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Caroline Estremo : « A l’époque, je me disais : si je suis lesbienne, ma vie est foutue »

Caroline Estremo interview A l'époque, je me disais si je suis lesbienne, ma vie est foutue le prescripteur théâtre crédit photo Pierre beteille

Sa vie pourrait être le pitch d’une série Netflix : après des années d’hétérosexualité et six mois de mariage avec son mari, Caroline Estremo annonce à sa famille qu’elle divorce et part avec sa témoin et meilleure amie Elodie – elle-même mariée au meilleur ami du mari de Caroline… Oh, vous suivez ?? Un double coming out pour les deux femmes (non sans accrochages avec leurs familles respectives… #euphémisme) qui sont aujourd’hui mamans de deux petites filles grâce à deux parcours PMA en Espagne. Cette histoire (vraie !), Caroline, humoriste et ex-infirmière, devait nous la dévoiler dans son deuxième spectacle « Normalement ». Durant son show à l’accent toulousin, l’artiste nous offre un témoignage drôle, c’est sûr, mais aussi émouvant, qui montre qu’il serait dommage de passer à côté du bonheur par peur du regard des autres…

crédit photo de couverture caroline estremo – Pierre Beteille

Tu me l’avais déjà annoncé lors de ton dernier spectacle « J’aime les gens » : le prochain allait raconter ton histoire amoureuse. Une telle mise à nue n’a pas braqué Elodie ta compagne ? Car tu nous racontes… tout !

Caroline Estremo – Au début, la pauvre a un peu subi ! J’ai commencé par écrire le spectacle, puis je lui ai montré : je savais que ça allait réouvrir des dossiers, notamment dans sa famille et je voulais qu’elle le valide… ce qu’elle a fait ! J’ai aussi proposé à mes beaux-parents de le lire mais ils m’ont fait confiance et ma belle-mère m’a même dit : « Si ton spectacle peut aider d’autres familles à digérer mieux que nous, ce serait bien. »

J’appréhendais beaucoup de jouer ce spectacle devant eux. Je ne voulais pas remettre la pagaille… Et finalement, ils ont adoré. A la fin du spectacle que j’ai joué à Toulouse, ils sont montés sur scène pour saluer avec moi. Quand ma belle-mère m’a rejointe ,elle m’a fait un méga câlin les larmes aux yeux. Ce spectacle est aussi thérapeutique pour nous tous.

Toi et Elodie êtes toutes les deux en couple hétéro à l’époque où tu lui avoues ton amour. Comment as-tu su qu’Elodie partageait les mêmes sentiments que toi ?

Je crois que c’était son corps qui parlait pour elle. Elle voulait être contre moi, elle avait une façon de me regarder… Mais pour elle, c’était complètement inconscient. Elo, quand elle ressent des choses qu’elle préfère ignorer, elle les mets sous le tapis. Moi en revanche, j’analyse beaucoup ce que je ressens : je sais très bien ce que je mets sous mon tapis ! (rires) Et puis un jour, je me suis lancée : je lui ai dit que j’avais déjà été attirée par les filles. Elodie m’a répondu qu’elle, ça ne lui était jamais arrivé. Mais j’avais piqué sa jalousie et j’ai compris que mes sentiments étaient réciproques.

Ce grand saut finalement s’est fait à deux. Tu utilises une image assez amusante :

Rester dans l’hétérosexualité, c’était comme porter une très jolie paire de chaussures mais qui me donnait systématiquement des ampoules.

Caroline Estremo, humoriste
crédit photo de couverture caroline estremo – Pierre Beteille

Finalement tu as troqué ces chaussures contre quel modèle ?

Je ne sais pas ! Claquette-chaussettes ? Non, c’est confort mais c’est moche, ça marche pas. Je dirais que j’ai trouvé la paire parfaite : celle que t’as eu du mal à aller chercher, mais qui épouse parfaitement ton pied.

Au moment où tu commences à réaliser que tu es lesbienne, une idée te traverse la tête une fraction de seconde : plutôt mourir que d’être lesbienne. C’est un tabou que tu effleures dans ton spectacle, mais c’était important pour toi que ce soit dit ?

Oui, parce que je veux un spectacle 100% honnête. Même si notre histoire finit bien, je voulais vraiment montrer dans le spectacle que ça a été difficile.

On pourrait croire que c’est simple de faire son coming out dans une famille qui s’est toujours montrée ouverte, mais ce n’est pas le cas. Ce n’est jamais anodin.

caroline estremo, humoriste

J’ai toujours été attirée par les garçons, et j’ai repoussé de la main l’attirance que j’avais pour les femmes.

A l’époque, je me disais : si je suis lesbienne, ma vie est foutue. J’avais déjà conscience de toutes les emmerdes que ça allait provoquer.

caroline estremo, humoriste

J’ai eu cette pensée avec des parents open. C’était important de le dire, ce n’est pas rien.

Un personnage revient beaucoup dans ton spectacle, c’est ton frère : le cliché du mâle alpha ! Comment décrirais-tu votre relation ?

