À 32 ans, elle est nommée, pendant son congé maternité, directrice générale adjointe de NellyRodi, leader international des agences de tendance. On vous présente Nathalie, celle qui sait ce dont la mode, la beauté et demain seront faits.
Félicitations pour ton bébé et pour ton évolution professionnelle. Raconte-nous comment s’est passé ce virage chez NellyRodi ?
Merci beaucoup ! J’ai dirigé pendant 5 ans, de 2011 à juillet 2016, le conseil mode et beauté chez Nelly Rodi. Pour re-contextualiser, il faut savoir que c’est une agence de tendance internationale qui comprend deux services, un service de cahier de tendance qui sont des guides d’achat et d’inspiration pour les marques, et un service consulting sur la mode, la beauté et le design. J’ai travaillé avec le Président sur un tout nouveau business model à insuffler à NellyRodi et pendant mon congé maternité avec mon petit garçon dans les bras, j’ai été nommée Directrice générale adjointe à partir de septembre.
Je ne fume, je ne bois pas, ma drogue c’est l’adrénaline que je trouve dans les projets que je mène et les challenges que je relève.
Ce n’est pas commun pour une femme qui vient d’accoucher d’accéder à un tel poste !
Je vois cela comme un signal très fort envoyé à l’extérieur parce qu’une DG de 32 ans de retour de maternité, c’est rare. C’est super excitant et un vrai challenge pour moi car il faut rester en éveil tout le temps. Il n’y a jamais de moment de creux. Mais c’est précisément ce qui m’anime : je ne fume, je ne bois pas, ma drogue c’est l’adrénaline que je trouve dans les projets que je mène et les challenges que je relève.
Tout le monde ne sait pas forcément comment fonctionne un bureau de tendance. Vous êtes comme un oracle qui prédit les tendances sur les années à venir ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’historiquement, les cabinets de tendance sont nés à Paris dans les années 80. Au début, leur force était d’être ultra créatifs. Puis les marchés se sont ouverts, internationalisés, et les calendriers de la mode et de la beauté ont changé. On a commencé a parlé de lifestyle, de créativité au sens large. Petit à petit, NellyRodi s’est donc articulé autour de deux expertises supplémentaires : le marketing et la sociologie. Concrètement, nos réflexions sont aujourd’hui orchestrées autour d’un processus créatif qui fait appel, pour chaque saison, à des questionnements sur l’environnement social, le nouveau comportement des consommateurs. On peut autant travailler avec un philosophe ou un économiste pour définir les macro trends, qu’avec une nouvelle marque que je trouve intéressante d’observer.
Tu parlais d’un nouveau business model pour NellyRodi. Cela a consisté en quoi grossièrement ?
Nous sommes organisés par secteur maintenant. On n’a plus d’un côté les cahiers de tendances et de l’autre le conseil stratégique. On a bougé le business model, pour avoir une vision sectorielle en nommant des directeurs d’axe qui s’occupe chacun de verticales différentes : la mode, la beauté, la maison… Ce qui m’intéresse dans mon métier, c’est son côté transversal et trans-sectoriel, c’est conseiller des marques qui se questionnent sur leur identité, sur leur futur lancement produit, sur la sortie d’un nouveau service.
NellyRodi, c’est être constamment dans la créativité. Comment y parvenez-vous ?
Je pense que le processus créatif est beaucoup plus riche quand il est transversal. Le monde d’aujourd’hui nous invite clairement à repenser la définition même de la créativité. J’articule cette démarche en 3 temps : la 1ère grande étape, c’est analyser ces macros trends, ces lames de fond mises en lumière par des historiens, des politiques, des philosophes etc… Ensuite j’ai ce que j’appelle l’« encodage marketing sectoriel », nom un peu barbare pour parler de tous ces jeunes designers, ces influenceurs, ces chefs de mouvements qu’il est très intéressant de suivre pour voir ce qui bouge dans les milieux de la mode, de la beauté, du design, de l’art… Enfin, la 3ème étape, c’est le moment où l’on formalise sur une saison et demi d’avance les fameux thèmes saisonniers, ces thèmes esthétiques créatifs qui répondent à l’analyse de l’environnement faite au préalable.
Pour moi, la créativité n’appartient à personne mais à tous. Je trouve la fondatrice de Frichti aussi inspirante que Marie Marot, que la créatrice de Jour/né ou que les fondatrices d’émoi émoi.
Tu parlais d’une nouvelle définition de la créativité aujourd’hui. Pour toi, c’est quoi être créatif ?
