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Maître Isadora & Miss Hyde – Chapitre 3

En août, ça se réchauffe sur Le Prescripteur… Découvrez chaque mercredi sur le blog, un nouveau chapitre de votre nouvelle érotique de l’été à lire secrètement sous le parasol ! Embarquez dans l’histoire passionnante et dévorante de… Maître Isadora & Miss Hyde, de Esmeléïa Brandt. Ne vous fiez pas aux apparences… Une collaboration avec les éditions MA Next Romance, littérature pour adulte. 

Isadora.

 

Qu’est-ce qu’une obsession ?

Une obsession est une idée, une image, un mot qui s’impose à l’esprit sans relâche.

Je peux dire sans aucun doute possible que, dans ce cas, je suis gravement atteinte. Je dors en pensant à Janus Gregor. Je me lève en pensant à Janus Gregor. Je travaille, mange et parle avec en tête l’image de Janus Gregor. Toute la sainte journée, j’ai la vision de son corps tendu dans les affres du plaisir gravé dans la rétine. De sa stupéfaction lorsque j’ai léché mes doigts en le défiant, et de combien je me suis sentie puissante à cette minute.

Ce pur shoot d’excitation m’a permis de passer le reste de la soirée sans le regarder, jusqu’à l’ignorer de la plus superbe des façons.

Est-ce que je l’ai oublié ensuite ?

Non.

Bien au contraire. J’ai l’irrémédiable envie de recommencer.

Et ça fait trois mois que ça dure, que je le suis, le poursuis, le harcèle.

Disons plutôt que Miss Hyde le harcèle. Maître Isadora se doit de rester irréprochable. Et c’est bien là tout le problème, parce qu’à l’inverse plus Janus rencontre Miss Hyde et la repousse, plus il s’accroche à l’idée d’une histoire avec Maître Isadora.

Nous nous cherchons, nous rencontrons, nous touchons, avec cette conscience aiguë que l’autre n’est pas totalement celui qu’il prétend être.

L’obsession encore une fois.

Terrible et implacable.

Qui ne vous quitte jamais.

Je suis actuellement en pleine audience et je suis censée écouter avec attention l’avocat de la partie adverse, mais mes pensées dérivent immanquablement vers Janus Gregor.

J’en suis presque à détester son nom. Et pourtant, j’y reviens encore et toujours. Quelque chose m’attire chez cet homme et je ne comprends pas quoi. Le pire, c’est que je sais que, tant que je n’aurai pas trouvé,  je continuerai à tourner en rond.

J’ai bien fait des recherches supplémentaires, mais force est de constater que je n’ai rien appris de plus. Peu d’historique numérique. À peine trois courts articles où son nom apparaît brièvement. Pas de Facebook ou Instagram. Un compte en banque à peine garni.

Pour moi, tout cela signifie que j’ai en face de moi un criminel de grande envergure. Le mec sait protéger ses arrières, c’est évident.

Janus Gregor, comme tous les hommes de sa trempe, a des choses à cacher. Pour ma curiosité c’est inconcevable. Pire même, il devient un fantasme malsain coincé entre rêve et réalité, entre envie de l’assouvir et envie de le laisser courir.

Mais j’ai besoin de savoir. Besoin de tout connaître de lui, de sa vie, de ses défauts, de ses vices et de ses péchés. Surtout de ces derniers.

J’ai envie d’être celle par qui le jugement va arriver. J’ai envie de le faire sombrer et de sombrer avec lui. Peut-être mon obsession vient-elle de là, après tout. De ce sentiment que je suis au moins aussi mauvaise que les criminels que je défends.

Ou pas.

Peut-être suis-je tout simplement en train de perdre les pédales ?

Mes pensées m’ont accaparée jusqu’à ce que j’arrive chez moi. Il est midi passé de trente minutes. En entrant dans mon appartement, je jette la clé sur le meuble qui se trouve juste à côté. Je me déchausse, file dans ma cuisine où je déboutonne mon chemisier tout en attrapant une bouteille d’eau. Je réfléchis à notre situation. Il faut que je frappe un grand coup.

Peut-être est-il temps d’aller chez lui ? Histoire d’en apprendre plus. Histoire de comprendre aussi cette attirance commune.

Il faut que je sois réaliste, je ne sais rien à son sujet, à part son identité, son adresse et son emploi. Le reste ? Ce qui compte réellement ? Je ne sais pas. Plus ça va, plus j’éprouve ce besoin grandissant, pressant même, de découvrir ce qu’il est tout au fond et comment il l’est devenu.

Pour le moment, Janus reste une énigme englobée dans un mystère.

Je le veux lui et tout ce qui fait qu’il est lui, justement.

Je désire toucher du doigt ses contradictions. Comme sa façon qu’il a de me faire sentir si femme, tout en me rabaissant au rang de simple réceptacle de son bon plaisir. Je veux me les approprier  pour qu’il me soit ensuite entièrement attaché. Lié à moi d’une façon indéfectible, permanente et inaltérable. Pour que j’emplisse ses pensées chaque seconde de chaque minute et de chaque heure qui passe.

Je veux qu’il soit obnubilé par moi comme je le suis par lui. Parce que, depuis que nous nous sommes rencontrés, que nous nous sommes cherchés, je suis irrémédiablement devenue dépendante de lui. Pourtant, je ne le connais toujours pas. Cela me rend folle.

Il faut que ça cesse.

