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L’Impératrice : à la marge de la pop

Après une première rencontre avec Flore pour Matahari (cover girl du Prescripteur d’août 2018), on attendait avec impatience le deuxième album de L’Impératrice. Ils reviennent enfin avec Tako Tsubo, un petit bijou pop parfaitement ciselé, qui nous a donné l’occasion de les revoir en studio, et à 6 voix cette fois, pour un entretien et un shooting… hors du commun !

Votre groupe se nomme L’Impératrice, et ce deuxième album Tako Tsubo, avec sa pochette référencée manga,  fait clairement référence au Japon. C’est fait exprès ?

Flore : ce n’est pas une volonté mais plutôt une succession de hasards. Nous avons toujours été influencés par la culture japonaise, mais le titre vient plus de la signification du terme Tako Tsubo, « syndrome des cœurs brisés », que d’une envie de faire un album japonais. Et au-delà de son titre Tako Tsubo est traversé de beaucoup d’autres influences, qu’elles soient californiennes, ou sud-américaines.

Charles : le nom du groupe, L’Impératrice, fait référence à Théodora, la souveraine/courtisane byzantine déjantée qui était déjà présente dans notre troisième EP Odyssée, et le premier album, Matahari, porte le nom d’une espionne/courtisane néérlandaise. Des femmes de caractère, mais pas japonaises! Peut-être que ça va finir par arriver sur le 3e album, ce qui est sûr c’est qu’on aime bien brouiller les pistes !

L’impératrice – Photo de Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur


Entre votre précédente tournée,  un voyage à Tanger en 2019 et le confinement, comment est né ce deuxième album ?

Charles : Cet album a été composé après un voyage à Tanger  qui a été suivi par une tournée aux US et en Amérique du Sud. La Californie et le Mexique nous ont beaucoup inspirés ;on avait envie de retrouver cette atmosphère solaire pour composer, donc on s’y est mis entre juin et août. On a ensuite passé l’hiver en studio à enregistrer, et l’année de confinement à revoir notre copie. Il n’y a pas eu d’autre impact de cette période sur l’album, si ce n’est qu’on a pu prendre le temps de peaufiner et de ne pas déléguer à d’autres la finalisation comme ça aurait pu être le cas si on était repartis en tournée. Il y a même eu un petit dernier, Submarine, qui s’y est rajouté par la suite. Autant dire qu’on s’est complètement approprié cet album, qu’on l’assume à 600% et qu’on a hâte de le jouer en live !

Hagni : Matahari était un album d’automne, avec une couleur bleu nuit, composé près d’un feu de cheminée. Par opposition Tako Tsubo est clairement un album d’été, on a eu envie de changer de lieux et d’état d’esprit pour quelque chose de plus ensoleillé et joyeux.

Matahari était un album d’automne, avec une couleur bleu nuit, composé près d’un feu de cheminée. Par opposition Tako Tsubo est clairement un album d’été, on a eu envie de changer de lieux et d’état d’esprit pour quelque chose de plus ensoleillé et joyeux.

Hagni, du groupe L’Impératrice

Tako Tsubo signifie « syndrome des cœurs brisés » ; pour l’Impératrice vous le définissez comme « ne pas avoir le cœur assez accroché pour l’époque, pour la vie ». Et pourtant les morceaux de l’album s’imposent comme une série de pulsations de résistance à la mélancolie. D’où vous est venu ce mélange entre mélancolie et joie de vivre ?

Flore : Tako Tsubo est clairement plus sombre, avec des paroles ancrées dans le réel. J’y raconte des choses plus intimes et plus tristes aussi. Mais il y a toujours une forme de lumière qui vient contrebalancer la mélancolie soit dans les paroles, soit dans la musique, notamment dans des morceaux comme Hématome ou Submarine. Pour moi, la musique est cathartique, elle sert à exprimer des émotions pour qu’ensuite on puisse aller mieux, moi comme ceux qui nous écoutent. Les morceaux sont autant de pansements à l’âme quel ques soient nos maux. Seule je serais sûrement archi-déprimée dans ce processus, mais j’ai la chance de vivre ça en groupe avec les garçons, on a 6 moods différents et donc autant de façon de vivre et de transformer les émotions.