Pour moi, la créativité n’appartient à personne mais à tous. Je trouve la fondatrice de Frichti aussi inspirante que Marie Marot (dont je porte une chemise !), que le trio de Jour/né ou que les fondatrices d’émoi émoi. Je n’ai cité que des filles, tiens ! Ce qui est super, c’est que toutes ces femmes sont dans la créativité et l’innovation. La créativité, c’est penser à côté du système, casser les codes. C’est inventer un truc disruptif, qui apporte un nouveau regard, une nouvelle coloration. Cela peut aller vers des choses intemporelles comme chez Marie Marot ou un nouveau besoin comme chez Frichti. Dans tous les cas, c’est aller à la rencontre des clients et être dans l’écoute, sans dénaturer sa vision. Cette nouvelle approche est symptomatique d’une époque chamboulée par les réseaux sociaux : on peut être proches de ses followers Instagram et avoir une lecture du marché non pas commerciale mais beaucoup plus pragmatique.
On n’est plus dans une vision créative dogmatique descendant d’un créa dans sa tour d’ivoire. On est dans quelque chose de plus sensible, dans un écosystème d’entrepreneurs esthètes.
Nous vivons sous le règne du consommateur ?
Le client se met au même niveau qu’un directeur marketing et qu’un directeur du style. C’est aux marques de faire le chemin inverse vers ses consommateurs. On est dans une communauté globale qui casse l’ancienne définition de la créativité et en crée une nouvelle. On n’est plus dans une vision créative dogmatique descendant d’un créa dans sa tour d’ivoire. On est dans quelque chose de plus sensible, dans un écosystème d’entrepreneurs esthètes.
Qu’est-ce que tu sens en tendance de fond dans la beauté et la mode pour les années à venir ?
On se dirige vers un univers cru, brut, dur, un peu berlinois, un peu rave, techno, acide. Je sens une recherche de véracité, d’authenticité un peu dur sur fond de crise social. Les marques ne seront plus sur du storytelling, sur de la poésie, sur une femme fantasmée, c’est l’opposé. On le retrouve beaucoup dans les derniers films de Xavier Dolan qui traitent de réalité sociale hypertrophiée. Cette tendance s’installe depuis deux saisons avec des labels comme Vetement, qui a déjà défilé dans un restaurant chinois et dans un sexe club, ou encore Hood by Air qui réinterprète les codes populaires façon pays de l’Est, hard, white trash. Et moi je crois beaucoup au retour de l’influence de la masse, à cette classe populaire qui reprend le leadership de l’inspiration créative.
La tendance devient de plus en plus une quête de réalisme mais désenchanté.
On peut parler d’un retour de la rue ?
Non, cela va plus loin encore. On a beaucoup eu ces dernières années l’influence de la rue, ce côté street devenu tendance grâce à Kanye West et Pharrell Williams par exemple. Là, il y a quelque chose d’encore plus enraciné : c’est comme si on mixait un bouquin de Bourdieu, un film de Xavier Dolan et le directeur artistique de Vetement. Il y a un besoin d’hyper-authenticité. La tendance devient de plus en plus une quête de réalisme, mais désenchanté. Quelque chose d’un peu sale.
Dans le secteur de la beauté, comment cela va se caractériser ?
Pour la beauté, c’est un peu compliqué car c’est difficile de faire des shootings sales, qui ne sourient pas, qui ne sont pas solaires, qui ne sont pas lumineux. Alors la tendance beauté va surtout se jouer dans le fantasmagorique : avec ce côté déguisement, excentrique. On a envie de faire exploser la marmite après une grosse tendance de l’impeccable. On veut des choses qui pètent les plombs, pas forcément de bon goût. Des make-up osés qu’on s’imagine mal porter mais qui interpellent. Quand tu crées, à force de chercher la cohérence, cela devient chiant, on s’ennuie. Il ne faut pas être toujours trop lisse, il faut accueillir l’accident.
Quand tu crées, à force de chercher la cohérence, cela devient chiant, on s’ennuie. Il ne faut pas être toujours trop lisse, il faut accueillir l’accident.
Dans toute cette course à la tendance, le fait d’être maman d’un petit garçon de 9 mois ne te ramène pas à une réalité coupée de tous ces questionnements ?
