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Lucile Peytavin, celle qui dénonce le coût de la virilité

Quand Will Smith met une baffe à Chris, on est dans un exemple criant de masculinité toxique. Lucile Peytavin, historienne, nous montre, statistiques officielles à l’appui, que l’écrasante majorité des comportements asociaux sont adoptés par les hommes : ils représentent 96,3% de la population carcérale, 99% des mises en cause pour viols, pour incendies volontaires, 84% des auteurs présumés d’accidents de la route mortels… et cela a un coût réel pour la société. Un coût qui se chiffre à plusieurs milliards d’euros, l’équivalent de la dette française selon Lucile Peytavin. Dans son premier ouvrage choc, l’autrice dévoile ses calculs et nous balance sa conclusion : on économiserait beaucoup d’argent si les hommes se comportaient comme les femmes. Rencontre.

Quand as-tu commencé à te revendiquer féministe ?

J’ai l’impression d’avoir toujours été féministe même si je n’employais pas ce terme-là, car j’ai rapidement compris que je n’avais pas la même liberté que mon grand-frère. Je sentais qu’on n’avait pas la même place, qu’on nous ne demandait pas tout à fait les mêmes choses à la maison. Cela réveillait en moi une envie de rebellion ! (rires) En grandissant, j’ai pu voir les inégalités entre les hommes et les femmes et j’ai nourri et théorisé tout cela au moment où j’ai commencé mes études d’histoire, lors de mes cours sur le féminisme : une révélation ! J’ai enfin eu les outils pour penser les inégalités hommes/femmes, et ça ne m’a plus quittée.

Tu es historienne et chercheuse. Tu as réalisé une thèse sur la place des femmes dans le travail artisanal et le commerce. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

J’ai toujours voulu étudier le travail des femmes. En discutant avec ma directrice de thèse, on s’est aperçues que peu d’études avaient été réalisées sur la place des femmes dans le travail artisanal et le commerce. Je me suis rendue compte que ma grand-mère avait été modiste mercière dans une petit village de la Drôme… J’ai commencé à reconstituer le parcours de ma grand-mère, celui de mon grand-père aussi, car le travail des femmes est très lié à l’histoire de leur famille.

Ton travail a abouti à une mise en lumière du travail de l’ombre réalisé par les femmes, non reconnu par notre société…

Au début du XXème siècle, avant que l’INSEE ne soit mise en place dans les années 50, les gens devaient déclarer eux-mêmes leur profession sur les listes de recencement et les femmes mettaient très souvent « sans profession », même si elles travaillaient, car elle considéraient sincèrement ne pas avoir en avoir, ayant la plupart du temps apris sur le tas. On a attendu la fin du XXème siècle pour reconnaître la place des conjointes qui travaillent avec les artisans : les boulangères, les charcutières… Avant cette reconnaissance, celui qui avait le statut, c’était l’homme uniquement et cela posait beaucoup de problèmes : les femmes n’avaient pas de salaire, pas de couverture sociale, pas de retraite… J’ai enquêté pendant quatre ans sur ce travail de l’ombre pour ma thèse. Je souhaitais rendre visible l’invisible !

La coût de la virilité est ton premier essai. Personne avant toi n’avait eu cette approche novatrice d’analyser les comportements asociaux au prisme du sexe. Comment t’ai venue l’idée ?

J’ai du mal à répondre à cette question, car cette idée a infusé en moi et s’est aussi imposée à moi. En étant féministe, j’ai bien vu qu’on se battait beaucoup seules pour nos droits, et je me disais : ceux qui sont à l’origine de tout cela, qu’est-ce qu’ils font ? De ce questionnement m’est venue l’idée de m’intéresser davantage à l’impact des hommes dans notre société.

Et puis j’ai eu plusieurs exemples qui m’ont amenée à cette idée du « coût de la virilité ». Notamment mon beau frère qui me racontait qu’il passait tous les jours devant un skate park, et qu’il y avait toujours les urgences car un skater s’était gravement blessé. Ces comportements systématiques de mise en danger étaient 100% masculins, et le coût de faire venir les urgences quotidiennement bien réel.