Pour ça, je n’ai qu’une solution. Oserai-je aller jusque-là ?

Me rendre chez lui pendant qu’il travaille et fouiller ses affaires ? Son intimité ? Sa vie ?

Rien que d’y penser, une déferlante d’adrénaline envahit mes veines. J’ai besoin de savoir. C’est plus fort que moi, plus fort que tout. C’est une nécessité. Cela me galvanise. J’en deviens pressée. Alors je me force à m’organiser. Pour ne pas faire n’importe quoi. Ce sera peut-être ma seule opportunité. Je n’aurai sans doute pas d’autre chance. Il est hors de question que je la gâche sous le coup de la précipitation.

J’enfile mon costume de Miss Hyde. Je force sur le maquillage pour gommer les traits reconnaissables de mon visage. Je mets mes lentilles et ma perruque blonde. Un jean noir, un pull col roulé noir également, mes baskets.

Comme à chaque fois que je deviens Miss Hyde, je sors de l’autre côté de mon immeuble. Je soupire en regardant ma voiture. J’espère vraiment que je vais pouvoir conduire.

Je m’installe derrière le volant, boucle ma ceinture et démarre. Je ne ressens rien d’autre que le besoin d’assouvir ma curiosité et  cette frustration. Ce manque d’information. Ce manque de lui.

Tout mon être est mobilisé pour ça et uniquement ça : la prochaine dose.

 

Tristan.

 

Au-delà de mon enquête qui piétine, ma petite avocate a occupé la totalité de mes pensées. Je me suis rencardé sur elle. Elle est efficace et sans pitié, étonnamment opiniâtre et sans scrupule quand il le faut. Et pourtant, il y a un truc chez elle que je ne m’explique pas : Miss Hyde.

Miss Hyde qui m’a pris en chasse, que j’aperçois très régulièrement au moment où je m’y attends le moins. Miss Hyde qui est tout l’inverse de Maître Isadora, qui semble sans cesse être dans mon ombre et qui me lance des regards qui feraient craquer Gandhi en personne. Comme si elle attendait quelque chose de moi. Et je n’arrive pas à comprendre quoi, ni pourquoi moi.

En revanche, je sais reconnaître une chose : lorsqu’une personne est acculée. Piégée. Dans l’impossibilité la plus totale de se défendre. Ou du moins de réagir.

Maître Isadora est dans cette situation, je le jurerais.

Miss Hyde semble être une projection de tout ce qu’elle ne peut pas être : libre de penser, libre de vivre, libre de mourir même.

Je ne devrais pas m’en préoccuper, mais je n’y arrive pas. Cette femme et ses secrets m’empêchent de me concentrer pleinement. Elle est toujours dans un coin de ma tête. Je ne parviens pas à la cerner aussi bien que je le voudrais et son petit numéro d’Heidi ne rentre pas complètement dans les cases.

En un sens, Isadora Cambor me ressemble.

J’ai la désagréable sensation d’avoir affaire à une collègue : une infiltrée. Obligée de peser chaque mot, chaque geste, chaque pensée. Parce que même une simple pensée peut être dangereuse. Contrainte d’accepter l’inacceptable, parce que la frontière entre les notions de bien et de mal n’existe pas tant que ça, au fond. Parce qu’il faut des gens qui fassent simplement ce qui est juste, pour que la barrière entre les deux ne soit plus aussi floue.

Isadora protège sa sœur, une innocente. C’est un acte juste qui implique qu’elle accepte de se compromettre, tout comme moi je laisse mourir quelques personnes pour en sauver des centaines d’autres. Je n’ai pas le droit de la juger, et pourtant je n’aime pas ce qu’elle fait. Je n’aime pas le type de gonzes qu’elle défend. Dans le lot, il y en a des sacrément malsains et je sais de quoi je parle.

Et puis, il y a ses heures de bénévolat qu’elle donne à une association pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. Ça non plus, ça ne rentre pas dans les cases.

En fait je me rends compte très ironiquement que je poursuis Maître Isadora tout comme Miss Hyde me colle au cul dès qu’elle le peut. Nous évoluons dans le même cercle. Tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, mais sans jamais vraiment nous rapprocher du cœur de la cible.

Les pieds sur mon bureau, ma Gauloise à la main et soufflant encore ma fumée vers le plafond, je suis en train de réfléchir à ce que je vais faire avec elle quand la porte s’ouvre.

— Ah ! Janus tu es là !

Le patron de L’Organique, Stephano Serkis, fait son entrée. Je ne me lève pas, mais consens à ôter les pieds du bureau. Soyons clairs, ce n’est pas par respect que je fais ça, mais juste parce que j’ai besoin d’être en vie encore un peu, si je veux mener à bien toute cette foutue opération.

— Monsieur Serkis.

Ça m’écorche vraiment la gueule de lui donner du monsieur, mais bon je n’ai pas vraiment le choix pour l’instant. J’écrase mon mégot dans le cendar et me redresse en le dévisageant par en dessous.

Serkis me sourit, comme s’il savait exactement ce que je pense de lui. J’ai vraiment envie de lui agrandir son sourire vicelard à coups de lame de rasoir. Mon heure arrivera. La sienne avec. Tout vient à point à qui sait attendre.

— Tu as buté Corso ? me demande-t-il en s’asseyant en face de moi.

