Novembre est bien là, avec une envie de musarder sous la couette, seule ou bien accompagnée. Et quand on ne fait pas l’amour, on peut aussi lire sur l’amour. Voici trois livres qui vont vous étonner et percuter vos réflexes…, prouvant une fois encore, que la littérature n’a jamais fini de se renouveler sur ce sujet éternel.
Amours solitaires
Le Nouveau roman, désormais c’est elle, Morgane Ortin, qui l’incarne avec la publication de ses Amours solitaires. Ecrit à partir de 278 sms, son livre est une histoire d’amour 2.0 à coup de capture d’écran. Travail d’archivage digne d’une armée de fourmis, Morgane Ortin a passé au peigne fin des milliers de textos reçus sur son compte instagram @amours_solitaires pour trouver une cohésion, dégager deux voix qui se répondent, et écrire une histoire qui se lit comme s’il s’agissait réellement des deux mêmes protagonistes du début à la fin.
Objet encore non identifié il y a peu de temps par la sphère éditoriale, ce nouveau genre épistolaire apporte la preuve que l’écrit n’est pas mort. En 2013, le journaliste canadien Fabien Deglise avait déjà réussi à convaincre des auteurs francophones, tel Alexandre Jardin, Bernard Pivot, Kim Thuy, Tahar Ben Jelloun…, de rédiger des nouvelles en 140 caractères. Résultat, un livre de 34 pages et 25 nouvelles compilées dans un livre**, téléchargeable gratuitement sur iTunes. Deux ans plus tard, paraissait le premier roman écrit sous forme de sms, Avec maman**, d’Alban Orsini, d’abord publié sur son Tumblr comme une série.
Morgane Ortin, en couverture du Prescripteur papier de novembre, réunit un peu tout cela à la fois : la force et la rapidité apportée par les réseaux sociaux, la technique des smartphones à portée de doigt de tout-un-chacun et la cohésion d’un projet participatif qui agrègent des milliers de fans, simples lecteurs ou offrant leur texto à la communauté. C’est sexy, tendre, passionnel, poétique parfois et complètement addictif ! Et si Morgane était notre nouvelle Barbara Cartland, façon reine de l’amour 2.0 ?
De Morgane Ortin, Albin Michel, 14 euros. *Chiflet&Cie **Sur le site du Devoir (https://www.ledevoir.com/)
La fille au Leica
Une femme rencontre un homme. Nous sommes à Paris, à Montparnasse, en 1935. Ils sont jeunes, beaux, pauvres et immigrés, mais ils s’aiment, animés par la même passion pour la photographie. Leur ambition ? Témoigner des combats qui déchirent l’Espagne, pour pousser l’Europe à intervenir et barrer la route aux fascistes. Leur vie est un film, malheureusement très loin d’une comédie romantique. Le 26 juillet 1937, la jeune femme de 26 ans meurt, écrasée par un char. Elle, c’est Gerda Taro, une photographe allemande, lui Robert Capa, le grand photoreporter hongrois que l’on sait, cofondateur de l’agence Magnum et chef de file d’une génération de photographes de guerre pour qui le terrain, le plus dangereux soit-il, est la seule réalité.
Couronné par le prix Strega en Italie (l’équivalent du Prix Goncourt en France), la Ragazza con la leica d’Helena Janeczek surprend : il ne s’agit pas d’un roman d’amour, mais d’une biographie en trois parties de Gerda, qui brosse aussi le décor et l’atmosphère d’une époque dangereuse, palpitante et complexe. Trois proches – deux médecins, Willy et Georg, et sa grande amie, Ruth Cerf -, se souviennent et racontent cette fille menue qui agissait comme un mec, envoyant valser les clichés les plus tenaces sur ce que devait être une femme. Elle était « l’incarnation de l’élégance, de la féminité, de la coquetterie, [mais] personne n’aurait jamais soupçonné qu’elle raisonne, sente et agisse comme un homme (…) : elle était l’autonomie en personne. » On suit donc le souvenir de Gerda subjuguant les artistes et les intellectuels de l’époque. Lors de son enterrement au cimetière du Père-Lachaise, Pablo Neruda et Louis Aragon prononcent son éloge funèbre, tandis que le sculpteur Alberto Giacometti lui dessine sa tombe, une simple vasque représentant Horus — le faucon symbolisant dans l’Égypte antique, la résurrection. Un an plus tard, Capa publiera Death in the Making, recueil de reportages effectués ensemble entre Madrid et Barcelone. Love never ends.
De Helena Janeczek, Actes Sud, 384 p., 23 euros.
Le ravissement de Lol V. Stein
Un homme, une femme ? Toujours et encore, cette fois sous la plume de Marguerite Duras. Laissez tomber L’Amant et ouvrez ce roman considéré par les Durassiens comme l’un de ses meilleurs. Attention, vous pénétrez dans un espace parallèle proche de la folie, une ambiance que ne renierait pas David Lynch. Une fille se fait larguer le jour d’un bal peu avant ses fiançailles. Plus exactement, elle se fait ravir son futur mari par une autre femme, plus âgée, veuve et déjà mère d’une adolescente. Vous avez dit Cougar ? La scène se passe au vu et au su de tous. Lui est totalement happé par son coup de foudre et, lorsqu’il croise le regard de cette inconnue, Lol saisit toute l’ampleur du désastre. L’humiliation est totale. Après une période de deuil, pendant laquelle Lol ne prononce presque plus aucun mot, un homme la croise dans la rue et la demande en mariage.
Publié en 1964, Le ravissement de Lol V. Stein est considéré comme le roman charnière de l’œuvre de Marguerite Duras. L’histoire est en effet relatée le plus cliniquement possible par un narrateur dont le lecteur ne sait rien, et qui tente de reconstituer la personnalité de Lol depuis le « rapt » de son fiancé. Ce modèle du genre fut loué par le psychanalyste Jacques Lacan et maintes fois imité, Christine Angot, Camille Laurens en tête. Une expérience littéraire, dans les méandres de l’esprit de Duras. Abscons parfois ; obscur souvent. Terriblement fascinant et inspirant.
De Marguerite Duras, Folio Gallimard, 192 p., 6 euros.