J’étais fan de ses vidéos Mad Gyver pour le webzine Madmoizelle et de ses vidéos girl power à une époque où le féminisme n’était pas médiatisé. L’année dernière, Marion Seclin m’a carrément bluffée à sa conférence Ted sur le plus gros cyberharcèlement de France dont elle a été victime suite à la publication d’une vidéo sur le harcèlement de rue. Entre gros coups de gueule et projets cinématographiques, Marion revient sur son engagement pour les femmes.
Je t’ai découverte grâce à tes vidéos féministes pour le webzine Madmoizelle. A l’époque, vous étiez encore peu à prendre la parole sur le sujet. Tu t’es découverte très tôt un engagement pour la cause des femmes ?
Quand j’ai commencé sur Internet. C’était à peu près au moment de mes vidéos Mad Gyver. Il y avait déjà une vibe féministe dans ces tutos, sans que je le revendique : je ne me posais pas de questions, je m’en foutais de me montrer pas maquillée, pas très bien coiffée… En 2012-2013, j’ai commencé à me revendiquer féministe et à réaliser des vidéos explicites sur le sujet. J’ai réalisé que ma voix pouvait porter un message.
D’où te vient cette capacité à te moquer du regard des autres ?
Je ne suis pas tout le temps comme ça ! Il y a une part de moi qui est un peu complexée et qui se regarde le nombril. Et l’autre s’en fout. Quand cela concerne ma vie privée, je suis plus centrée sur mon cul. Quand je défends quelque chose de plus important, mon avis perso ne compte plus, ce que je peux penser de moi passe au second plan. J’ai toujours trouvé absurde de faire passer mon apparence avant mon message.
Tu as frappé les esprits lors de ton pitch au TED x Women sur le cyber-harcèlement. On t’en parle d’ailleurs beaucoup. Est-ce que cela t’énerve que je fasse mention de cet épisode de ta vie ?
Pas du tout. Je suis hyper fière de ce TED. Je n’aurais jamais imaginé faire un TED dans ma vie, et encore moins à 27 ans ! Je l’ai fait pour faire passer un message essentiel et j’en suis très fière. Chaque partie de mon texte peut être une leçon de savoir-vivre. C’est vrai que parfois je peux passer uniquement pour une survivante mais ce n’est pas ça mon message : je voulais montrer qu’au contraire, ce cyberharcèlement qui s’est déclenché après la mise en ligne d’une vidéo dans laquelle je dénonçais le harcèlement de rue m’a permis de faire tellement de choses ensuite.
Ton pitch, tes vidéos… Tout a une approche extrêmement pédagogique…
J’ai toujours haï le côté élitiste des choses. Je ne veux pas être mainstream mais je veux être comprise. Défendre mes idées et faire passer mes messages passent forcément par une approche pédagogique. C’est plus fort que moi.
On reste quand même dans un monde de putes.
Tu as été cyberharcelée à l’époque où les médias ne s’intéressaient pas encore au féminisme. Aujourd’hui, après la vague #MeToo, les choses ont changé. De quel oeil vois-tu cette évolution ?
On a effectivement commencé à me demander de venir témoigner sur le cyberharcèlement que j’avais vécu au moment notamment de l’affaire du cyberharcèlement de Nadia Daam. Tous les médias la soutenaient et on est venu me chercher à ce moment-là. Je trouve que les médias ont eu ce côté condescendant après coup, alors qu’au coeur de la tempête, je n’avais aucun soutien. Ça ne m’a pas empêché de témoigner car j’avais mes messages à faire passer, mais on reste quand même dans un monde de putes.
Un mot caractérise ta personnalité : c’est la résilience. Ta capacité à rebondir après les épreuves. Témoigner t’a-t-il aider à te reconstruire ?
La résilience n’est pas un choix. Je sais pas ce qui fait la différence entre une personne qui s’en sort et une personne qui sombre. Je ne sais pas vraiment comment j’ai fait personnellement. Ce n’est pas en témoignant sur le fait que j’ai survécu que je vais m’aider ou aider les autres. Pour être très honnête, je n’ai pas envie de parler aux victimes, je peux pas leur qu’ils n’auront pas peur et qu’ils vont s’en sortir. Je veux empêcher qu’il y ait des victimes. Et ce serait mieux que l’Etat intervienne.
Je me rappellerai toujours de sa réaction quand je lui ai parlé de prendre des mesures contre le cyberharcèlement : “Si les femmes se font harceler en ligne, elles n’ont qu’à pas aller en ligne.” Je la juge moralement puissamment.
Tu as essayé d’alerter l’Etat pour qu’il prenne des mesures…
Très bizarrement, l’Etat n’a pas été intéressé par ce que je défendais. J’ai rencontré Laurence Rossignol, Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes à l’époque, mais il ne lui restait qu’un an à faire. Je me rappellerai toujours de sa réaction quand je lui ai parlé de prendre des mesures contre le cyberharcèlement : “Si les femmes se font harceler en ligne, elles n’ont qu’à pas aller en ligne.” Je la juge moralement puissamment. Moi j’ai toujours été disponible pour aller raconter à l’Assemblée ce qui m’était arriver, pour proposer des mesures. Rien n’a été fait. Marlène Schiappa est un peu plus sensible aujourd’hui à mon discours, mais elle ne se fait pas harceler en tant que femme, elle se fait harceler en tant que femme politique, ce n’est pas du tout la même démarche. Tant que l’Etat n’aura pas la décence de demander aux victimes ce qu’il se passe, rien ne changera. De mon côté, je vais continuer de dire ce que j’ai à dire mais j’ai plus rien à faire avec l’Etat.