C’est vrai qu’il n’était pas là ce soir-là. Il vient juste d’apprendre mes exploits à son retour. Je ne sais pas où il était. Je ne suis pas encore totalement dans le premier cercle. Mais je m’en rapproche jour après jour. Serkis ne fait pas confiance facilement. Je suis peut-être le chef de sa sécurité à L’Organique et je m’assure du bon fonctionnement de son trafic, mais il n’est pas encore prêt à me présenter au Big Boss. Or, c’est lui que je veux. Celui qui tire toutes les ficelles et qui tient les cordons de la bourse, sans parler des couilles de tout le monde.

Je le fixe sans ciller et hausse les épaules, l’air fataliste et blasé.

—Il a salopé la livraison. J’aime pas qu’on salope le boulot. Faut nettoyer derrière et j’ai pas vraiment l’âme d’une ménagère.

Serkis hausse un sourcil et soupire. Il hoche la tête acquiesçant très naturellement à ma confession, comme si c’était normal de descendre un mec de sang-froid.

— Décidément, le bon personnel se perd.

Je ne relève pas. Que répondre à ça ?

— Tu as bien fait, reprend-il. Tu manques un peu trop de respect et d’élégance à mon goût, Janus, mais tu fais un travail efficace et avisé.

Je ne dis toujours rien. Pour le respect, je reconnais qu’il a visé juste. Pour moi, Serkis est une sous-merde qui n’a ni dignité ni humanité. En revanche, en ce qui concerne l’élégance ?

— Désolé, mais ressembler à un pingouin juste pour faire la marche de l’empereur en me dandinant comme un con, très peu pour moi.

Serkis secoue la tête, mi-agacé, mi-amusé. Il se relève en rajustant le bouton de sa veste de costume d’homme pingouin.

— Il y aura une livraison spéciale ce soir. Je veux que tu la supervises et que tu t’assures que tout se passe au mieux. Je ne veux de problèmes ni avec mon produit, ni avec le client. Je suis clair ?

Si je me crispe à l’intérieur, je n’en montre rien et me lève à tour.

— C’est vous le boss.

— Le camion de marchandises arrivera à vingt-deux heures.

Je me contente de mettre les mains dans mes poches, l’air de m’en foutre royalement. Toujours montrer assurance et impassibilité. Il n’y a que comme ça que les pourris te respectent et te font confiance.

— Cela pourrait te permettre de monter encore un échelon, Janus, me précise Serkis. Ne me déçois pas.

Je reste de marbre pendant qu’il tourne les talons sur cette menace implicite. Mais dès qu’il a le dos tourné et pour la première fois depuis des jours, je souris.

Enfin.

J’approche du but.

Ma petite avocate devra attendre un peu.

 

Isadora.

 

La route pour aller chez lui me semble durer des heures alors qu’en fait il ne s’écoule qu’une vingtaine de minutes en tout et pour tout. En revanche, je dois tourner un moment avant de trouver une place. Pas trop près pour éviter de me faire repérer. Je préfère prendre mes précautions. Ni trop loin non plus, pour garder de la visibilité sur son immeuble. Je reste encore une heure entière dans ma voiture, les yeux levés vers l’étage de sa fenêtre. J’ai observé longuement et je n’ai rien vu bouger. J’imagine donc qu’il est déjà sorti. Je file vers l’entrée.

Premier obstacle.

Je regarde les noms inscrits sur les boîtes aux lettres. J’en mémorise un ou deux, au cas où, puis j’appuie au hasard sur une sonnette d’un appartement au dernier étage. Pas de réponse. Merde. Deuxième essai.

— Oui ?

Une voix d’homme. Je prends mon intonation la plus ingénue possible.

— Excusez-moi de vous déranger, mais je suis restée bloquée dehors en sortant les poubelles. Je suis du second étage. La voisine de Mme Prébost. Mais elle ne répond pas. Vous pourriez m’ouvrir, s’il vous plaît ?

— Madame Prébost est sourde comme un pot, rigole mon interlocuteur.

Merci madame Prébost et merci ma chance. Pourvu que ça dure.

La sonnerie de l’ouverture retentit. Je m’empresse de remercier mon complice innocent et me faufile dans la place. Je prends l’ascenseur jusqu’au troisième étage et me dirige droit vers son appartement. L’immeuble est assez vieillot, j’espère que les portes le sont aussi, car je ne vais pas avoir beaucoup de temps pour forcer l’entrée.

La chance continue d’être avec moi, car le couloir est vide lorsque j’arrive jusqu’à sa porte. Je ne croise personne. Je tente d’appuyer sur la poignée pour voir si c’est ouvert, mais c’est bel et bien fermé. Pas de problème. J’observe le pêne de la serrure. Rien d’insurmontable.

Je sors de la poche arrière de mon jean une petite pochette contenant des outils de serrurier. Il se trouve que, pendant mes études, j’ai couché quelque temps avec un mec dont c’était le métier. Je lui ai demandé de m’apprendre. Allez savoir pourquoi… En tout cas, aujourd’hui, je suis bien contente.

J’insère les fines tiges dans le trou. Je tâtonne, tourne dans un sens, puis dans l’autre, et en moins d’une minute le doux son du loquet qui lâche résonne. Je récupère mes outils et entre doucement dans l’antre de Janus.

