C’est cinglant, ça tire dans tous les sens, c’est une leçon de vie qu’on ne s’attendait pas à recevoir ! C’est du Ramdane Touhami quoi. Dans toute sa démesure, sa provoc’ et son génie. Rencontre avec le “j’men-bas-lec” (sic !) le plus visionnaire de la beautysphere.
Ramdane est parti de loin, de rien même. Très jeune il s’impose dans l’univers de la mode, s’intéresse au parfum, à la Cire (Trudon), à la beauté, constitue un tandem en béton avec sa femme, Victoire de Taillac. Un duo de choc qui a fait renaître de ses cendres l’officine Buly 1803 à l’esthétique absolument unique. Aujourd’hui, ce casseur de code – qui n’aime pas qu’on l’appelle comme ça – déploie son art aux 4 coins du monde. On lui a volé 1h de Skype depuis le Japon, juste le temps de se prendre une claque (et un cours d’entrepreneuriat !).
Parcours éclectique, qualifié de touche-à-tout… On voit surtout une capacité à sentir le prochain air du temps. D’où te vient ce 6e sens ?
Je me pose encore la question, je ne sais pas. Quand on voyage et qu’on regarde ce qui se passe autour de nous, j’imagine qu’on arrive à savoir ce qui va arriver, on le flaire. Mais je ne regarde pas ce que font les autres, je crée et souvent la tendance arrive après (rires). Il m’est arrivé d’être trop en avance. Je me rappelle avoir acheté une veste qu’en réalité j’avais dessiné il y a 5 ans. On m’avait copié !
Et ça t’énerve d’être copié ?
Non, je m’en fous qu’on m’imite. Ça m’aurait énervé si je n’avais qu’une seule idée, mais j’en ai plein d’autres.
Aujourd’hui tu sens que tu maîtrises ce que tu fais?
Oui, totalement. C’est à 40 ans qu’on commence vraiment à maîtriser le processus créatif. Avant on tâtonne, on hésite. Maintenant ça devient très marrant, tout ce que je veux créer, je le crée parce que tout est possible créativement, logistiquement, financièrement. TOUT. Je contrôle la création, la vente, le marketing… chaque étape. Et ça, c’est grâce à mon expérience. Il y a des créatifs qui se contentent de créer et laissent la vente aux hommes de chiffres. Pour Buly, je veux tout maîtriser.

Ne seriez-vous pas un peu… control freak ?
Complètement. Chaque email doit être vu par moi. Le choix des mots, la tournure… Une marque est un ensemble où chaque détail compte et où tout doit être cohérent. Quand je regarde des produits concurrents, je capte tout de suite quand la création a été déléguée à une personne, le marketing à une autre, la vente à encore une autre. Ça buggue. C’est naze. On fait tout à deux avec Victoire [ndlr : sa femme et binôme en affaires] : le choix de la musique d’ambiance, le recrutement des vendeuses, les vêtements qu’elles doivent porter, tout doit être vu par nous de A à Z. Je cherche une cohérence absolue et pour cela, tout doit venir des mêmes personnes.
“Je paie 30 ou 40% de plus que la concurrence alors j’attends de mes équipes qu’elles soient capable de prendre un sabre et de se le mettre dans le ventre pour moi. “
Vous êtes archi dur en recrutement alors ?
Je prends très peu de personnes avec de l’expérience. Je commence souvent par les prendre en stage, je les engage ensuite. C’est plus facile pour les façonner dans mon style. Je considère qu’à partir du moment où on pousse la porte du bureau, c’est du 100% moi. Pas de texto, de facebook, d’instagram, RIEN. On n’a pas le temps pour ça, ce qui m’intéresse c’est ce que chacun produit, peu importe les heures qui tournent. Je paie 30 ou 40% de plus que la concurrence alors j’attends de mes équipes qu’elles soient capable de prendre un sabre et de se le mettre dans le ventre pour moi. J’ai eu des employés qui avaient bossé pour d’autres avant, ils craquent. Mais attention, mon équipe s’éclate ! On a une boîte au bureau dans laquelle chacun peut glisser une idée anonymement. Une fois par mois, on fait une réunion, on regarde toutes les idées et s’il y en a une que je trouve bonne, je la prends et je fais un chèque à l’auteur. Tout le monde a droit de participer, mais merde, c’est MON projet. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, allez monter votre boîte !

