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Courtney Marie Andrews : « C’est dans ma nature de garder espoir »

En ces temps troublés où on a grand besoin de réconfort musical, on vous présente Courtney Marie Andrews, une pépite folk de 29 ans venue (virtuellement) des États-Unis avec un cinquième album envoûtant, dont le sujet n’est pas si éloigné du confinement… Rencontre Skype entre force et fragilité avec une artiste qui a beaucoup à donner.

Cette journée de promo pour ton album via Skype est unique en son genre… Où es-tu actuellement et comment as-tu vécu ces premières semaines ?

Je suis chez moi, à Nashville dans le Tennessee. C’est ma 3e semaine de confinement, et honnêtement je sens parfois l’anxiété monter. Mais je passe également beaucoup de temps à écrire ; cela m’occupe et me procure une stabilité émotionnelle.

Dans les moments difficiles, la création me sert de parachute émotionnel et me rassure particulièrement.

Honest Life (2017), l’un de tes précédents albums, a été lui aussi écrit après une rupture. Est-ce qu’il t’est plus facile d’écrire dans les moments difficiles ?

C’est dans ma nature de créer, d’écrire, de composer, quelles que soient les circonstances ; je ne m’arrête jamais, c’est quelque chose qui fait partie de moi. Dans les moments difficiles, la création me sert de parachute émotionnel et me rassure particulièrement. Mais de toute façon, je sais que si je n’ai rien fait depuis quelque temps, mon humeur s’en ressent ; j’ai besoin de créer pour équilibrer mon corps et mon esprit, c’est une nécessité.

Album Honest Life sorti en 2017 – Courtney Marie Andrews

Pour présenter ton nouvel album intitulé Old Flowers, tu as écrit une phrase qu’on ne peut s’empêcher de lire autrement aujourd’hui : « Cet album parle de l’amour et de l’attention portés à une personne avec laquelle tu ne peux pas être. » Comment reconsidères-tu ton album à la lumière de ce nouveau contexte de confinement et de séparation entre les gens ?

C’est vrai que j’ai beaucoup pensé au contexte inattendu dans lequel sortira l’album, celui d’une « rupture globale » des relations humaines, qui va au-delà de la rupture amoureuse, et qui donne bien sûr un nouveau sens à mes chansons. Il faut dire que j’ai vécu une forme différente mais également longue d’isolement durant l’écriture de l’album l’année dernière : après une rupture, je ne vais pas m’épancher chez un psy (trop cher !) ou auprès de mes amis : tout sort dans mes chansons. Par contre, je laisse ensuite chacun y mettre le sens qu’il souhaite, je n’irai jamais imposer une signification à ceux qui m’écoutent.

C’est dans ma nature de garder espoir quoi qu’il arrive, et je pense que cela se traduit dans l’album.

E.P “If I Told” de Courtney Marie Andrews déjà disponible :

Tes chansons, et particulièrement If I Told, procurent un sentiment de douceur et de réconfort malgré le thème triste et la nostalgie qu’elles évoquent. Comment as-tu réussi à créer cet équilibre dans les morceaux ?

C’est dans ma nature de garder espoir quoi qu’il arrive, et je pense que cela se traduit dans l’album. Comme je te l’ai dit, j’ai fait ma thérapie grâce à mes chansons : leur écriture m’a apporté du réconfort ; elles reflètent ce dialogue intérieur perpétuel où j’essaie de ne jamais laisser le côté sombre des choses prendre le dessus, sinon je ne peux pas me sentir en sécurité.

Musicalement, nous avons aussi essayé de créer une atmosphère douce dans les chansons, pour que la voix ne soit pas trop dure ou prenante. Les morceaux sont composés comme autant de souvenirs, et je pense que cet équilibre et cette douceur viennent de là.

Je suis peut-être « country » au sens européen du terme parce que mes influences viennent des années 60 et 70

Courtney Marie Andrews et ses musiciens

Tu as grandi dans une ferme en Arizona, et tu vis à Nashville, donc de notre point de vue français (qui regarde des séries du même nom…) ta musique est « 100% country ». Mais est-ce que c’est vraiment le cas pour toi ?

J’ai grandi en ville avec ma mère, mais comme elle m’élevait seule, c’est vrai que j’ai également passé beaucoup de temps dans le ranch de mon grand-père, un vrai cow-boy ! Tous les deux écoutaient de la country traditionnelle. Ce n’est pas cette musique qui m’a directement inspirée, mais plutôt les interprétations qu’en ont fait mes artistes préférés adolescente, comme Neil Young ou Bob Dylan. J’ai donc puisé à cette source « secondaire » mon style de musique, même si aujourd’hui j’aime beaucoup écouter des titres plus classiques. Donc je suis peut-être « country » au sens européen du terme parce que mes influences viennent des années 60 et 70, mais pas au sens américain…

Aujourd’hui, quand on parle de « country music » aux États-Unis, cela se réduit plus simplement à un top 40 et à des formats pop dans lesquels je ne me reconnais pas du tout

Alors comment décrirais-tu l’univers de la country aux Etats-Unis aujourd’hui et où est-ce que tu t’y situes ?