La première chose qui me frappe, c’est l’odeur du tabac froid. Son odeur. Je la respire à pleins poumons avec immédiatement une impression de sécurité, mais aussi de danger. Toujours les deux en même temps. Cela me tourne la tête. Un peu comme si j’étais ivre. J’observe son environnement. Après avoir traversé la petite entrée, j’arrive dans la pièce centrale qui tient lieu à la fois de salon et de salle à manger. Une kitchenette dans un coin, et dans l’autre un couloir menant à ce que j’imagine être la salle de bains et la chambre. Cinquante mètres carrés à tout casser. C’est un meublé tout ce qu’il y a de plus banal. Toutefois, je note immédiatement l’absence de décoration, de photo, de souvenirs… C’est presque comme si personne ne vivait ici. Enfin du moins c’est comme si la personne qui vivait ici savait qu’elle n’était là que provisoirement. Pour un temps donné. Cela provoque en moi une peur panique. Je ne veux pas que Janus s’en aille. Qu’est-ce que je ferai s’il n’est plus là ?

J’avance doucement au centre du salon. Je repère un sweat à capuche jeté négligemment sur le dossier du clic-clac. Je m’en empare prestement et enfouis mon visage dedans. Je le respire longuement en le serrant tout contre moi. Une douce chaleur m’envahit. Mon ventre se tord de cette douleur sourde, prémices de l’envie et du besoin du corps de l’autre. J’enfile le sweat et continue mon enquête. À part un cendrier et des cartouches de Gauloises posées sur la table basse, le salon ne m’offre pas grand-chose. Je pousse jusqu’à sa chambre après un passage éclair dans la salle de bains. Une fois encore, je remarque l’absence d’appropriation des lieux. Ses affaires de toilettes sont toujours dans leur trousse, posées sur la petite étagère au-dessus de l’évier. La serviette sèche à même la porte de Plexiglas de la douche. J’ouvre le placard sous la vasque.

Que dalle.

Même pas une serviette de rechange.

Je fronce les sourcils.

C’est quoi ce bordel ?

Dans la chambre, deux énormes sacs de sport sont posés à même le sol. Un pour les fringues, l’autre pour le linge de maison et quelques babioles : une paire de draps et deux autres serviettes de bain, des boîtes de cartouches de flingue, un ordinateur portable, deux livres. 1984 de Georges Orwell et Hamlet de William Shakespeare. Là encore, les placards sont vides.

Comme s’il pouvait partir à tout moment.

Je m’assieds sur le lit, les sacs à mes pieds. Je caresse machinalement la couverture et fronce les sourcils devant l’implication de ce que je viens de découvrir. Le mystère Janus s’épaissit.

Qui est-il ?

Existe-t-il vraiment?

J’ai l’impression d’être dans une gare de transit. Non, ce n’est pas ça. Je m’allonge et fixe le plafond. Des taches d’humidité captent mon regard alors que je réfléchis de plus en plus intensément, tournant et retournant dans ma tête ce que je viens de découvrir. Ce qui est important ici, c’est l’absence de note personnelle et intime. Si je ne savais pas que Janus vit ici, je ne pourrais de toute façon pas identifier la personne qui occupe l’appart. À part pour dire que c’est un homme. Mais c’est tout.

Oh putain !

Cela me frappe soudain comme un éclair aveuglant. C’est même d’une simplicité déconcertante. Je me redresse et regarde encore une fois tout autour de moi.

J’en suis quasiment sûre.

Je suis dans une planque.

Merde.

Mais alors qui est vraiment Janus ?

Et d’ailleurs,  s’appelle-t-il réellement Janus ?

 

Tristan.

 

Ce soir, c’est peut-être la dernière fois où je devrais regarder une pauvre victime se faire découper en rondelles sans broncher. Avec un peu de bol, je saurai qui se cache derrière tout ça et je pourrai enfin y mettre un terme.

Sauf que je ne suis pas un chanceux, moi. Je ne suis pas du genre trèfle à quatre feuilles, patte de lapin et autres conneries vaudoues. Je suis plutôt du genre à créer ma baraka, les aiguilles plantées dans le mec plutôt que dans la poupée à son effigie. Ce qui fait qu’à cet instant précis je me jure que, si je ne passe pas ce dernier barrage, alors il sera temps de sonner l’hallali.

C’est regonflé à bloc que je sors du bureau à mon tour en m’allumant une clope pour superviser la soirée.

 

Vingt-deux heures. Le camion de livraison est pile-poil à l’heure. Le chauffeur descend de sa cabine et ouvre les portes arrière. Les mecs sortent d’abord les caisses d’alcool et de bouffe. Puis, j’envoie Fetja pour récupérer le produit. Je me tends instantanément lorsqu’il revient avec une môme de huit ans, pas plus, évanouie dans les bras.

Putain de bordel de putain de merde.

Je fixe la gamine. Elle a un air terrorisé jusque dans son inconscience. Elle est toute menue et semble ne pas manger régulièrement à sa faim. Elle a des traits incontestablement asiatiques.

Chiotte ! Putain !

Une orpheline sûrement. Ou alors une môme vendue par sa famille contre un billet de cent.

Je sais que des enfants sont aussi victimes de ce trafic sordide et odieux, mais c’est la première fois depuis des mois d’infiltration que je le vois d’aussi près. Ce grand plongeon dans la réalité me calme net. On croit avoir l’habitude de l’horreur, mais c’est faux.

Toute la différence — toute la frontière devrais-je dire — est là, entre le bien et le mal. Parce que c’est lorsqu’on s’habitue à l’horreur et qu’on devient indifférent qu’on sombre du côté obscur.

