N 48°52’49.982″ E 2°18’35.715″ – Pièces de designers à chaque coin de mur, globes anciens posés en meute, nous voici dans l’intérieur hétéroclite et coloré d’Alexandra Senes. La créatrice de Kilometre nous a présenté sa toute nouvelle griffe de chemises style XIXe dont les motifs brodés mains révèlent les « Saint Tropez de demain ». Voyage en compagnie d’une inarrêtable touche-à-tout.
Le journalisme, l’événementiel, la télé, maintenant la mode… D’où te vient cette capacité à toujours transformer ton savoir-faire ?
Depuis ma vie de pigiste, j’ai cela en moi. A l’époque j’avais refusé d’écrire exclusivement pour Glamour, malgré la demande de sa rédactrice en chef Anne Chabrol. Je voulais continuer d’écrire pour Vingt Ans, cumuler les piges, les supports d’expression. Je ne pouvais donc plus assister aux réunions de rédaction, je présentais simplement mes sujets. Grâce à cette organisation, j’ai pu écrire pour Le Nouvel Economiste, pour Vingt Ans, pour ELLE, pour Beaux-Arts… J’ai appris à jongler, à écrire sur un ministre de la culture béninois, un puissant Richard Branson ou un navigateur comme Peter Blake tout en signant des papiers design et mode. Cette vie de pigiste m’a rendu baroudeuse dans mon travail, cela fait partie de mon caractère.
Je me rappelle d’une amie italienne qui m’avait dit « Quand une porte se ferme, un portail s’ouvre. ». Et à l’époque je lui avais répondu « Vaffenculo ! ».
Avec Kilometre, on a l’impression que tout te sourit : collaborations avec les meilleurs artisans et designers, emplacement luxe au Bon Marché… Tu n’as jamais connu de coups durs dans ta vie professionnelle ?
Si. J’ai vécu des morts de magazines, la mort d’un patron et des renouvellements d’équipes. Mais j’ai surtout pris une énorme claque professionnelle avec l’avortement d’un projet Harper’s Bazaar pour lequel j’avais presque tout lâché et surtout débauché 13 personnes… J’ai dû les licencier. Je me sentais terriblement mal, j’avais même honte… Suite à ça, je suis partie 1 mois en Afrique. J’ai acheté un téléphone là-bas dont j’ai donné le numéro à ma fille et mon avocat, c’est tout. J’ai pu faire le vide. Je me rappelle d’une amie italienne qui m’avait dit « Quand une porte se ferme, un portail s’ouvre. ». Et à l’époque je lui avais répondu « Vaffenculo ! ». Aujourd’hui, je sais qu’elle avait raison.
Comment tu en es venue à créer Kilometre ?
C’est arrivé lors d’une brocante rue de Bretagne, lorsque je suis tombée sur une chemise d’orfèvre d’homme. Evidemment j’ai commencé à raconter ma vie à la brocanteuse et je lui ai expliqué que j’avais une chemise similaire avec mes initiales brodées dessus. On a commencé à se raconter l’origine historique de ces initiales, comme étant celles non pas du propriétaire mais de la personne qui était chargée de les laver… La brocanteuse a fini par me dire que si j’aimais vraiment ces chemises, elle en avait un stock de 300 ou 400 pièces que son mari, ensemblier de cinéma, avait constitué pour le film Gladiator. Il en avait accumulées autant pour masquer une ligne de haute tension. Par la suite, il avait encore agrandi son stock pour les besoins du film Lincoln. Je lui ai tout acheté : 300 chemises en parfait état et 80 abîmées, rouillées, déchirées ou sans boutons. Je me suis demandée ce que j’allais bien pouvoir en faire…
J’ai ce projet dans la peau depuis plusieurs années.
Drôle d’achat compulsif ! Mais tu avais déjà eu une première expérience dans le textile avec Colette ?
J’avais fait un coup avec Colette 4 ans auparavant en lançant des tee-shirts flanqués des coordonnées GPS de lieux que je considérais comme les St Tropez de demain. Il y avait Comporta par exemple, que personne ne connaissait. Maintenant Starck y a une maison, les Seydoux aussi et d’autres Parisiens. J’avais mis Juta Street à Johannesburg, qui est l’équivalent de la rue Charlot à Paris aujourd’hui. J’avais appelé cette marque Kilometre, j’ai ce projet dans la peau depuis plusieurs années.
Pourquoi avoir choisi de mêler mode et voyage ?