La musique country est un univers très particulier avec ses légendes comme Hank Williams, Loretta Lynn (« You Ain’t Woman Enough ») ou Tammy Wynette (« Stand By Your Man »). L’intention originelle de cette musique était de mettre son cœur et son âme à nu, d’exprimer une vulnérabilité avec des mots simples, compréhensibles, et avec une beauté évidente qui touchaient tout le monde : du cow-boy au plus grand compositeur, au plus grand poète, tous pouvaient se reconnaître et s’inspirer de la country. Aujourd’hui, quand on parle de « country music » aux États-Unis, cela se réduit plus simplement à un top 40 et à des formats pop dans lesquels je ne me reconnais pas du tout, excepté dans la volonté d’être compréhensible et de toucher tout le monde qui est restée.

Loretta Lynn – You ain’t Woman Enough

Tammy Wynette  -Stand By Your Man

Tu composes toutes tes chansons, tu écris également des poèmes ; quelles sont tes influences musicales et littéraires ?

Le  « roi » et la « reine » de mon univers sont effectivement deux poètes américains : Mary Oliver (prix Pulitzer, décédée l’année dernière ndlr) et Jack Gilbert. Ensuite musicalement, je dirais Joni Mitchell, poétesse elle aussi, et Aretha Franklin.

J’ai fini par réaliser et par accepter qu’on pouvait être une leader à la fois forte et fragile, que montrer de la vulnérabilité n’empêchait pas la puissance, et ça m’a ouvert un horizon de possibles !

Lors de précédentes interviews, tu as révélé avoir souffert de misogynie et de fortes pressions lors de tes débuts dans la musique à l’âge de 16 ans, ce qui t’a conduite à produire seule tes premiers albums. Aujourd’hui tu écris : « Je suis une femme seule au monde, mais heureuse de me connaître. » Quel a été ton chemin vers cette confiance en toi et cette acceptation ?

Il y a un an ou deux, une petite révolution s’est produite dans ma tête : au lieu de demander systématiquement un avis extérieur en pensant que j’avais besoin d’aide pour prendre une décision, j’ai tout simplement commencé à décider toute seule ! Il me semble que j’ai toujours su que j’en étais capable, mais je n’avais jamais réussi à passer à l’action. La raison ? Consciemment ou non, je pense qu’on n’arrive pas à se dire qu’on sera prise au sérieux, en tant que femme d’abord, et parfois uniquement à cause de cela !

J’ai fini par réaliser et par accepter qu’on pouvait être une leader à la fois forte et fragile, que montrer de la vulnérabilité n’empêchait pas la puissance, et ça m’a ouvert un horizon de possibles ! Ne pas accepter les idées ou les valeurs qu’on nous impose est un énorme pas en avant.

Il faut vivre pleinement ces aller-retours entre force et vulnérabilité pour savoir vraiment diriger et se diriger.

Crédit Photo : @kendallrock / Courtney Marie Andrews

Donc tu t’assumes pleinement aujourd’hui en tant que femme leader dans la musique?

J’ai toujours été une travailleuse, une forte tête avec une grande volonté ; mais ça ne m’empêche pas de douter parfois, et même de m’effondrer de temps en temps. Ça aussi, il faut l’accepter, c’est un chemin sans fin vers la terre promise ! Il faut vivre pleinement ces aller-retours entre force et vulnérabilité pour savoir vraiment diriger et se diriger. Je continue tous les jours à apprendre et à progresser.

A ce stade, la complaisance est la pire chose qui pourrait nous arriver.

Tu as réussi à rester optimiste durant de précédents changements inquiétants pour ton pays. Quelle est ta lueur d’espoir cette fois-ci ?

Honnêtement, ce qui se passe ici est effrayant, et on ne peut pas s’empêcher d’avoir peur. Mais les Américains ont une grande capacité à traverser avec courage les épreuves de leur histoire, et celle-ci sera, je l’espère, l’occasion de grands changements. J’ai lu récemment un texte sur la « révolution silencieuse » qui se met en place avec le confinement, et je la sens effectivement poindre dans nos petites communautés un peu partout dans le pays. Il y a beaucoup à faire, et je suis optimiste sur les capacités de ma communauté à avancer. A ce stade, la complaisance est la pire chose qui pourrait nous arriver.

Nouvel album Old Flowers le 5 juin

Pour la suivre c’est ici : @courtneymarieandrews

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