D’abord discret au box-office, « Her Story » de la réalisatrice Yihui Shao qui sort en France le 9 avril prochain, est devenu un phénomène national en Chine. Avec ses 98,3 millions de dollars au box-office, il s’impose parmi les 15 films chinois les plus rentables de l’année. Alors, pourquoi Her Story captive autant, et peut-il conquérir le public occidental ? J’ai l’ai visionné en avant-première et la réponse c’est… oui !
Her Story : pourquoi un tel succès en Chine ?
Là où beaucoup voyaient Her Story comme un film d’auteur confidentiel, son succès en Chine a pris tout le monde de court ! En quelques semaines, il est devenu un phénomène de société. Pourquoi ?
Parce qu’il fait échos aux préoccupations contemporaines des Chinoises qui luttent pour l’égalité des sexes et poussent à une profonde réflexion sur la place des femmes dans la société. Le film entre en résonance avec les nouvelles générations de jeunes Chinoises qui se reconnaissent dans ces personnages qui brisent les tabous, en témoignent le buzz sur les réseaux sociaux où des millions de messages ont été échangés autour du film, propulsant son succès bien au-delà des salles de cinéma.
Je suis très reconnaissante et touchée par l’accueil du public. Cela montre que notre environnement et notre marché sont ouverts à de nouvelles idées et à de nouveaux sujets de discussion, et qu’il existe un terreau favorable pour ces échanges.
YIHUI SHAO, réalistraice de « her story »
Mais que raconte « Her Story » ?
Wang Tiemei, mère célibataire, s’installe à Shanghai avec sa jeune fille, Molly, dans l’espoir de repartir à zéro. Dans son immeuble, elle noue une relation inattendue avec Xiao Ye, une romantique invétérée dont le regard sur le monde s’oppose diamétralement au sien. Malgré leurs différences, les deux femmes trouvent réconfort et force dans leur amitié
nouvelle, s’aidant mutuellement dans un esprit purement sororal à guérir des blessures du passé et à affronter les défis du présent.

Un film féministe divertissant qui tombe parfois dans la caricature
Bien que j’ai beaucoup aimé le film (et que je vous recommande d’aller le voir), je me permet tout de même quelques remarques ! Her Story se présente comme une œuvre engagée et féministe, mais on peut reprocher à la réalisatrice son traitement parfois un peu trop caricatural des thématiques de genre.
La question de la charge mentale, par exemple, est abordée de manière très explicite et presque didactique, à travers des dialogues appuyés et des situations qui manquent parfois de subtilité.
Plutôt que de laisser le spectateurice tirer ses propres conclusions, le film semble vouloir marteler ses messages, au risque de rendre certaines scènes artificielles. En voulant être trop démonstratif, Her Story sacrifie parfois la nuance au profit d’un message percutant mais unidimensionnel, ce qui peut limiter son impact auprès d’un public déjà sensibilisé aux combats féministes.
Même si, je l’avoue, j’ai fondu quand la petite Molly commande de sa propre initiative une boisson chaude pour sa maman au restaurant, ayant bien noté dans son petit agenda les dates de menstruations de sa mère, et proposant de faire de même pour sa voisine.

La tactique de la réalisatrice Yihui Shao : soulever des revendications féministes qui échappent à la censure
Derrière la caméra, la réalisatrice refuse les conventions. Son regard engagé donne avant tout aux femmes les outils pour exister en dehors du regard masculin. Ici, les personnages féminins ne sont ni idéalisés ni réduits à leurs luttes, mais vivent pleinement, avec leurs contradictions et leurs forces.
Qu’il s’agisse des hommes ou des femmes, chacun devrait pouvoir se libérer des rôles traditionnels liés au genre, ne pas se conformer aux stéréotypes et ne pas chercher à atteindre un modèle unique de réussite. Vivre plus librement, en somme.
YIHUI SHAO, réalistraice de « her story »
Mais comment est-elle parvenu à diffuser un film résolument féministe dans un contexte politique où la censure est monnaie courante ?
On peut dire que Yihui Shao l’a joué fine. Her Story aborde des thématiques féministes d’une manière qui reste en adéquation avec les limites imposées par le gouvernement chinois, tout en résonnant avec les préoccupations sociales croissantes du pays. Une subtilité nécessaire pour éviter la censure :
- L’émancipation individuelle plutôt que la revendication collective : le film met en avant des parcours individuels de femmes cherchant à s’émanciper, que ce soit dans leur vie professionnelle, familiale ou sentimentale. Contrairement aux discours féministes plus radicaux qui appellent à une organisation collective pour faire changer les structures patriarcales, Her Story reste dans une approche plus modérée et centrée sur le développement personnel, ce qui est plus facilement acceptable pour le régime chinois.
- La charge mentale et l’équilibre travail-famille : la problématique de la charge mentale est un thème central du film, mais elle est traitée d’une manière qui rejoint les préoccupations démographiques du gouvernement. Face à la crise de la natalité en Chine, l’État cherche à encourager les naissances tout en assouplissant certaines politiques pour améliorer la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. En mettant en lumière les difficultés des femmes sans critiquer frontalement le système, Her Story reste dans une zone de tolérance, voire d’encouragement, pour les autorités.
En évitant des sujets plus sensibles comme le #MeToo chinois, les droits reproductifs ou la contestation politique, Her Story parvient à aborder des thèmes féministes d’une manière qui reste acceptable pour les autorités.
Alors va-t-on le voir au cinéma ?
Franchement oui !
« Her Story » est une comédie divertissante, drôle et empouvoirante à la portée universelle. Il est aussi plaisant d’y voir des personnages masculins en (gros) travail de déconstruction, tenter maladroitement de changer !
Dans la vie quotidienne, il existe déjà des hommes qui ont conscience de ces problèmes, qui sont en pleine remise en question, ou qui sont en train d’apprendre et de comprendre ces enjeux. Si nous sommes capables d’affronter les problèmes structurels, cela permettra aussi bien aux hommes qu’aux femmes de se libérer, d’une manière ou d’une autre.
YIHUI SHAO, réalistraice de « her story »
L’histoire se déroule dans un très joli quartier de Shanghai (probablement la concession française ?) : les appartements des personnages principales me font clairement rêver…
Par ailleurs, il est toujours rafraîchissant d’avoir la curiosité de regarder des comédies étrangères qui ne viennent pas des Etats-Unis ! Avez-vous déjà regardé une comédie chinoise ? Je pense que beaucoup d’entre nous, non !
Rendez-vous dans les salles le 9 avril !