Avec mon frère, c’est drôle, on est très proches mais sans l’être. Il n’a jamais voulu me faire un câlin, cet enfoiré ! Je n’en rajoute pas quand je dis qu’il est le stéréotype du mâle : il est chiant ! Mais disons que nous sommes complices et qu’on est toujours là l’un pour l’autre. Cette épreuve nous a rapprochés, même s’il a réagi comme un con. On pourrait le détester mais il est attachant, nature peinture. Il pose des questions que beaucoup de gens se posent…

Dans le spectacle, j’utilise son personnage pour dire des horreurs, mais c’est ce que beaucoup de gens pensent ! Ce n’est pas montrer du doigt ceux qui ont mal réagi, mais montrer qu’on peut changer.

Je trouve que ton spectacle a un côté très didactique : s’adresse-t-il au fond à des moldus de l’homosexualité ?

C’est exactement ça. Toutes les questions que j’évoque dans mon spectacle sont des questions qu’on m’a déjà posées.

Les homo me disent merci de nous raconter et les hétéro me remercient de leur expliquer.

caroline estremo, humoriste

Tu dézingues de nombreux préjugés, notamment le catalogue de donneurs pour votre parcours PMA !

Beaucoup de gens pensent que ça se passe comme ça en Espagne, qu’on choisit dans un catalogue de physique le donneur… mais pas du tout ! (rires) Je voulais casser tout ce que les gens peuvent s’imaginer. Pareil, lorsque je pose la question dans mon spectacle de qui est ma fille préférée, le public est choqué, mais on me pose tellement la question ! Est-ce que j’aime plus ma fille qui est sortie de mon ventre ou ma fille qui est sortie du ventre d’Elo ? Est-ce qu’on préfère l’enfant du même sang ? La réponse est évidemment non !

J’ai senti un message extrêmement clair dans ton spectacle : s’il y en a qui ont peur de franchir le cap du coming out, allez-y, ne passez pas à côté de votre vie. Je me trompe ?

C’est exactement ça et j’applique cette philosophie à tous les domaines. Si t’es hétéro et que t’es pas bien avec ton mec, casse-toi. Si tu as un boulot qui ne te plait pas, casse-toi. Il faut foncer, on n’a qu’une vie.

Je suis restée longtemps à me lever le matin la boule au ventre pour faire plaisir aux autres.

Caroline estremo, humoriste

Je sais que j’aurais dû me bouger plus tôt et ne pas attendre d’être mariée depuis 6 mois pour faire mon coming out. Mais j’ai fini par poser la bombe, on en a pris plein la gueule avec Elo, mais si je peux dire quelque chose de rassurant : tout passe !

J’ai conscience que la vie ne tient pas à grand chose, encore plus en tant qu’infirmière : il faut foncer pour ne pas passer à côté du bonheur.

Caroline estremo, humoriste

Le regard le plus dur à propos de l’homosexualité, c’est finalement toi qui le portais avant que tu ne fasses ton coming out…

J’avais 18 ans, c’était à un nouvel an, et je me souviens très bien avoir dit que pour un enfant, il fallait forcément un papa et une maman, sinon cela ne pouvait pas rendre heureux. A l’époque, j’en étais intimement convaincue.

Je pense que tous les humains réagissent comme ça : tu pars de ton ressenti, tu critiques mais tu ne sais pas. Mon spectacle aide à montrer ce que cela peut être quand deux femmes font famille.

Ton spectacle est-il un appel à la tolérance et à l’amour dans un contexte politique où le fascisme gronde à travers le monde ?

Je ne vois pas de quoi tu parles ! (rires)

Mais oui, bien entendu que c’est un message d’amour et de tolérance. En revanche, je n’ai jamais rendu politique mes spectacles, je ne sais pas faire. Pour le premier où je parlais de mon expérience de soignante, on m’a beaucoup invitée à des plateaux télé pour que je m’exprime sur les conditions de travail du milieu hospitalier, mais j’ai toujours refusé ces invitations.

Je parle de mes ressentis, je raconte une histoire qui est la mienne, j’en fais des blagues et j’aime l’idée que chacun puisse piocher dedans ce qui nourrit sa réflexion.

caroline estremo

Il y a bien sûr des messages cachés, tu les pioches ou pas.

J’ai remarqué, en tant que soignantes par exemple, que les politiques en ont marre des infirmières qui râlent (même si elles ont toutes les raisons du monde de le faire !). Ce que j’observe, c’est que les politiques s’habituent à leur colère et ne les écoutent plus. En utilisant l’humour pour passer des messages, je me dis qu’on peut encore par des moyens détournés, espérer toucher ce monde-là.

Bookez vite vos places pour le spectacle « normalement » de Caroline Estremo tous les lundi à 21h au théâtre du Marais !
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Mary
Mary
1 mois il y a

Superbe interview ! Avec ce franc parlé qu’on adore ! Estremo forever and ever !