J’ai toujours aimé la mode avec l’architecture, la danse… Jamais la mode seule. J’ai décidé de la lier au voyage car ce domaine est resté très ringard. Contrairement à l’art contemporain, la musique ou encore la bouffe qui ont su évoluer avec la mode, le voyage pas du tout. Les offices de tourisme, le monde hôtelier ou agence de voyages sont souvent très ringards à part Voyageurs du monde (ndlr : agence de voyage de luxe sur mesure) ou des chaînes comme Aman. Les « voyagistes »- quel horrible terme – ont oublié d’humer l’air du graphisme, les nouveaux codes esthétiques, les gammes chromatiques actuelles. Même le lexique du voyage est ringard. J’ai décidé d’aller vers un domaine qui, je crois, a besoin de moi, de Kilometre et des gens que je connais pour faire avancer le milieu. J’espère insuffler un peu de neuf.
Une fois, une acheteuse a enfilé une de mes chemises, s’est regardée dans le miroir et m’a demandé « Where Am I ? ». Je lui ai répondu « You understood everything ! ».
Quel est le message que tu as envie de faire passer à travers Kilometre ?
Une fois, une acheteuse a enfilé une de mes chemises dans sa boutique A’maree’s à Newport en Californie, s’est regardée dans le miroir et m’a demandé « Where Am I ? ». Je lui ai répondu « You understood everything ! ». C’est devenu la baseline de mon site. Je vends de la mode mais surtout du voyage, c’est ça mon message. J’ai vraiment pensé toute ma marque avant tout comme un label. Je n’ai pas voulu que mon site ressemble à un site marchand, car je ne veux pas que les personnes trouvent des produits, mais surtout qu’elles vivent un voyage unique dans des endroits qu’elles ne connaissent pas. Chaque chemise est vendue avec un passeport qui contient les coordonnées GPS et une description du lieu brodé. Kilometre c’est aussi faire faire des kilomètres.
D’autant plus avec la fondation Zellidja dont vous êtes partenaires ?
Oui, en plus. Cette année, deux boursiers de la Fondation sont partis avec le soutien de Mon Plus Beau Voyage et de Kilometre. Chaque jeune choisit le pays qui le fascine et réalise un projet autour d’un thème de son choix. L’un, bordelais, a travaillé sur ce que le graphisme change au mode de vie des Tokyoïtes et l’autre, parisienne, sur une île de tisseuses au Chili. Leur travail sera relayé sur le site de Kilometre et nos réseaux sociaux.
Tes chemises sont très colorées, très justes dans la représentation de tes destinations. Qui dessine les motifs de tes créations ?
C’est une histoire qui me plaît. Quand j’ai commencé à lister mes 20 destinations fétiches pour ma première collection, j’y avais notamment intégré Inhotim, un centre d’art au Brésil connu du milieu arty. À la même époque, une jeune fille, Apolline Risser, jeune diplomée de Penninghen, désirait travailler avec moi. Je n’avais rien à lui offrir car Kilometre en était encore au stade embryonnaire d’un projet personnel et je n’avais pas de financement, mais j’avais voulu la recevoir, par curiosité. Il se trouve que son mémoire de fin d’année avait porté sur un renouvellement esthétique de tout le centre Inhotim. Je lui ai proposé de dessiner ces 20 destinations si le projet l’intéressait. Et notre collaboration a commencé comme ça. Aujourd’hui je travaille avec plusieurs designers et artisans pour concevoir une collection plus large faite de coussins, de tapis, d’assiettes…
Je me considère comme une « jeune vieille créatrice » : je suis une jeune marque avec un réseau de vieille.
Se lancer dans le textile, c’est un métier à part entière. Comment gères-tu la production de tes chemises de luxe ?
J’ai vraiment découvert un métier à part entière et ajusté ma stratégie au fur et à mesure. Suite à une remarque de mon entourage me reprochant de déployer beaucoup d’énergie et d’argent dans un projet de chemises à taille unique, j’ai réalisé qu’il fallait que je les fasse reproduire en 3 tailles différentes ! La production se fait en Inde, aidée par un expert du milieu. Je les ai appelées « les inspirées », celles qui sont des copies de mes vieilles chemises du XIXe. Elles sont brodées là-bas à la main par des hommes. Pour les chemises de cent ans d’âge, elles sont brodées par des femmes au Mexique, que j’ai pu rencontrer au lancement de mon projet. Mais rien n’aurait été possible sans mon réseau. C’est pour cela que je me considère comme une « jeune vieille créatrice » : je suis une jeune marque avec un réseau de vieille. J’ai vraiment une chance folle, ça m’a fait gagner un temps fou de connaître les ficelles du métier. Et puis c’est aussi mon amoureux qui paie le loyer ! (rires)
Tu parlais d’un stock de 80 chemises abîmées… Qu’est-ce que tu vas en faire ?
