Grace Ly est née de parents chinois réfugiés en France après avoir fui la guerre au Cambodge. Elevée selon la tradition chinoise et déterminée à s’intégrer au mieux à la société française, Grace a beaucoup souffert du racisme anti-asiatique en France. Entre les clichés sur les “mangeurs de chien” et sur les femmes asiatiques considérées comme des objets sexuels, Grace brise le silence avec ses armes et ses mots.
Tu es née en France de parents chinois réfugiés du Cambodge. Tu as été élevée selon l’héritage culturel de tes parents ?
En grandissant, mes parents étant de la première génération à être arrivée en France, ne voulaient pas que j’oublie mes origines, ils voulaient me transmettre leur langue, leur culture… A l’extérieur du foyer, j’étais au contact d’une autre culture que celle de ma mère. Très vite elle s’est agacée de mon côté français qu’elle n’avait pas : c’était paradoxal parce qu’elle me disait de surtout m’intégrer et d’être plus française que les Français et en même temps que je devais être une bonne Chinoise, apprendre les rites et traditions de mes ancêtres. A l’adolescence, en plus de l’opposition purement générationnelle, ce tiraillement culturel a été très difficile à vivre. Je me suis rapidement rendue compte que je devais adopter un comportement différent à la maison et à l’école.
En grandissant, j’ai eu de plus en plus besoin d’écrire sur l’émotion que j’avais ravalé en étant plus jeune.
Tu as fait des études de droit, quel a été ton moteur ?
J’ai fait du droit pour rendre fiers mes parents pour qui ce genre de profession était complètement inaccessible ! Donc j’ai fait du droit pour de mauvaises raisons. Je suis quelqu’un de très scolaire, j’étais la petite fille modèle qui apprenait ses leçon par cœur ! Arrivée à la fin de mes études, je me suis rendue compte que ce n’était pas pour moi (rires). J’ai tout de même eu mon barreau, mais j’avais toujours nourri le rêve secret d’écrire.
A quand remonte ta passion pour l’écriture ?
J’ai toujours écrit, j’ai toujours eu un journal intime ! (rires) Je voulais fixer dans le temps mes émotions, mes états d’âme. En grandissant, j’ai eu de plus en plus besoin d’écrire sur l’émotion que j’avais ravalé en étant plus jeune.
Depuis que je suis petite on me dit « Ah vous êtes chinoise, vous mangez du chien, vous êtes sans cœur, vos yeux sont petits… » Cette perception m’a donné honte d’être chinoise.
Tu dénonces les gros clichés sur les Asiatiques en France car tu as souffert de beaucoup de moqueries sur tes origines…
Depuis que je suis petite on me dit « Ah vous êtes chinoise, vous mangez du chien, vous êtes sans cœur, vos yeux sont petits…» Cette perception m’a donné honte d’être chinoise. Ce sentiment m’a amoindrie. J’aurais voulu être un garçon, blanc… Tout sauf moi. J’ai eu beaucoup de peine, je ne m’aimais pas, et aujourd’hui j’essaie de rattraper ce temps perdu. Je ne veux pas que mes enfants, ni personne ne ressente ça. C’est pour cela que j’ai ouvert mon blog, puis écrit un livre, lancé une web-série, un podcast… La devise française Liberté, Egalité, Fraternité doit trouver une vraie résonance dans notre quotidien.
En 2011, tu laisses le droit de côté pour ouvrir ton blog food Petite Banane. Pourquoi ce nom ?
Jaune à l’extérieur, blanche à l’intérieur ! (rires) Le symbole de la banane quand on est asiatique représente le tiraillement entre ta culture et une autre culture occidentale. Les noirs parlent d’Oréo : noir à l’extérieur, blanc à l’intérieur.
Je voulais partager les adresses que mes parents affectionnaient : je m’intéressais surtout à l’histoire de la personne qui cuisinait ses spécialités… D’où vient-elle, quelles sont ses racines…
Ton blog visait à casser les clichés sur les adresses de restaurants asiatiques. Comment t’y prenais-tu ?