Vous avez inventé un nouveau geste chez Cire Trudon que tout le monde imite aujourd’hui : celui d’enfermer le parfum des bougies sous des cloches en verre.
Vous mettez un point d’honneur à être en rupture avec “ce qu’il se fait” ?
Je ne casse pas, les autres sont nuls, c’est tout. C’est la dictature du tableau EXCEL, on fait des études de bench’ nulles, du marketing de base, on trouve la personne à la mode, et bim ! On veut que ça marche, mais il n’y a plus de réalité, d’authenticité. Chez nous, on ne fonctionne pas comme ça, on y va au feeling, on explore, on va sur le terrain aussi. Aujourd’hui le gens sont bloqués sur les mêmes marques, ne vont pas voir ailleurs. Avec Victoire, je me rappelle être allé jusque dans un chenil pour tester une marque de beauté pour chien ! On n’a pas de limite, on s’intéresse à tout.
Et vous, comment vous la transmettez cette authenticité ?
Pendant 13 ans avec Victoire, on a compilé les secrets beauté du monde entier. On est allé voir la nana en Bolivie avec ses cheveux de dingue et on lui a demandé sa recette. C’est la partie immergé de l’iceberg Buly : ces champs, ces fermiers, ces gens de la Terre qu’on est allé rencontrer. De ces rencontres naissent les produits signés Buly.
Il y a 20 ans j’y connaissais rien à la mode, maintenant je suis intouchable.
Il y a 15 ans, je n’y connaissais rien en cosmétique, maintenant je suis intouchable.
Votre démarche est presque politique ?
Je ne sais pas si c’est politique mais c’est vrai que je suis ultra-politisé. Karl Marx avait raison : on est passé à un travail à la chaîne, on a cassé le savoir-faire, déshumanisé l’ouvrier pour fabriquer des produits désincarnés qui sont vendus dans des stores sans âme… Alors qu’avant, on avait cette fierté incarnée. Mais l’homme est là pour inventer, pas pour déprimer parce qu’il ne fait plus rien. Le cerveau est là pour être rempli, déjà qu’on n’en utilise qu’une micro-partie ! Alors je remplis. Il y a 20 ans j’y connaissais rien à la mode, maintenant je suis intouchable. Il y a 15 ans, je n’y connaissais rien en cosmétique, maintenant je suis intouchable.
On vous surnomme d’ailleurs serial-entrepreneur…
Je ne suis pas serial-entrepreneur. Je suis un mec qui vit sa vie, c’est tout. Et c’est pour cela d’ailleurs que mon bouquin préféré c’est Le Banquier anarchiste de Fernando Pessoa. Je pense que les consciences doivent changer, on est une génération de nazes qui pensent que si on a fait HEC et l’ENA, on peut diriger la France. Mais on n’apprend rien dans ces écoles. On apprend à apprendre. Mais on n’apprend pas. C’est pour ça que je préfère toujours embaucher des CAP que des HEC. Eux ils n’ont pas fait que lire des bouquins, ils savent passer à l’action, et c’est à leurs côtés que tu peux combattre.
Parce que vous voyez la vie comme un champ de bataille ?
C’est la baston totale ! On n’est pas là pour dormir. Je te rappelle que j’étais clodo en 95. Je viens de rien. J’ai dû m’imposer avec mon langage et ma dégaine dans les milieux complètement fermés de la mode et de la beauté. Je me rappelle de mon tout premier rendez-vous à Grasse pour le compte de Buly, le type m’a lancé “ Qu’est-ce qu’il fout là le bougnoule ?”. Ça a été dur de lutter contre les préjugées. La vie, c’est une baston sociale. Mais maintenant ils font la queue pour bosser avec moi.

C’est une revanche ?
Y’a pas de revanche. On ne joue plus dans les mêmes sphères. Je suis déjà trop loin pour eux.
Vous ne vous arrêtez jamais…
J’ai une vibe agressive, je carbure comme ça, sous tension permanente, et je ne peux plus redescendre. J’ai passé mes 18 premières années à ne pas bouger, mais maintenant, c’est fini. La routine c’est derrière moi et je n’y retournerai plus jamais.
Ce doit être compliqué de bosser avec vous, non ?
C’est vrai que c’est un enfer. Les nez par exemple avec qui je travaille deviennent dingues parce que j’ai une grande mémoire olfactive et qu’on peut faire des milliards d’essais avant de trouver le parfum que je recherche. Mais je me bats contre ces briefs pourris qui sortent de toutes les enseignes de parfum “pour les femmes torrides, sensibles, qui portent des talons, sur lesquelles les hommes se retournent…”. Les parfums BULY, ils sont créés pour toi, pas pour les autres.

Et vos projets à vous, ils ressemblent à quoi ?
J’en ai 6 en ce moment… Trois au Japon, c’est pour cela que je suis retourné là-bas. Je vais faire un magasin BULY à Tokyo, encore plus beau que ce que j’ai fait à Séoul. Je monte aussi deux projets pour deux nouvelles marques dont je ne peux rien dire encore. Fin décembre j’ouvre une toute nouvelle adresse food à Paris, rue Saint Honoré. La concurrence panique avec ce qu’on prépare… Victoire et moi n’avons rien laissé au hasard, on a tout dessiné, les verres, les couverts… Tout. Et puis le 15 novembre, je sors un nouveau site pour BULY, avec une toute nouvelle expérience sur le digital cette fois-ci. Des mecs m’ont suivi dans tous mes déplacements… Je veux montrer les hommes qu’il y a derrière chacun des 750 produits de BULY.
Pas trop dur pour vos enfants de suivre papa à travers le monde ?
Ils ont déjà fait 5 continents, quelle chance ! J’avoue que les plus petits ne réalisent pas trop. Ma plus grande, qui a 13 ans, est triste de quitter ses amis de Paris… Mais je leur dis qu’on est des gitans, faut vivre comme des gitans. C’est papa, il est comme ça.
Qu’est-ce qui vous émeut alors chez une femme ?
Une jolie peau, c’est le plus beau des maquillage. C’est pour cela je pense que j’ai choisi Victoire. En 16 ans de relation, elle a dû avoir 2 boutons. La peau reste ta carte de visite et dévoile la femme que tu es, parce qu’il y a tout dessus. Quand tu manges mal, ça se voit. Quand tu dors mal, ça se voit. Quand tu es stressée, ça se voit. A ce sujet j’y suis allée bien fort en Corée : j’ai dit qu’on trouvait les plus belles Coréennes en Corée du Nord parce qu’elles n’avaient pas la face refaite comme celles du Sud ! (rires)
Je vais te donner le meilleur conseil beauté que tu n’aies jamais entendu : cherchez à être heureuse plutôt que d’être jolie, parce que le reste suit !
Le conseil beauté de Ramdane ce serait quoi ?
Je vais te donner le meilleur conseil beauté que tu n’aies jamais entendu : cherchez à être heureuse plutôt que d’être jolie, parce que le reste suit ! C’est le plus beau projet de vie.