Prune Nourry, l’artiste de 36 ans, qui nous avait marquées en début d’année avec son installation L’Amazone Erogène au Bon Marché, revient encore plus fort en cette rentrée avec un livre et une exposition qui prolongent le questionnement qu’elle suscite sur notre rapport au corps et au monde qui nous entoure.
En plein confinement, son propos était déjà éclatant. Un sein géant bardé de flèches, et un autre sur lequel un arc était pointé, appelaient les amazones modernes à questionner le rapport a leur corps, à ses potentiels de vie comme de mort, et surtout à leur féminité.
La suite de l’Amazone Érogène s’écrit aujourd’hui avec Aux Amazones, un journal intime émaillé de témoignages multiples des spécialistes qui ont accompagné Prune Nourry durant sa maladie. Atteinte d’un cancer du sein à 31 ans, elle a souhaité mener ses traitements comme un projet artistique en documentant les différentes étapes de son combat puis de sa guérison, et même de l’enfantement qui suivra, une victoire de la vie qui n’est hélas pas donnée à toutes.
En France, près de 50% des cancers du sein sont diagnostiqués entre 50 et 69 ans. Mais quelque soit l’âge auquel arrive la maladie, les mots manquent pour le dire, à soi comme à ses proches, et les décisions de soin et d’accompagnement sont souvent difficiles à prendre.
A la fois pragmatique, pratique et surtout très émouvant, Aux Amazones nous emmène à la rencontre du cancer du sein, et explore les différentes pistes de soin, de la découverte de la maladie à sa rémission : test génétique, acupuncture, et même diététique, visent à insuffler des idées et une attitude proactives face à la maladie.
Prune Nourry a su s’entourer d’experts aux profils très divers : la pédopsychiatre Caroline Eliacheff explique comment parler du cancer aux enfants, tandis que le Docteur Marc-David Benjoar, chirurgien plasticien, dévoile les différentes méthodes de reconstruction du sein. On y trouve aussi le témoignage d’une infirmière spécialisée sur les groupes de parole, d’un chef étoilé et même du réalisateur et activiste écologiste Cyril Dion qui questionne la notion de progrès. La préface est signée d’une amazone et non des moindres, Angelina Jolie, avec une citation-tatouage qui donne à réfléchir : « Ce qui nous nourrit nous détruit aussi ».
Un livre kaléidoscopique à lire comme à offrir, car nous connaissons toutes quelqu’un qui a rencontré de près ou de loin le cancer du sein.
Toujours dans le registre du corps et de l’intimité associés à une renaissance, Prune Nourry présente également « Projet Phenix » à la galerie Templon.
L’exposition, est pensée autour de huit bustes de modèles non-voyants, invités à poser dans l’atelier de l’artiste, qui a elle-même gardé les yeux bandés durant tout le temps des rencontres avec ses modèles et de la réalisation des œuvres.
« Je les sculpte à la fois par le toucher, mais aussi en écoutant leur histoire (…). Certains modèles, dans cette période particulière, n’avaient pas été touchés depuis plus d’un an donc pour eux c’était extrêmement émouvant d’avoir quelqu’un qui venait redécouvrir chacun de leurs traits et qui prenait un temps considérable pour sentir chaque détail de leur peau. Et dans cette confiance de l’atelier, on était presque en psychothérapie, tant dans un sens que dans l’autre ! »
Le parcours de l’exposition est lui-même fondé sur la confiance puisqu’il se fait dans le noir total avec un chemin balisé selon les systèmes-type d’autonomie pour non et mal-voyants. Guidé par des bandes podotactiles et une corde, le visiteur est libre de découvrir les œuvres avec ses mains, tandis qu’il écoute l’histoire des modèles et sent le parfum créé spécialement par un nez pour l’exposition. Une autre pièce de la galerie présente les mains de ces mêmes modèles, où se dessinent la ligne de vie et en bas-relief les traits, les rides, les veines… qui racontent autrement leur histoire. Réalisées avec des artisans spécialisés dans la technique du braille et du gaufrage, ces mains donnent à vivre encore autrement l’expérience du toucher. A noter, un parcours spécifique est proposé aux enfants le mercredi après-midi.
Dans son livre comme dans son exposition, Prune Nourry nous invite à nous laisser guider à la découverte de nos potentiels insoupçonnés face à un inconnu avec lequel on doit perpétuellement apprendre à vivre.
Livre
Exposition « Projet Phenix »
Du 4 septembre au 30 octobre | A la Galerie Templon | 30 rue Beaubourg – 75003 Paris
Image de couverture : © Portrait de Prune Nourry par Evgen Bavcar, 2021