Plus que les podiums de la Fashion Week parisienne, l’ovni mode qui fait parler ces jours-ci est une série qui vient d’être opportunément lancée sur Netflix : Emily in Paris. Décryptage (sans spoilers) d’une polémique qui clashe autant les points de vue que les imprimés.
Le pitch
Emily in Paris, c’est le débarquement d’une vingtenaire (Lily Collins) originaire de Chicago dans le monde du luxe parisien, via une agence de marketing ironiquement et joliment baptisée Savoir. Cocktails, soirées, défilés, créateurs et couturiers, rien n’est épargné à la newbee Emily qui va découvrir un monde aussi brillant dehors que fourbe dedans. Un royaume d’entre-soi peuplé de peaux de bananes et de remarques cinglantes, mais aussi de cadeaux clients étonnants (de la lingerie La Perla, des pinces à seins), sur lequel règne sans partage sa boss Sylvie Grateau (impeccable Philippine Leroy-Beaulieu), qui rappellera forcément du monde à toute personne ayant travaillé de près ou de loin dans le microcosme mode parisien (ou ayant lu les Illusions Perdues de Balzac, ou les deux).
La win à l’américaine
Aux attaques fulgurantes qu’elle reçoit de son nouvel entourage parisien à coup de « plouc », « ringarde » ou carrément à la bombe de peinture (!) Emily oppose un optimisme redondant mais touchant, un pragmatisme éprouvé et un sens des réseaux sociaux aiguisé. Le tout est recouvert de sucre glace avec un Paris joliment filmé et un absolu BG pour lui donner la réplique dans un mélange de français et d’anglais qui ferait fondre le Kilimandjaro (Lucas Bravo, nouveau trésor national).
Derrière cette bluette parisienne, Darren Star, créateur des séries cultes Beverly Hills 90210 et Sex & The City. On se souvient de la conclusion épique de la seconde dans ce même Paris romancé : entre Plazza Athénée, baguettes et crottes de chien, les retrouvailles entre Carrie et Big avaient quand même réussi à nous arracher une humidité oculaire à la fin.
17 ans plus tard, Darren Star revient avec les ingrédients qui ont fait le succès de ses escapades d’antan au pays de la Tour Eiffel rebattus dans un nouveau cocktail instagramable : des looks délirants concoctés par son acolyte de toujours Patricia Field (Emily est en Chanel, Dior, Kenzo entre autres), des dialogues premier degré mais bien ciselés, où il se donne la peine de faire jouer de temps en temps les acteurs français dans leur langue maternelle (ce qui permet notamment un quiproquo sur le coq au vin assez réjouissant) ; enfin des histoires d’amour doucement rebondissantes – et potentiellement autres qu’hétéro, la grande nouveauté du cru 2020.
La ringardise made in France ?
Mais où est le loup, me direz-vous ? A la vue d’Emily in Paris, une partie de la sphère mode parisienne a poussé de hauts cris de ringardise concernant les looks de l’héroïne, pourtant américaine et donc forcément décalée. Emily est habillée, on va le répéter, par Chanel, Dior, etc.. qui n’ont apparemment pas commenté les prêts qu’ils ont largement consenti à la série, donc peut-être qu’eux ont compris…
Ces spectateurs énervés se sont aussi plaints de la façon dont les parisiens de la mode sont dépeints : au bureau à 11h, menteurs, courtisans, infidèles, alcooliques… Pour finalement proposer (ironiquement ou non ?) leurs conseils de stylisme, de narration, d’écriture et de production à un réalisateur qui affiche 30 ans de carrière et des millions engrangés par ses séries diffusées dans le monde entier… De là à ce que certaines demandent carrément le rôle d’Emily (pourtant américaine, donc pas parisienne, on va aussi le répéter), on aurait pu rigoler…
On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui
Interrogé sur les critiques qui pleuvaient autant sur la série que les averses ininterrompues de la Fashion Week, l’acteur Lucas Bravo a résumé élégamment le propos : « C’est un monde dans une ville. A un moment donné, si vous voulez raconter une histoire sur Paris, vous devez choisir un angle. Les critiques français n’ont pas compris qu’il ne s’agit que d’une vision. Ils disent : ‘‘Oh, ce n’est pas Paris’’. Bien sûr. Paris, c’est beaucoup de choses. »
Le point de vue. La base de la représentation littéraire, théâtrale ou filmée. Ce qui va vous faire rire ou pleurer, aimer ou détester. Celui de Darren Star sur Paris est bien sûr critiquable, mais c’est le sien, et surtout il reflète assez fidèlement un petit microcosme encore très blanc et masculin qui est celui de la mode et du luxe limité à 3 arrondissements dont le fameux triangle d’or, pas celui d’un Paris métissé, mélangé, élargi. Il n’a pas non plus voulu faire un documentaire mode à la Arte, et tant mieux, on a un autre trésor national pour ça (hello Loïc Prigent).
Et surtout, il a saupoudré l’ensemble des 10 épisodes d’une bonne dose de second degré qui semble avoir échappé aux premiers concernés, ceux qui vendent Paris et les parisiennes comme une image iconique et intouchable dont ils auraient les droits réservés en France comme à l’étranger. Et que cette polémique autour de la série a joliment révélés par un jeu d’arroseur arrosé que n’aurait pas renié un autre américain, indéniablement mode celui-là, Andy Warhol, qui affirmait que « N’importe quelle publicité est une bonne publicité. » De quoi faire une saison 2 bien sapée.