Non, au contraire. Le fait d’avoir un enfant te fait devenir beaucoup plus concentrée sur les choses essentielles. Et pour moi la créativité et l’innovation sont essentielles. J’arrive beaucoup mieux à faire le tri entre l’anecdotique et les tendances des fonds. Je suis moins dispersée et plus efficace. Notre métier c’est de répondre par exemple à la question « la nouvelle génération Z c’est qui ? » et mon fils m’aide dans tout cela ! (rires)
Ton métier d’analyse t’aide aussi à appréhender le moment où ton petit sera plus grand…
Exactement ! Ce que je trouve très excitant dans cette génération Z, c’est que pour eux tout est au même niveau : la stratégie, le marketing, tout. Et il se lâchent beaucoup plus dans la créativité. On a tellement cherché à l’encadrer qu’on s’est enfermé. Cette génération va la libérer car elle est beaucoup plus entrepreneuriale. On a 8 secondes pour les capter, ils sont dans l’instantanéité. Ce n’est pas choquant pour eux de parler à quelqu’un, envoyer un texto et tchatter sur Snapchat simultanément. Le renouvellement générationnel devra se faire en entreprise et mon métier est de trouver du liant entre ces gens-là.
Le désir d’instantanéité change les codes de consommation ?
Complètement. Aujourd’hui acheter un éclair de génie est un moment de luxe car il y a une expérience autour. On ne veut plus de cérémonial à l’ancienne, on veut de l’expérience. Le nouveau luxe : ça va être de commander une manucure à domicile à 22h avec l’appli Simone. C’est à l’heure que je veux, où je veux, quand je veux.
Beaucoup d’applications ont compris ce tournant ?
Certaines, oui. Pendant mon congé maternité, je suis devenue adepte des applis de service. La première c’est Simone, dont je te parlais à l’instant. L’autre c’est Cleanio, le service de pressing à domicile. Il y aussi Frichti que j’adore pour se faire livrer des plats maison. Et La Belle Vie, qui fait tes courses et les livre en 30 minutes chez toi. Ils travaillent avec Kayser, ils ont des petits pots pour bébé faits maison, ils peuvent te livrer des planches apéro si tu es prise pas le temps le soir… Ce sont toutes des applis qui offrent des expériences de marque. Un service à la demande.
Il ne faut pas que je reste en circuit fermé. Je suis beaucoup plus inspirée seule sur une île en Thaïlande que dans la cohue parisienne.
Comment fais-tu pour te nourrir des tendances à venir ?
J’ai besoin de me nourrir de la nouvelle génération ultra branchée parisienne, des hommes d’affaires en costumes, de l’art, de la photo, de la culture en générale. Mais j’ai surtout besoin de m’extraire complètement du secteur pour en faire ma propre analyse marketing et business. Il ne faut pas que je reste en circuit fermé. Je suis beaucoup plus inspirée seule sur une île en Thaïlande que dans la cohue parisienne. Tu as besoin de te dépolluer complètement, de te préserver des parenthèses où tu déconnectes. Chez moi, cela se traduit par des longs voyages avec mon amoureux, des rencontres, des retraites. Plus tu te frottes à des truc outsiders, plus tu t’offres la chance d’avoir le coup d’avance. C’est presque une démarche schizophrène car il faut certes déconnecter, mais aussi transformer par la suite cette expérience en inspiration professionnelle. La naissance de mon petit garçon m’y a aidé.
Le futur de NellyRodi tu le vois comment ?
Il y a un mot qui me caractérise beaucoup, c’est la conviction. Le parti pris manque cruellement au monde, on a fait beaucoup de concessions en politique, en économie, en justice… Comme on donne tout à voir, les gens n’ont plus de conviction ! Lorsque tu t’achètes un set de table, tu le postes sur Instagram et tu croises les doigts pour que les likes tombent et prouvent que tu as acheté « le bon ». Plus personne n’ose ! Je veux que mes équipes transmettent cette vision d’une conviction affirmée. Il faut savoir trancher dans un système qui voudrait que l’on « coche toutes les cases ».
Beau message de la part d’un bureau tendance car on imaginerait plus devoir remplir un certain cahier des charges pour être dans la tendance…
Disons qu’il ne faut pas prendre le challenge à l’envers. D’abord tu te fies à ta vision, ta conviction et ensuite tu réfléchis à la meilleure stratégie à adopter pour la servir, aujourd’hui, en 2016. Mais ce n’est pas l’inverse. Conviction et innovation sont les deux piliers de la créativité. Maintenant, vous savez comment être créatifs, osez !
[…] veux tout, c’est le titre assez provoc’ du premier livre de Nathalie Rozborski. Co-Présidente du bureau de tendance au rayonnement international Nelly Rodi, Nathalie y dévoile […]