la version bêta de l’appli est dispo : quelles sont tes prochaines étapes ?
Recruter à fond, organiser des évènements physiques…
Je compte lancer rapidement une deuxième levée.
Claire Suco, toute cette aventure te donne-t-elle parfois le vertige ?
Il y a 6 ans, c’est vrai que jamais je n’aurais pu lancer un projet pareil ! Mais j’ai de grandes ambitions pour MEUF.
Claire Suco – Crédit photo Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur
L’application est gratuite, mais comment allez-vous vous rémunérer ?
Nous sommes en ce moment dans une phrase d’observation : ce qui est prévu, c’est que l’appli soit gratuite et que l’on propose un abonnement premium avec accès à des conseils d’expertes, des réductions auprès de partenaires choisis… On travaille déjà avec des marques qui vont prendre la parole sur le sujet du harcèlement de rue. MEUF va se situer entre le média et l’influence.
Tu te confies par petites touches sur une enfance difficile… Ce projet est-il un projet de guérison pour toi ?
J’ai fait 15 ans de thérapie, j’ai bossé sur la réparation, mais on n’est jamais 100% réparée, nos blessures sont là pour toujours. Cependant, avoir été amochée ne n’empêche pas d’avancer. Parfois j’ai la sensation d’être ouverte de partout et que le vent me fait mal, mais j’avance. Je ne veux pas que ces blessures m’empêchent, qu’elles me condamnent à rester à un endroit.