Cela me rassure de ressentir quelque chose. Je me redécouvre une part d’humanité au moment où je pensais n’avoir plus rien de vraiment humain.

Mais je ne peux rien pour elle.

Je vais devoir la sacrifier sur l’autel de la justice.

Parfois, je me dis que la Justice est une vraie salope. En fait, c’est elle la plus pourrie.  Elle pille notre âme jusqu’à la moelle, nous laissant nous démerder avec notre culpabilité.

— Ah ! Parfait ! Elle est arrivée.

Cette voix… Je suis certain que ce bon docteur Mengele devait avoir la même à Auschwitz.

Lui, je me réserve le droit de lui faire tâter de sa médecine. Je m’en réjouis d’avance. Je ferai en sorte que ce soit très long et très douloureux.

Le toubib passe devant moi. Il soulève les paupières de la gamine et vérifie son pouls. Puis il se retourne. À chaque fois, je suis surpris par son physique. Il pourrait être aussi laid qu’il est pourri à l’intérieur, mais non, il affiche une quarantaine flamboyante et une forme olympique.

— Faites-la monter au bloc. Je dois la préparer pour le prélèvement de foie.

Mon cœur me tombe dans l’estomac. L’espace d’un instant, j’ai espéré bêtement qu’il ne lui prendrait qu’un rein et que la gosse serait abandonnée ensuite sur un trottoir loin d’ici. Certes amochée, mais vivante et avec l’infime possibilité de s’en sortir. Mais le retour de manivelle est violent. La vie de cette môme s’arrête ce soir. Un prélèvement de foie, c’est un aller sans retour pour la baignoire d’acide.

J’ai dû serrer les poings de rage, car le doc me regarde bizarrement. Il claque des doigts devant mon visage pour me rappeler à l’ordre.

— Vous avez entendu ou il faut que je me répète ?

— Refais ça encore une fois et je t’arrache le pouce et l’index avec les dents.

Le ton de ma voix ne laisse aucun doute au fait que je passerai à l’action sans sourciller. Le docteur Frankenstein rajuste sa blouse d’un geste sec et me sourit.

— Elle ne sentira rien, si cela vous inquiète. Et puis c’est mieux pour elle. Après tout, vu d’où elle vient on lui fait une fleur. Au moins elle ne souffrira pas. Là-bas, elle aurait continué à connaître la maltraitance, la torture et la pédophilie…

Je me crispe encore un peu plus.

Ce mec est un tordu de salaud de psychopathe. Je me jure de lui écorcher à vif la peau des couilles avant de l’attacher à l’essieu arrière de ce foutu camion et de rouler pendant des kilomètres en traînant son corps de chacal.

Mon regard doit me trahir, car il blanchit légèrement. Il repart d’où il vient, Fetja sur les talons.

C’est la dernière fois que je vois la gamine.

*

*   *

 

 

La dernière livraison s’étant bien passée la veille, je peux relâcher un peu la pression. Je n’ai rien d’autre à faire désormais qu’à attendre que Serkis veuille bien se décider à me présenter au grand patron. Je sais que je marche sur des œufs. Je ne peux pas me permettre le moindre faux pas. Si j’insiste, Serkis ne me laissera jamais approcher le dernier cercle. Sans compter que je risquerais d’attirer un peu trop l’attention. Si je reste trop impassible, il pourrait penser que je n’en ai rien à cirer du réseau. Or, ce n’est pas non plus le but de la manœuvre. Je joue donc un jeu d’équilibriste qui m’use autant qu’il m’excite.

Un peu comme avec Maître Isadora et Miss Hyde.

Rahhhggg.

Je grogne intérieurement et me file une taloche mentale à l’arrière de ma tête de con. Parce que, oui, je tourne en rond. Comme un putain de clébard qui court après sa queue. Je suis pitoyable. Il va falloir que ça cesse. Et si pour ça, le seul moyen c’est de la coller dans mon lit et de me perdre en elle, alors qu’il en soit ainsi.

Rasséréné par cette décision, je file jusqu’à la cité judiciaire. Avec un peu de chance, Maître Isadora y sera encore.

Vingt minutes plus tard, j’attends sur la place ornée de quatre vases miroirs multicolores. C’est clinquant, aseptisé et définitivement trop BCBG pour moi. Il y a de l’activité autour de moi : de l’uniforme, de la robe noire et du costume cravate. Autant dire que je ne suis pas vraiment à ma place. Enfin, disons plutôt que cette fois-ci je ne suis pas du bon côté de la cité. On me jette des regards curieux. On fait un petit détour pour ne pas passer trop près de moi, des fois que ma visible condition de criminel un peu crasseux soit contagieuse.

J’aime bien.

Je bouleverse leurs petits repères. Et puis, quel besoin j’ai de me pointer sur leur territoire aussi ? Ne puis-je pas rester dans ma cité-dortoir pourrie à zoner et à m’enfiler des rails de poudre ?

La tolérance, on a beau dire, c’est juste un concept inventé par des mecs en pull sans manches, un peu fumés, un dimanche soir de Mai 68. Le genre de délire « aimons-nous les uns, les autres » qui m’a toujours fait marrer, tellement c’est utopique.

Être en décalage m’amuse. Je patiente tranquillement, attendant que Maître Isadora pointe le bout de son nez. Elle finit par sortir, accompagnée d’un homme que je reconnais au premier coup d’œil pour avoir fait des recherches sur leur cabinet : son connard de père.