L’idée est partie de l’histoire du wabi sabi que j’ai demandé à Philippe Trétiack de raconter. Un empereur avait brisé un vase ming et avait demandé à un restaurateur de le réparer. Au lieu de masquer les empreintes de l’accident, le restaurateur a marqué les « cicatrices » en doré. J’ai adoré cette idée d’assumer les traces du passé et de sublimer l’accident. Je compte faire pareil avec les chemises abîmées : je vais broder autour des déchirures, habiller les trous de couleurs. Tout ce stock sera travaillé dans le respect de ses défauts. Il est probable que ma clientèle ne soit que japonaise ! (rires)
La première fois que je suis allée à Tokyo, j’ai appelé Laurence Bénaïm en larmes, car j’avais perdu tous mes repères : je cherchais des équivalences avec Paris ! Ce qui n’est pas du tout la bonne façon de voyager.
C’est dingue le flaire que tu as pour détecter les hotspots de demain. C’est quoi ton truc ?
La première fois que je suis allée à Tokyo, j’ai appelé Laurence Bénaïm en larmes, car j’avais perdu tous mes repères : je cherchais des équivalences avec Paris ! Ce qui n’est pas du tout la bonne façon de voyager. C’est même ridicule. Je me rappelle qu’elle m’avait dit : « Sors tes antennes, c’est ça ta force ». Il faut se laisser sentir les choses et ne pas chercher à plaquer le modèle d’une ville sur une autre.
Où nous emmènes-tu cet hiver ?
À Costa Careyes, une plage au Mexique où il n’y a que des maisons de milliardaires. Le seul moment où l’on peut y accéder, c’est au Nouvel An, quand ils organisent une grande fête.
Sinon je vous emmène au MONA, le Museum of Old and New Art en Tasmanie. Son fondateur, David Walsh, a fait fortune en inventant un système de probabilité qui a lui a permis de gagner une fortune aux jeux et aux courses de chevaux. J’adore le personnage et sa collection est incroyablement dérangeante. Cela traite d’excréments, de mort, d’amour, c’est très dense et intense. C’est un fou que je souhaite absolument rencontrer.
Une autre chemise portera les couleurs de Procida, une île au Nord-Ouest de Capri, très peu connue du grand public, une pépite touristique. Un couple a reconnu la destination sur notre stand au Bon Marché et ils m’ont demandé pourquoi je dévoilais une si belle destination…
Justement, tu ne cherches pas à préserver ces petits havres de paix ?
Quand on connait un bon vietnamien à Paris, on le partage ! Les bonnes adresses s’échangent. Je considère que c’est pareil avec les destinations. Et les choses finissent toujours par se savoir, sans mon intervention, car elles correspondent à une évolution plus profonde des territoires. J’ai créé une chemise sur Pantin que je considère comme un futur Marais dans 10 ans. Un phénomène de gentrification est en cours là-bas : BETC ouvre une agence avec 900 personnes, les restaurants se développent, les crèches aussi… Le Grand Paris est poussé par le gouvernement pour qu’on aille au-delà du périphérique. Donc finalement je ne révèle rien, j’annonce en avance.
Tu spoilerais pour nous une destination de ta collection printemps-été 2017 ?
Roquebrune-Cap-Martin. Un russe a acheté une grande villa au-dessus de la plage, il a même essayé de s’emparer du littoral et heureusement ce ne sont pas des choses qui se font en France ! On y trouve aussi une « maison » de Le Corbusier [ndlr : une chambre de 13 mètres carré], Chanel vient d’y racheter une maison dont Coco avait été propriétaire. C’est un endroit qui a connu un âge d’or dans les années 50 et qui va revenir c’est certain.
Si tu devais choisir un lieu de vacances, tu nous emmènerais où ?
Teshima, une île japonaise conçue comme un musée d’art contemporain à ciel ouvert. On y trouve des œuvres monumentales intégrées à la nature, je me serais crue dans Alice aux Pays des Merveilles ! J’y suis allée avec beaucoup d’appréhension car je devais prendre un ferry, louer un vélo sur place… Je pensais sincèrement que ce serait une vraie galère pour s’y retrouver. Et en réalité c’est une île très facile à visiter, je m’y suis baladée seule de 6h à 18h. Je le conseille à tout le monde, bien plus que Noashima, l’île voisine, beaucoup plus « manucurée » avec ses hôtels de luxe.
La collection Automne-Hiver de Kilometre est disponible dans l’espace luxe du Bon Marché, chez Voyageurs du Monde (48 rue Saint-Anne) et en ligne, sur www.kilometreparis.com
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