Les morceaux sont autant de pansements à l’âme quel ques soient nos maux. Seule je serais sûrement archi-déprimée dans ce processus, mais j’ai la chance de vivre ça en groupe avec les garçons, on a 6 moods différents et donc autant de façon de vivre et de transformer les émotions.

Flore, de L’Impératrice

David : contrairement aux thèmes qui sont mélancoliques mais pas tristes, l’album a été abordé avec trop de plaisir musicalement pour avoir envie de couler les gens !

L’impératrice – Photo de Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur

En parlant de couler, nous avons sélectionné pour notre playlist « pool party » de l’été les morceaux Submarine et Voodoo ?. Pouvez-vous nous les présenter ?

Flore : Submarine a été composé après tout le reste, on était en confinement chacun chez soi donc il n’a pas été fait en studio, c’est peut-être ça qui fait sa particularité.

Hagni : Submarine a aussi une couleur harmonique spécifique du fait d’une demande de notre entourage qui souhaitait un morceau plus fédérateur. Niveau composition au piano il ne s’appuie que sur des touches noires, une couleur qui correspond à une émotion moins limpide que les autres morceaux de l’album.

Flore : Voodoo ? ce sont les vibes californiennes et solaires qui dominent dans cette chanson, parfaite pour une pool party. Le thème, traité sur le mode de l’humour, est la peur de danser devant tout le monde ; ça m’est très personnel mais c’est sûrement le cas de beaucoup de monde !

L’Impératrice se définit comme un groupe de pop, mais on ressent encore plus sur Tako Tsubo l’influence de la French Touch (Air, Daft Punk). Quels sont vos liens avec ces artistes électro d’une génération antérieure ? Et ceux de la scène actuelle ?

Charles : alors il faut définir ce qu’on entend par électro. Pour nous c’est une musique construite sur le principe de la répétition avec des machines et des producteurs peu nombreux dans un studio, donc très différente de la nôtre qui est organique, avec 6 musiciens sur scène !

Achille : …mais c’est vrai qu’on a grandi avec la French Touch et que les artistes que tu cites nous ont forcément inspirés, au niveau des synthés par exemple. Ca fait partie des groupes qu’on a écoutés et réécoutés. Il y a aussi cette mélancolie en héritage chez les Air, Daft Punk, Phoenix… qu’on porte sur cet album.

Hagni : Et puis on est un peu geeks, on s’intéresse aux machines et aux transitions des DJs en live, dont on aime bien s’inspirer.

Comme dans Matahari et de façon encore plus ciselée, les mots de Tako Tsubo tranchent par leur mordant avec la douceur des mélodies. Dans quel ordre travaillez-vous composition et écriture ?

Flore : On a essayé de nous faire travailler autrement, mais pour le moment on a toujours le même ordre, qui nous convient ! Les garçons arrivent avec un instrumental plus ou moins verrouillé, une suite d’accords avec un arrangement plus ou moins poussé. Je fais la mélodie par-dessus avec du yaourt (fausses paroles ndlr) en leur proposant plusieurs pistes : une fois ce yaourt de mélodie validé je passe à l’écriture.

Pour Tako Tsubo on a travaillé par binômes, ça a bien fonctionné :Charles et David, Charles et Hagni, Tom et Achille. Moi je n’avais pas de binôme, ou plutôt si Marc de Fils Cara un jeune rappeur qui est venu m’aider sur Hématome et Fou, son pouvoir maïeutique comme il aime l’appeler est impressionnant !