Je dois lui concéder qu’il en impose. Il a l’aura du mec dont l’intelligence est particulièrement tordue, donc dangereuse. Ma petite avocate se tient bien droite à côté de lui, comme pour lui prouver qu’elle n’a rien à lui envier question charisme. Elle est de l’étoffe des guerrières. Elle crèvera la bouche ouverte plutôt que de montrer à son père la moindre faiblesse. Maître Isadora me remarque. Elle a un léger tressaillement. Je souris et m’avance vers elle de ma démarche assurée et nonchalante. Le paternel ne montre rien.

Impec.

J’aime faire bonne impression lors de mes entrées. Arrivé à sa hauteur, je crochète sa nuque, l’attire contre moi et lui roule le patin du siècle. Le genre qui pourrait faire disparaître sa culotte en même temps que la faire tomber en cloque. Maître Isadora est trop sidérée pour me repousser. En même temps, j’ai comme la sensation qu’elle m’utilise pour choquer le vieux. Sa langue ne perd pas de temps à danser le tango avec la mienne. Je grogne et pose mes mains sur son petit cul pour la serrer plus fort contre moi. Elle ne gémit pas, comme pour me prouver qu’elle garde encore le contrôle. Je la soulèverais et lui passerais bien les jambes autour de ma taille pour lui démontrer le contraire, mais je crois que ce serait vraiment pousser à bout la patience de papa Cambor.

— Isadora.

Sa voix claque.

Je la libère avec un bruit de succion des plus agréables et dégueulasses à la fois. Ma petite avocate me fusille du regard.

— Je suis venu te chercher, je lui apprends sur un ton qui ne souffre aucune contradiction.

Elle hausse un sourcil. Le paternel s’agace.

— Isadora, je peux savoir ce qui se passe et qui est… ce… monsieur ?

J’adore l’intonation sur le dernier mot. C’est craché avec une condescendance et une consternation qui n’a rien à envier aux grands seigneurs du Moyen Âge. Je tiens toujours Isadora contre moi, l’empêchant de se dégager. Je la lâche juste assez pour qu’elle puisse  se retourner entre mes bras et faire face à son daron.

Je ne la laisse pas répondre et lui coupe l’herbe sous le pied :

— Le monsieur s’appelle Janus Gregor, je reprends avec son intonation merdeuse.

Le paternel cille. Isadora se tend comme la ficelle du string que j’espère qu’elle porte sous sa jupe de mijaurée. Je poursuis.

— Le monsieur est un de tes clients et le monsieur baise ta fille. Enchanté de te connaître.

No reaction.

Il a de la maîtrise. J’admire le truc. J’espérais presque qu’il me colle un pain, mais cela aurait trop détonné avec son apparence de calotte glaciaire. Pour le faire fondre, il faudrait plus qu’une vulgaire petite pique. Surtout si elle est vraie. Quand même, je vois que la pilule passe mal.

On a du mal à déglutir, Papa Cambor ?

Satisfaction quand tu nous tiens…

 

Isadora.

 

Reste calme Isadora. Placide. Implacable. Impassible. Inamovible. Si je ne connaissais pas si bien mon père, je dirais qu’il est en train de mourir d’un AVC. Et cela me réjouit.

Oui je sais, c’est mal.

On ne souhaite pas la mort des gens, Isadora. C’est très vilain.

Mais j’ai beau m’admonester intérieurement, rien n’y fait. Je voudrais tellement qu’il s’écrase face contre terre…

Je me retiens également pour ne pas montrer à Janus tout ce qu’il m’inspire à cette minute précise : rage, agacement, désir et douleur aussi. Mon pouls crève le plafond.

Je n’aime pas cette façon qu’a Janus de parler de moi, et de me revendiquer comme sienne

— Je vois, finit par répondre mon père. Tu as toujours le chic pour choisir tes amants, Isadora.

Je me hérisse.

— Vous voulez dire de la même façon que vous, vous choisissez nos clients ? Pour leur classe et leur sens de l’humanité ?

Mon père serre machinalement le poing. Il n’aime pas du tout ma façon de lui tenir tête. Ce n’est pas nouveau. Mais cela a l’air particulièrement désagréable pour lui aujourd’hui. Je remarque alors une lueur d’inquiétude dans la prunelle de ses yeux. C’est infime, mais bien présent. Mon père me cache quelque chose, j’en suis certaine. Il n’a pas l’air aussi tranquille que d’habitude. Il nous dévisage une dernière fois d’un air dégoûté et part sans un mot.

J’observe son dos s’éloigner en rêvant d’y planter un couteau. Une fois qu’il est suffisamment loin, je me dégage d’un geste brusque des bras de Janus et je me retourne vers lui.

— On peut savoir à quoi tu joues au juste ?

Il met les mains dans ses poches et hausse un sourcil d’un air sérieux.

— Il me semble avoir été clair pourtant. Je suis venu te chercher.

— Et de quel droit ?

Il ricane encore une fois.

— Parce que tu crois sérieusement que, si tu me l’avais interdit, ça m’aurait arrêté ?

Il s’avance d’un pas pour me dominer, me forçant ainsi à lever la tête vers lui. En talons, je suis déjà plus petite que lui. Mais en ballerines ? Je ne peux pas faire grand-chose pour lutter physiquement.