Une fois que cette idée s’est installée, elle ne m’a plus lâchée. J’avais envie d’écrire sur le sujet, mais je faisais ma thèse… Et un jour, le titre de mon livre m’est venu comme ça, et ça a été tellement évident, que ça m’a donné l’élan nécessaire ! Je voyais que personne n’avait mené une telle étude, il fallait que je le fasse.

Ta démarche s’appuie essentiellement sur des statistiques officielles. Certaines t’ont choquées plus que d’autres ?

Un chiffre qui m’a choquée et qui est aussi à l’origine du livre c’est le pourcentage des hommes dans la population carcérale : ils représentent 96,3% des détenus. Quand tu sais cela, tu peux te demander pourquoi cela ne fait pas plus débat ? Les prisons sont pleines d’hommes, le Ministère de la Justice et de l’Intérieur sont dirigés par des hommes : comment se fait-il que ce ne soit pas un prisme de questionnement ?

Lucile Peytavin

La sécurité intérieure est approché par le biais de l’âge, du milieu social… mais jamais du sexe ! Un grand nombre d’infractions ne sont pas recensées par sexe d’ailleurs, ce qui fait que mon chiffrage est probablement sous-estimé. Je n’ai par exemple pas pu recueillir les statistiques par sexe des atteintes à l’environnement ou de la fraude fiscale…

Quelles a été la plus grande difficulté pour réaliser ton livre ?

Trouver les études statistiques !

Je pense que l’Etat a les données, mais les études publiées ne reportent pas cette différence hommes/femmes, alors que c’est le premier critère qui définit le profil des délinquants et des criminels.

Lucile Peytavin

Peu importe la catégorie que l’on prend : tranches d’âge, milieux sociaux, niveaux d’éducation, zones géographiques… Il y a toujours un gouffre statistique entre les hommes et les femmes, et ce sont toujours les hommes, dans l’écrasante majorité qui adoptent des comportements asociaux.

Selon les statistiques diffusés par le Minitère de l’Intérieur en 2020, les hommes sont mis en cause pour 86% des homicides volontaires, pour 99% des viols, pour 97% des violences sexuelles, pour 75% des injures, pour 78% des menaces, pour 95% des vols avec armes, pour 91% des cambriolages, pour 68% des escroquerie et abus de confiance, pour 87% des atteintes à l’autorité de l’Etat… La liste est encore longue.

Lucile Peytavin
Lucile Peytavin – Crédit photo Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur

Ton but est-il d’influencer les politiques de prévention pour qu’elles soient orientées vers les hommes ?

Oui ! Quand on étudie la sécurité intérieure par un autre biais, on passe à côté des causes, on ne s’interroge par sur les origines ! On dépenses des milliards chaque année pour contenir ces comportements associaux, mais on pourrait tellement économiser en s’attaquant aux racines du mal !

Tu dénonces finalement notre système patriarcal qui fait l’apologie de la violence…

La solution est simple et on l’applique sur la moitié de la population.

Lucile Peytavin

Les femmes, qui représente 51% de la population, sont plus pacifistes, altruistes, respectent plus les règles. Elles sont peu ou pas éduquer à travers cette éducation de la loi du plus fort. Elevons les garçons comme les filles !

On incite beaucoup les filles à adopter les codes de ce monde de dominant/dominé, mais c’est aller dans la mauvaise direction !

Lucile Peytavin

Il faut valoriser les valeurs dites féminines d’empathie, d’altruisme. La sociologie et les sciences de l’éducation ont mis en lumière comment le système patriarcal s’immiscait dans nos vies, dès le plus jeune âge : les histoires qu’on nous lit, l’alimentation qu’on nous donne… Nous avons les clefs pour comprendre comment notre société se construit de la mauvaise manière, on peut changer la donne même si le travail est titanesque.

Les femmes sont les premières victimes de cette virilité toxique, et les hommes dans tout cela ?