L’impératrice – Photo de Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur

Dans Matahari, Flore, tes mots interpellaient avec un mélange de douceur et d’ironie. Dans Tako Tsubo, et notamment dans Hématome et L’Equilibriste on sent plus un monologue intérieur, comme en réflexion « post-partum » à ce qui vous est arrivé depuis le premier album. Comment as-tu opéré ce changement de point de vue ?

Flore : après Matahari, qui visait à faire groover au maximum la langue française et à s’imprégner de l’énergie du live, j’ai voulu écrire différemment. Les textes de Tako Tsubo sont donc plus ancrés dans la réalité. Dans un morceau comme L’Equilibriste par exemple, on arrive même à traiter au millième degré et avec ironie de la prépondérance du rap dans la musique. C’était une idée de Charles de voir avec humour la jalousie supposée qu’ont les artistes  indés face à l’explosion du rap. Tombée pour la scène rend quant à elle hommage à ceux qui se sont fait bouffer par le système, notamment au club des 27, les Amy Winehouse, Jimi Hendrix and co.. qui ont poussé le jeu à fond et sont partis trop tôt.

Peur des filles fait clairement référence à la misogynie, mais aussi au cycle menstruel et organes sexuels féminins. Flore, pourquoi cette chanson, et les garçons, comment vous l’abordez?

Flore : Peur des filles reflète une réalité misogyne à laquelle je suis confrontée comme beaucoup de femmes. Mais je ne me suis pas dit « je vais faire une chanson féministe sur cet album », même si je suis par ailleurs engagée. Les paroles sont venues naturellement sur la musique proposée par les garçons.

Peur des filles reflète une réalité misogyne à laquelle je suis confrontée comme beaucoup de femmes. Mais je ne me suis pas dit « je vais faire une chanson féministe sur cet album », même si je suis par ailleurs engagée.

Flore, de L’Impératrice

David : il faut l’aborder de la même manière que les autres morceaux, avec humour et au second degré comme dans le clip.

Charles : c’est clairement un morceau à message mais le meilleur moyen de le faire fonctionner est en effet de jouer sur l’ironie. On a aussi à cœur en tant que groupe d’exprimer la continuité du projet L’Impératrice, qui a été conçu comme une apologie de la femme et de la féminité tant dans le nom du groupe que dans les valeurs auxquelles on se réfère.

On a aussi à cœur en tant que groupe d’exprimer la continuité du projet L’Impératrice, qui a été conçu comme une apologie de la femme et de la féminité tant dans le nom du groupe que dans les valeurs auxquelles on se réfère.

Charles, de L’Impératrice

La célébrité et le pouvoir des réseaux sociaux traversent l’album sous différents prismes. Comment parvenez-vous à concilier ces deux réalités extérieures avec celle plus intimiste qu’impose le travail d’un groupe de musiciens?

Flore : en tant qu’artistes les réseaux ne sont pas absolument pas naturels pour nous ! Mais on a le label derrière et surtout « le stress du prochain post » assez présent, donc on s’y est tous mis, même Achille qui n’avait pas de compte Instagram perso jusqu’à récemment, vous pouvez le suivre maintenant!

C’est vrai aussi que le confinement a coupé notre lien essentiel avec le public qu’est le live et la scène. Normalement on vend nos vinyles après les concerts, on parle avec les spectateurs, il y a un lien organique qui se crée et qui nous a beaucoup manqué durant cette période. Les réseaux sociaux ont été un bon moyen de le maintenir, même si parfois c’est compliqué.

Charles : on a pas envie de faire du contenu pour le contenu, nous ne sommes pas influenceurs de métier mais musiciens. Pendant le confinement on a fait des efforts, on s’est surpassés dans l’humour et la drôlerie, mais on a hâte de revenir sur scène et de reconnecter en vrai avec le public.

Et pour te répondre sur la célébrité, ça me paraît plus un concept et une fabrication médiatique qu’une réalité. On demeure un groupe de 6 potes qui s’entendent super bien, et on reste extrêmement humbles sur notre musique et sur qui on est. C’est le ton qu’on veut donner sur nos réseaux aussi, rester simples et équilibrés pour être accessibles.

