Etrangement dérangeant, le dernier roman de Stéphanie Hochet interpelle ! Le pitch : une écrivaine débarque dans le Lot sur invitation des mairies locales pour la promotion de son livre. Isolée sans le savoir par une bande de néo-fascistes déterminés à faire renaître l’auroch, elle se retrouve à écrire le mythe de cette créature préhistorique disparue. Une fiction bigrement originale qui questionne l’humanité, la cause animale, les limites de la morale. Rencontre avec l’auteure !
Parlez-nous de vous…
Quand avez-vous commencé à écrire ?
Quand je suis partie vivre à Gasglow. J’avais un peu de temps libre et l’écriture a commencé là-bas. Il s’agissait au début de textes courts, de poésie. Puis j’ai glissé vers la fiction sous forme de nouvelles. A mon retour, j’ai envoyé mon premier manuscrit à des maisons d’éditions qui m’ont répondu non. Ce que je comprends avec le recul ! (rires) J’ai écrit par la suite un second texte que j’ai senti plus abouti et c’est finalement celui-ci qui a été publié en 2001.
Comment expliquer cette évolution entre les deux textes ?
La maturité et le sens critique que j’ai développé envers mes textes. Au début, on est toujours un peu amoureux de son texte, un peu narcissique. C’est pourquoi je conseille de s’entourer d’amis littéraires avec un sens critique pour nous faire progresser. Mais attention à ne pas faire appel à trop de lecteurs ! Deux ou trois personnes c’est bien car 10 lecteurs valent 10 avis et on ne s’en sort plus ! Et puis j’aime cultiver le secret. Même mon éditeur ne sait pas ce qui va sortir de l’écriture. J’ai besoin de le porter en secret pour préserver son intrigue.
Le métier d’écrivain est un travail d’écriture certes, mais aussi un long travail de promotion, ce que le grand public peut oublier. L’animal et son biographe s’ouvre sur cette réflexion. Pourquoi ?
J’ai voulu faire le portrait de l’écrivain sans gloire pour lever le voile sur un métier qu’on croit somptueux et confortable alors que pour beaucoup, il s’agit d’aller dans d’obscurs festivals où personne ne vous connait pour parler de votre livre que personne n’a lu ! (rires)
Vous faites souvent mention de l’amalgame qui peut être fait entre ce qu’écrit l’écrivain et ses convictions profondes. Vous avez déjà été confrontée à ces amalgames ?
C’est la première fois que je mets ce sujet dans un de mes récits. Effectivement certains lecteurs ont tendance à croire que nos personnages, ce sont nous et par conséquent que nous devons répondre de leurs discours et de leurs actes, ce qui est complètement fou ! Les anecdotes que je cite dans mon dernier livre ont été tirées de ma propre expérience : une femme m’avait demandé de me justifier de l’usage d’un mot alors qu’il sortait de la bouche d’un personnage de mon roman !
Parlons de votre dernier ouvrage…
L’intrigue de votre dernier livre se déroule à Cahors que vous dépeignez comme une région isolée où tout est possible, même les pires horreurs. Vous êtes fâchée avec le Lot ?
Non pas du tout ! Mais c’est vrai que je suis une vraie fille de la ville. J’ai eu quelques expériences de campagne mais carrément inquiétantes. Le Lot est une région magnifique mais j’ai été rapidement prise d’une sentiment d’isolement et d’angoisse car je ne conduis pas ! Ne pas être mobile dans ces régions accroît votre sentiment de vulnérabilité. Mon inconscient s’éveillait et imaginait des scénarios terriblement macabres ! (rires) Dans mon récit, l’écrivaine se retrouve elle aussi isolée en campagne. Incapable de s’enfuir même si on a du mal à saisir vraiment pourquoi…
La symbolique animale est très présente dans vos récits. Il est question dans votre dernier roman du mythe de l’auroch. Pourquoi une telle fascination pour l’animal ?
La symbolique animale a pris de plus en plus de place dans mes récits, c’est vrai. Malraux disait que le XXème siècle serait religieux. Pourrions-nous imaginer que la suite serait un retour à la mythologie, à la spiritualité animale ? Je pense que je fais partie des auteurs contemporains qui ont conscience d’avoir ignoré les animaux pendant des années alors qu’ils ont fait l’objet de culte pendant des années et que jusqu’au Moyen-Âge, le cochon habitait avec les hommes ! La période contemporaine a effacé tout cela, la symbolique animale n’existait plus. J’ai eu un réveil de conscience. Dans L’animal et son biographe, je remets au centre de l’histoire l’animal. A l’époque préhistorique, les animaux étaient les vecteurs d’une spiritualité. L’auroch était cet animal qui régnait en Dieu dans la grotte de Lascaux. C’est touchant de savoir que l’homme, lorsqu’il s’est fait artiste, a choisi l’animal comme sujet de création.