En abordant cette question par les coûts et les chiffres, langage universel, j’espère sensibiliser les gens sur les conséquences financières mais aussi sur le coût humain : souffrances physiques, psychologiques… Quand on coupe un homme de ses sentiments, quand il a une image dure de la virilité, il va par exemple s’adresser trop tard à un professionnel de santé quand il est malade, tout cela guidé par l’idée qu’il faut être fort, ne pas se plaindre, n’afficher aucune faiblesse. Une telle image de la virilité a une incidence directe sur la santé des hommes, sur leur avenir. A l’âge de 14 ans, les garcons ont 70% de risque en plus de mourir dans un accident qu’une fille ! Les hommes sont mis en cause pour 93% des infractions sur les stupéfiants, pour 91% des infractions liées à l’alcool ayant entraîné des accidents de la route mortels.

En changeant notre façon d’éduquer les garçons et en adoptant des politiques de prévention spécifiques aux garçons, on protège les femmes de ces violences systémiques, on protège la vie des hommes de leurs propres comportements asociaux, et on fait des économies !

Lucile Peytavin
Lucile Peytavin – Crédit photo Solenne Jakovsky pour Le Prescripteur

Revenons justement à ce coût de la virilité que tu évalues à l’équivalent de la dette française, soit plus de 95 milliards d’euros par an. Comment t’y es-tu prise pour le chiffrer ?

Calculer le coût de la virilité revient à évaluer les conséquences financières des comportements masculins asociaux causés par l’acculturation des hommes à la violence. Pour cela, il faut déterminer l’ampleur puis chiffrer les moyens déployé par l’Etat pour y faire face, mais aussi considérer et estimer le coût humain lié à la souffrance des victimes. Je détaille dans mon livre les équations qui m’ont permises d’arriver à un tel résultat.

Sont souvent très médiatisées les affaires des empoisonneuses et des meurtrières qui choquent particulièrement le public…

C’est dû probablement à son caractère exceptionnel et transgressif ! La délinquance des femmes est un fait plus rare, et par conséquent, peut-être plus effrayant, ce qui explique l’appétence des chercheurs en sciences humaines et des médias pour l’étude de ces cas en particulier.

Quels sont tes projets en cours ?

Je travaille sur un deuxième ouvrage sociologique… Et j’ai terminé un nouveau travail statistique pour La Fondation des Femmes et l’association Genre et Statistiques avec mon amie Ginevra Bersani. Ce nouveau rapport révèle le coût des inégalités, une perte de richesse engendrées chaque année par la France en raison des inégalités femmes-hommes.

Quels résultats a donné ce rapport sur le coût des inégalités hommes/femmes ?

Le coût total des inégalités est de 102 milliards d’euros par an (estimation basse). Dont 3,6 milliards sont liés aux violences conjugales, 89,3 milliards sont liés aux comportements virils, 5 milliards sont liés aux inégalités économiques et 3,6 milliards sont liés à la santé. A titre individuel, un viol coûte à la victime 810 000 euros (estimation haute) / 60 000 euros (estimation basse), l’inégalité salariale coûte 5 420 euros par an aux femmes et en couple ces dernières dépensent 25 169 euros de plus que leur conjoint. Le coût global des inégalités est largement sous-estimé par manque de données, notamment dans le secteur de la santé. Nos résultats indiquent un ordre de grandeur et non un montant exact.

Si tu avais un message à faire passer au travers de ton livre, ce serait quoi ?

Je dirais que c’est sa conclusion !

Sans le coût de la virilité, on vivrait dans une société plus riche et plus apaisée.

Lucile Peytavin

La virilité est un ennemi difficilement saisissable. Elle prend la plupart du temps les contours d’un visage masculin, mais elle est en chacun de nous. Dans notre façon de penser, de nous comporter, de voir le monde. Elle façonne nos modèles éducatifs, nos rapports sociaux et modèle notre société. En cela, elle est un ennemi difficile à déloger.

Mettons fin tous ensemble à la virilité qui pervertit, qui viole, qui bat, qui tue, qui écrase, la virilité qui ruine. Le coût de la virilité n’est pas une fatalité.

Lucile Peytavin

Son livre Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes (17,90€, éditions Anne Carrière) est disponible ici.

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