Le morceau Off to the Side  parle d’ailleurs de la liberté de sortir de la norme…

Flore : c’est vrai que cet album souhaite apporter un regard différent, comme à la marge, sur ce qui nous arrive, mais aussi par extension sur le monde dans lequel on vit. Cette rupture avec la norme se traduit dans notre musique, mais aussi dans nos vies au quotidien : on est musiciens, cela implique un calendrier différent, des contraintes différentes.

Achille : comme par exemple de sortir le lundi au lieu du samedi…

Hagni : …parce que quand on t’invite à faire la fête après un concert le samedi, tu ne peux pas car tu es crevé et tu travailles le lendemain !

Flore : ou quand tu t’enfermes 6 mois pour écrire et que tes amis te prennent pour une folle… C’est vrai qu’on a pas une vie « normale », et qu’il faut savoir gérer parce qu’on peut avoir des périodes non-stop suivies de (trop) grands moments de calme. Heureusement qu’on est tous les 6 et qu’on a ce super endroit pour travailler (la Sira à Asnières ndlr).

Tom : plus généralement sur le fait d’être à la marge, il y a une méconnaissance du métier de musicien. Quand tu dis que tu fais ça les gens te demandent « Mais c’est quoi ton vrai boulot ? »

Il y a une méconnaissance du métier de musicien. Quand tu dis que tu fais ça les gens te demandent « Mais c’est quoi ton vrai boulot ? »

Tom, de L’Impératrice

David : et j’entends beaucoup aussi « Tu arrives à en vivre ? » Ca vient vraiment d’une préconception française alors qu’on a une structure de soutien aux artistes avec l’intermittence qui est unique au monde. Aux Etats-Unis par exemple, être musicien est un métier, ce ne sera jamais remis en question.

Justement Tako Tsubo comporte 4 titres en anglais. Quels sont vos projets à venir à l’étranger ?

Charles : on va repartir aux US notamment avec Tako Tsubo, mais au-delà de ça les titres en anglais viennent d’une demande de notre public qui est seulement à 30% français ! On est très contents d’être un groupe international, et de pouvoir naturellement produire des morceaux en anglais au lieu de se forcer à les faire en français.

Hagni : chaque langue a sa musicalité, quelque soit le genre de musique. Si tu écoutes un opéra en italien ou en français, ça n’aura rien à voir…Donc on ne fera pas le même morceau en anglais ou en français.

Flore : c’est la mélodie et son yaourt qui dictent la langue utilisée, pas le contraire ! Après Matahari on n’a pas eu d’autre choix que la traduction, mais sur Tako Tsubo on a crée de façon organique dans les deux langues. Sauf pour Fou qui a deux versions, et qu’on a choisi de jouer en live en français.

Vous êtes également un groupe « inclusif », ouvert aux réinterprétations et remix en tous genres : y en a-t-il de prévus pour cet album ?

Flore : Il y en a déjà quelques-uns de sortis, dont Fou par Poolside et Voodoo ? par Lazywax, et on en a encore pas mal à proposer, toujours avec ce regard différent apporté par l’artiste invité. C’est pareil pour nos clips, on ne demande pas que ce soit une répétition ou juste un kick de notre morceau, mais plutôt une relecture où chacun apporte sa patte originale pour surprendre.

Hagni : Là encore, la nationalité des artistes avec qui on travaille a son importance, car ça donne un résultat très différent s’ils sont francophones ou non, ils choisiront de jouer sur les mots ou plutôt sur la musique…

Tom : …ou carrément de faire un remix avec la voix de la traduction Duolingo, ça peut être pas mal sur certains morceaux !

Nouvel album Tako Tsubo (microqlima) déjà disponible.

Pour en savoir plus : Instagram @limperatrice | Site officiel | Dates de la tournée Tako Tsubo ici.

Un grand merci à Alison et à l’équipe microqlima pour l’organisation de cette interview !

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