Vous militez pour la cause animale ?
Disons que je suis une militante cool. Je suis végétarienne depuis quelques années, vegan chez moi et plus flexible à l’extérieur. Pendant un temps, cela a été perçu comme de la sensiblerie et heureusement des auteurs ont pris la parole et on fait évoluer les mentalités. Je pense à Matthieu Ricard, Peter Singer et Jean-Bapstiste Del Amo, auteur du Règne animal sorti l’année dernière.
C’est passionnant de voir où en est l’être humain dans le traitement des animaux. C’est intéressant de savoir à quoi l’animal nous renvoie car les maltraiter, c’est devenir inhumain, manquer d’humanité !
Vous avez des animaux chez vous ?
J’ai adopté un lapin que j’ai trouvé dans un bar ! Une dame l’avait récupéré et le nourrissait mais ne pouvait pas le prendre avec elle. J’ai fini par craquer et l’ai pris avec moi. Je rêve plus tard d’habiter dans une grande maison avec des chiens et des chats et d’être odieuse ! (rires)
Revenons à votre livre, quel a été votre travail de recherche sur l’auroch ?
Je suis tombée sur son histoire par hasard sur Internet. C’est l’animal qui règne en Dieu dans les grottes de Lascaux et il a particulièrement fasciné l’idéologie nazie qui se disait défenseur de la cause animale, ce qui était faux dans les faits. L’auroch était perçu comme une race pure. Or il s’était éteint au 17ème siècle, chassé par les hommes. C’est pourquoi une équipe de chercheurs au service du régime nazi a tenté de le faire renaître. Cette histoire m’a fascinée ! Nous avions perdu le génome de cette espèce depuis bien longtemps, la reconstitution réalisée par les nazis n’a été qu’une supercherie faite de croisements douteux ! Quand j’ai découvert cette histoire d’auroch reconstitué, j’ai trouvé cela tellement passionnant que cela m’a inspiré pour un nouvel écrit : la narratrice se retrouve confrontée à un groupe déterminé à faire renaître l’auroch. Cela pose la question de l’eugénisme car l’homme détruit chaque jour des espèces… Pourquoi déciderait-il d’en faire renaître certaines et pas d’autres ?
Quand la narratrice accepte d’écrire le mythe de l’auroch malgré le projet fou de ceux qui l’entourent, qu’est-ce qui l’anime ?
On ne sait pas bien mais pour un écrivain, trouver le sujet qui va porter son texte est une aubaine ! Son côté écrivain prend le dessus. Elle sent probablement qu’elle va écrire son meilleur texte.
Remettre l’animal au cœur de vos récits est devenu presque une mission pour vous. Pourtant cela se fait dans des conditions effroyables dans L’Animal et son biographe. Pourquoi ?
J’ai une approche assez ironique et cynique du monde ! (rires) C’était important de montrer que plus un groupe est petit et isolé, plus il développe ses propres règles et ses propres lois. Loin du monde, ils pensent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Dans le récit ce n’est pas l’auroch le problème, ce sont les gens ! L’objectif de mon livre est de brouiller la frontière entre l’humain et l’animal par des projets fous !
Traiter de thématiques nazies est toujours délicat…
Moi cela m’intéresse. Je ne vois pas comment l’on peut écrire au XXIème siècle sans penser à ce qu’il s’est passé à cette période. Je fais souvent allusion à ce fantasme ignoble qui a eu lieu, à cette idéologie qui nous a menés à des extrêmes abominables. Je ne suis pas indifférente à ce qu’il se passe aujourd’hui et beaucoup de choses s’expliquent à partir de ce qu’il s’est passé en 39-45. Je ne suis pas là pour donner des leçons. Pour moi un roman n’est pas le territoire de la morale, mais il faut expérimenter quelque chose d’immoral ou au moins amoral ! L’animal et son biographe interroge la morale !
L’animal et son biographe aux Edition Rivages – 192 pages – 18€