Je pose ma main à plat sur son torse pour l’arrêter.

— Recule, Janus, je lui ordonne.

Sa présence m’oppresse, mais il s’en fout. Il attrape ma main et la serre tout en faisant un pas supplémentaire vers moi, collant nos corps l’un à l’autre et piégeant mon bras entre nous. Janus niche sa tête dans mon cou et me renifle tout en soufflant dans mon oreille.

— Devant toi, jamais, Maître Isadora, me contre-t-il. Parce que tu m’obsèdes et que je ne comprends pas pourquoi.

Il inspire profondément, déclenchant des frissons tout le long de ma peau.

— Dis-moi, Maître Isadora. Dis-moi pourquoi tu m’obsèdes comme ça ? Explique-moi.

Sa voix est si grave que je jure qu’elle résonne jusqu’au creux de ma féminité. Je déglutis et ferme les yeux, comme hypnotisée. Je respire bien trop fort. Ma poitrine se gonfle. Mes tétons pointent sous mon chemisier pastel. Au moins autant que l’érection que je sens contre moi. Je me mets à haleter.

— Est-ce que tu mouilles pour moi, Maître Isadora ? me demande-t-il encore. Est-ce que, si j’insère deux doigts en toi, je vais te trouver toute glissante et moite ?

Je n’arrive plus à bouger face à cette attaque en règle. Je reste raide et figée, avec l’impression que toutes mes cellules s’agitent à l’intérieur de moi, cherchant à fuir le combat. Elles se cognent à tous les coins et recoins de ma petite personne dans un affolement général. Parce que Janus n’est pas censé vouloir baiser Maître Isadora Cambor.

Et pourquoi je l’autorise à me parler comme ça, d’abord ? Pourquoi je le laisse déraper comme ça ? À quel moment les choses ont-elles basculé ? Il y a encore deux heures, Janus n’était que mon client. Certes un peu spécial comme client, mais mon client quand même. Et maintenant ? Maintenant, il empiète sur mon espace vital. Il me renvoie à la figure ce que Miss Hyde ressent pour lui. Comme un boomerang. Il met des mots sur ce que je ne comprends pas moi-même de mes sentiments pour lui. Comme s’il ressentait la même chose. Comme s’il était dans ma tête et sous ma peau…

Ses yeux… Ils sont identiques à ceux d’un félin qui joue avec sa proie avant de la dévorer toute crue. La flamme à l’intérieur est implacable d’intelligence, de malice et de séduction. Je n’aime pas qu’il fasse ça avec moi. Maître Isadora n’est pas joueuse. Ça, c’est l’apanage de Miss Hyde.

— Assez, Janus, tenté-je de reprendre le contrôle.

Mais force est de constater que j’échoue lamentablement, et il en a parfaitement conscience. Sa prise sur moi s’affirme encore un peu plus.

Le rictus qu’il affiche est narquois au possible quand il replonge son nez dans mes cheveux. Puis je sens ses lèvres qui, après une profonde inspiration, descendent le long de ma tempe avant de courir sur l’arête de mon menton et de revenir sur ma bouche. En cet instant, c’est lui qui a le contrôle. C’est lui qui possède. Je suis sous son  emprise. Mon calme n’est qu’apparence. Ma sérénité, qu’illusion.

Il va jusqu’à m’insuffler de l’air.  Il est mon oxygène. Je ne suis plus capable de respirer sans lui. Son haleine de fumeur devient le seul parfum que je veux désormais sentir.

— Je sens d’ici l’odeur de ton petit minou tout excité pour moi.

Je me force à ne pas gémir. À ne pas réagir. Mais ce n’est que de la poudre aux yeux. Sa main droite remonte contre mon flanc, effleure mon sein au passage avant d’aller se poser sur mon cou délicat et de comprimer légèrement ma trachée. Je suffoque devant son manège de séduction à la fois vulgaire, vicieux et tellement, tellement excitant. Provocant. J’avale ma salive difficilement. Mon esprit hait la façon dont il touche mon corps. Avec cette violence contenue. Et pourtant, mon corps, lui, n’aime pas comment mon esprit réagit. Il veut Janus. Il veut ressentir de nouveau le soulagement du plaisir brut et animal. Tout n’est que confusion et désordre dans ma tête. Et il en profite comme seul un salopard sait le faire. Avec férocité et cruauté.

Le pire, c’est que plus je déteste l’envie de Janus pour Maître Isadora, plus Miss Hyde devient accro, voulant le faire sombrer entre ses griffes.

Ces deux émotions se disputent à parts égales comme si je ne m’appartenais plus. Comme si je devenais l’esclave de l’obsession qu’il fait naître en moi, parce que, finalement, il a la même que moi !

Que va-t-on devenir ?

Si on continue sur ce chemin, il va y avoir des dégâts considérables. Irréversibles.

— Pourquoi tu fais ça, Janus ? Pourquoi ?

Ma voix est rauque de tout ce désir qu’il me fait ressentir.

— Je te l’ai dit. TU. M’OBSÈDES.

— Ce n’est pas possible.

Il rit et ses yeux deviennent aussi noirs que les ténèbres.

Tous les muscles de son visage se durcissent. Moi, j’ai l’impression de m’être fragmentée. Tout n’est que tumulte à l’intérieur de moi. Tout, sauf une chose. Lui.

Janus ou qui qu’il soit d’ailleurs.

Sans oublier ses secrets. Tous ses secrets.