Il faut d’abord savoir que dans ma famille, la nourriture était très importante : c’était ce qui nous rassemblait et la manière pour ma mère de me dire qu’elle m’aimait. Elle ne me disait jamais “je t’aime” mais plutôt “est ce que tu as faim?”. Mes parents venaient de vivre une tragédie où leur famille était morte de faim pendant la guerre. Subvenir aux besoins de leurs enfants était important. Ils nous transmettaient aussi leur culture à travers la nourriture : “Mange ton bol de soupe, c’est ce que je mangeais quand j’étais petit”. Je voulais partager les adresses que mes parents affectionnaient : je m’intéressais surtout à l’histoire de la personne qui cuisinait ses spécialités… D’où vient-elle, quelles sont ses racines…
Après ton blog, tu lances une websérie “ça reste entre nous”. Quels thèmes souhaitais-tu aborder ?
La nourriture reste un fil rouge car ce sont des conversations intimes autour d’un bon repas. Je voulais aussi montrer que les Asiatiques ne sont pas des communautés fermées et briser le récit unique qu’il y a sur nous et nos communautés. J’aimais bien le fait de mettre autour de la table plusieurs personnes d’origines asiatiques avec un parcours et des expériences de vie différentes. Le premier épisode traitait par exemple de l’image de la femme asiatique, on l’a sorti en 2017. Puis on a tourné deux autres épisodes et j’ai lancé un crowdfunding pour financer les suivants.
Être une femme asiatique en France a toujours été assorti de représentations de l’ordre du fantasme comme exprimait Yann Moix, et de mise en catalogues des femmes traitées comme des objets.
En parlant de l’image de la femme asiatique, tu as réagi dans le magazine ELLE en écrivant une tribune à l’intention de Yann Moix qui avait annoncé ne sortir qu’avec des Asiatiques…
Oui, ça me tient à cœur car être une femme asiatique en France a toujours été assorti de représentations de l’ordre du fantasme comme exprimait Yann Moix, et de mise en catalogues des femmes traitées comme des objets. Quand il dit “je ne sors qu’exclusivement avec des femmes asiatiques”, il met toutes les femmes d’un pays dans le même sac : comme si on était toutes pareilles et qu’il pouvait compulser un catalogue de femmes de sa préférence… Je ne suis pas une simple préférence sexuelle, nous ne sommes pas qu’une préférence sexuelle. C’est quelque chose que je trouve inacceptable. J’ai répondu à cet homme en disant qu’il fallait qu’on change de vision des autres et qu’on considère les femmes comme des êtres humains. Sa façon de penser est sexiste et raciste. Il a dit qu’il voulait avoir des enfant sans les élever, mais en quelle année sommes-nous ?? Et ce genre de propos fait beaucoup de mal aux formidables papas qui s’occupent de leurs enfants.
Tu as sorti un podcast intitulé Kiffe Ta Race pour parler des questions raciales…
Je l’anime avec Rokhaya Diallo. On s’est rendue compte que bien qu’on soit toutes les deux très différentes, elle est noire et moi asiatique, notre expérience du racisme est assez similaire. Donc c’était intéressant d’étudier ce racisme de manière inclusive, se demander ce qu’il ne va pas et comment on peut changer ça.
Tu as sorti à la rentrée dernière ton premier roman inspiré de ta propre vie. En quoi le personnage principal est différent de toi ?
Elle est plus forte que moi. Et surtout je souhaitais que mon propos soit universel car son histoire peut arriver à n’importe qui. Le livre raconte l’adolescence de Chi Chi, née de parents asiatiques à Paris. J’y parle de la relation conflictuelle entre l’ado et ses parents, du racisme anti-asiatique en France… Cette histoire peut arriver à n’importe qui. Le plus grand cadeau a été de finir mon livre et d’avoir des retours de femmes qui me disent qu’elles ont lu mon livre et qu’elles s’identifient au personnage.
Quand tu as sorti ce livre, te projetais-tu déjà dans un deuxième roman ?
Oui, j’ai l’impression aujourd’hui d’avoir enfin ouvert les vannes et un flux énorme d’émotions s’est libéré. J’ai encore du mal à canaliser tout ça mais j’ai très envie de raconter d’autres histoires et de mettre en scène d’autres personnages.
Tu es la quatrième femme à prendre la parole pour notre Semaine Internationale des droits des Femmes. Si tu devais porter un projet de loi pour les femmes, ce serait lequel ?
Je suis très sensible à la représentation des femmes dans notre société. Je serais pour porter des projets où les femmes peuvent librement être et où leurs choix sont respectés.