J’ai fini par comprendre que le mieux est l’ennemi du bien et que je me trouvais beaucoup d’excuses pour ne pas me lancer. C’était trop con.
L’année dernière tu as lancé ta propre chaîne Youtube. Pourquoi as-tu choisi cette plateforme plutôt qu’une autre ?
J’ai arrêté de me mettre la pression sur ce que j’allais dire. Tu peux aussi faire des choses qui ne font pas partie de l’histoire mais peut être qu’un jour elles marqueront quelqu’un. Je me suis enlevée cette pression sur le nombre de vues, la performance, les likes, les commentaires… Ca m’a beaucoup bloquée au début de ma vie. J’ai fini par comprendre que le mieux est l’ennemi du bien et que je me trouvais beaucoup d’excuses pour ne pas me lancer. C’était trop con.
Deux vidéos ont particulièrement tournées : la première est celle dans laquelle tu fais une déclaration d’amour à ton corps et l’autre où tu t’adresses à ton coeur d’artichaut. Ces vidéos, tu les imagines comme un journal intime ?
J’avais pas forcément voulu que ce soit tire-larme. C’est exprès et pas exprès : je voulais vraiment qu’on comprenne qu’il n’y avait pas forcément de blagues dans ces vidéos mais surtout des messages forts. Dans la vidéo sur le coeur par exemple, je voulais montrer que toutes les comédies romantiques c’est de la merde. Arrête de dire que t’es pas prête à aimer. Arrête de dire que t’as trop peur d’avoir le coeur brisé parce qu’on est toutes un coeur brisé. Personne n’a une vie sentimentale paradisiaque !
Arrêtons de nous regarder sans cesse, de perdre du temps à nous demander si on est assez jolie, assez bien faite. […] Le body positivisme, c’est encore une manière de détourner notre attention des vrais sujets. On est capable de tellement plus.
Tu dénonces aussi le body positivisme dans ta vidéo sur le corps…
Oui, parce que je trouve que le body positivisme est encore une autre manière d’occuper les femmes sur leur corps. Arrêtons de nous regarder sans cesse, de perdre du temps à nous demander si on est assez jolie, assez bien faite. Aujourd’hui, on nous dit que si tu fais plus d’un 38, t’es toujours jolie. Ok. Le pouvoir des femmes ne passe pas par leur apparence. Le body positivisme, c’est encore une manière de détourner notre attention des vrais sujets. On est capable de tellement plus.
Sur quels nouveaux projets travailles-tu en ce moment ?
En ce moment, je suis en train de bosser les dossiers des séries que j’ai envie de développer. L’étape dossier se situe avant l’étape d’écriture : tu dois défendre ton projet à un producteur avant qu’il n’existe. C’est super chiant ! (rires) Sinon j’ai deux séries qui sortent : ma série ZéroStérone qui est présentée ce mois-ci au Festival Séries Mania de Lille. Je suis auteure et je joue aussi dedans avec Shirley Souagnon notamment ! La série suit les aventure de Lucie, une jeune femme dans un monde où les hommes ont disparu depuis 108 ans de la surface de la Terre et où chaque femme doit être inséminée, sinon c’est l’extinction de l’espèce humaine. L’autre série va sortir sur Pickle TV et s’appelle PsychiatrE (ndlr : à prononcer psychiatrie). C’est un thriller, j’y ai une écriture plus noire.
En cette semaine où l’on célèbre les femmes et leurs droits, as-tu des modèles féminins engagés qui t’ont inspirée et qui t’inspirent encore aujourd’hui ?
Ils sont pas forcément engagés. Ils sont comme Mad Gyver, ils font les choses et puis c’est tout. Fred Vargas, Jodie Foster… Sinon ce sont des mecs : Sean Connery par exemple, avec sa carrière légendaire. Personne ne peut jouer James Bond sans qu’on pense à Sean. On devrait se poser moins de questions nous les nanas et faire comme les mecs. A plein de niveaux, même après #MeToo, c’est quand même vachement tranquille d’être un mec.
Aujourd’hui, les mecs et les filles ne veulent pas changer, c’est trop difficile d’éduquer des adultes, ils ont trop d’égo. Les vrais changements arriveront avec les nouvelles générations élevées et éduquer avec les bons messages et les bons repères.
Dans le cadre de notre Semaine Internationale pour le droit des Femmes : si tu devais porter un projet de loi pour les femmes, ce serait lequel ?
Une loi d’éducation. Je proposerais des cours d’éducation mixte pour parler du genre, des cours d’éducation civique pour débattre et se remettre en question. Aujourd’hui, les mecs et les filles ne veulent pas changer, c’est trop difficile d’éduquer des adultes, ils ont trop d’égo. Les vrais changements arriveront avec les nouvelles générations élevées et éduquer avec les bons messages et les bons repères.
Crédit photo : Elliot Aubin