Pour une raison obscure, que je ne comprends toujours pas et que je ne comprendrai sans doute jamais, il est devenu mon point d’ancrage. Mon centre de gravité. Il est la raison pour laquelle je perds l’appétit, le sommeil, le sens de la réalité.

Janus. Janus. Janus. Janus. Janus. Janus…

Une raison.

Une folie.

Une obsession.

 

Tristan.

 

Maître Isadora est choquée. Jamais je n’aurais pensé ça possible. Et pourtant. Ses grands yeux gris bleu couleur de l’acier sont écarquillés de stupéfaction. Je note cependant que son corps est en total désaccord avec son esprit.

Ma petite avocate a envie que je la baise. Longtemps. Profondément, voire violemment. Elle en a envie autant que moi, mais je sais qu’elle n’est pas prête. Je vois dans ses prunelles sa lutte intérieure. Nul doute qu’elle finira dans mon lit. Je n’ai jamais autant désiré une femme. Jamais autant souhaité sentir sa petite chatte convulser autour de ma queue. Je rêve de la lécher. De la marquer. Mais je dois lui laisser un peu de temps. Sans jamais lâcher la pression pour autant.

Comme avec le réseau.

Jeu d’équilibre difficile à réaliser, mais ô combien excitant pour celui qui le pratique. En attendant, rien ne m’empêche de jouer et de prendre de petites choses. Comme sa bouche…

Mes lèvres s’emparent des siennes pour un second round. Aussi intense, vorace et insensé que le premier. Je ne sais pas si elle cherche à m’étrangler en s’agrippant à mon T-shirt comme elle le fait, ou si elle se laisse aller à ce qu’elle ressent. C’est le problème entre nous. Il y a toujours cette détestation commune de l’autre en même temps que ce désir incontrôlable et complètement déjanté. J’ai parfaitement conscience que nous ne sommes pas seuls et que le monde continue de tourner autour de nous. Je sais aussi que l’on nous regarde. Parce que nous offrons une scène intime et érotique. Surtout lorsque ma main passe subrepticement entre nous pour aller caresser son genou et remonter sous sa jupe. Je sens la peau de l’intérieur de sa cuisse s’électrifier sous le contact de ma paume. Mon index taquine la fine soie de sa culotte. Trempée.

Nous nous séparons de justesse avant d’aller trop loin et d’être accusés d’attentat à la pudeur.

 

 

 

J’ai déposé ma petite avocate chez elle et j’ai tourné les talons. Je lui ai suffisamment mis la pression pour aujourd’hui. Et puis je suis vraiment claqué. Je veux donc rentrer chez moi pour grailler un bout et essayer de piquer un petit somme. Je marche d’un bon pas pour récupérer ma voiture garée un peu plus loin lorsque mon téléphone sonne. Je le sors de ma poche arrière. Un coup d’œil sur l’écran. Serkis. Je glisse mon pouce sur l’icône « accepter».

— Gregor.

— Changement de programme. On a une urgence. J’ai besoin de toi pour aller remettre de l’ordre. La discrétion est de mise.

Je me crispe. Je n’aime pas du tout l’idée. Ça pue les emmerdes à plein nez. Mais je n’ai pas vraiment le choix.

— Où ? Quand ?

— Je te laisse une heure pour te ramener. Je t’expliquerai tout à l’arrivée.

— O.K.

Serkis marque un temps d’arrêt.

— Une heure, Janus. Sois ponctuel.

Il raccroche.

 

Putain. Vivement que je puisse le dessouder. Cette mission commence sérieusement à me courir. Je ne suis pas Marathon Man ! Fermer les yeux, c’est une chose. Buter des enflures, c’en est une autre et ça ne me bouleverse carrément pas. Pour tout dire, je pourrais même me taper un jambon/beurre le cul assis sur leurs cadavres empilés. Et puis, faire le ménage, c’est ma vocation. On ne dirait pas comme ça, mais j’ai une âme de Mr. Propre.

Enfin, ça c’était avant.

Là, tout de suite, je me sens usé.

Je ne sais pas pourquoi tout ça m’atteint subitement. C’est comme si mon armure d’indifférence s’était lézardée, et ça  m’emmerde franchement. C’est chiant d’avoir encore une conscience. Une bonne, s’entend. Un fond de Jiminy Cricket dont je me serais bien passé, surtout quand ça me tient par les couilles et que du coup je n’avance plus tout à fait droit.

Va falloir sérieusement que je me reprenne. Que j’agisse méthodiquement et mécaniquement. Il sera toujours temps de se poser lorsque ce foutoir sera terminé. De profiter. Je vois ça d’ici. Moi, Maître Isadora et le soleil si aveuglant, que tous les deux on en oublierait les ténèbres de nos vies…

Depuis quand je pense à un futur, moi ? Avec elle, en plus ?

Maître Isadora me hante en permanence. Et ça devient vraiment dangereux.

Franchement, je n’ai pas l’intention de lutter, ni de nier ce qu’elle me fait. Quitte à sombrer dans les abîmes, autant l’embarquer avec moi. Je sais, c’est dégueulasse, mais une fois encore je ne suis pas un chevalier blanc.

Mon armure est noire comme mon âme d’une certaine façon.

Parce que j’en ai trop vu. J’aurais bien dit trop fait, mais compte tenu ce qui m’attend, je préfère fermer mon claque merde et penser à elle. Une fois encore.

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