Charger son téléphone la nuit. Lancer une recherche sur Google. Conserver des emails vieux comme le monde… Autant de pratiques du quotidien en apparence inoffensives qui ont pourtant un impact direct sur notre environnement. C’est ce sur quoi Inès Leonarduzzi, fondatrice de l’ONG Digital for The Planet, nous alerte en dénonçant la pollution numérique. Rencontre avec une femme visionnaire engagée pour une technologie écolo et bienveillante.
Tu as fondé l’ONG Digital For The Planet. Quel a été le déclic ?
Je faisais une randonnée dans les alpes italiennes. Je me sentais loin de tout, les paysages étaient superbes, la nature environnante à couper le souffle. Et puis j’ai reçu une notification sur mon téléphone. C’était une vraie dissonance par rapport à la pureté de ce qui m’entourait, je l’ai vécu de façon super violente. Pour moi, on avait pollué l’air. J’ai réalisé qu’on était connecté absolument partout, qu’il n’y avait plus d’eden protégé. Cela a été un déclic. J’ai fait des recherches et je me suis rendue compte que l’impact du numérique sur la planète était énorme et qu’il n’y avait pas de volonté globale pour réguler cela. Je me suis vraiment sentie animée d’une mission. C’est comme cela que j’ai décidé de créer Digital for the Planet, la première initiative mondiale contre la pollution numérique et pour l’écologie digitale.
80% des personnes sensibilisées à la pollution numérique souhaitent un engagement sur ce point. C’est le prochain enjeu écologique mondial même s’il est encore terriblement méconnu.
Peu de personnes ont connaissance de cette pollution presque invisible. C’est ta mission de nous ouvrir les yeux ?
Complètement. 80% des personnes sensibilisées à la pollution numérique souhaitent un engagement sur ce point. C’est le prochain enjeu écologique mondial même s’il est encore terriblement méconnu.
En quoi consiste ton ONG ?
A sensibiliser évidemment au problème de la pollution numérique et à ses enjeux. C’est une ONG couplée à un cabinet de conseil pour accompagner les entreprises dans une démarche durable et écologique dans le numérique et une start-up tech’ pour imaginer des technologies durables et bienveillantes.
On a tous du sang dans les mains quand on tient nos iPhones.
Qu’entends-tu par pollution numérique ?
Il y a trois aspects différents de la pollution numérique à prendre en compte.
La première provient de la fabrication des produits du numérique. Pour fabriquer ces produits, il faut des métaux rares comme le coltan, indispensable aux smartphones. Et pour le récupérer, on délocalise en masse les populations qui occupent les lieux de gisement. Au Congo, par exemple, on pratique le viol comme arme de guerre et de dissuasion pour faire partir les habitants. On a tous du sang dans les mains quand on tient nos iPhones. Par ailleurs, l’extraction du coltan émet des gaz polluants et radioactifs dont le bilan écologique est catastrophique et explique en partie les canicules qui surviennent en France !
En 2025, les data centers consommeront plus d’énergie que les êtres humains.
Le deuxième enjeu concerne les pratiques digitales. Le cerveau humain n’est pas câblé pour se prémunir contre un danger qu’il ne voit pas. Or, à chaque action sur notre téléphone, il y a une connexion, la fibre se met en marche. Les data sont envoyées et consomment énormément d’électricité. En 2025, les data centers consommeront plus d’énergie que les êtres humains.
On n’a aucune gouvernance mondiale éthique sur le traitement des déchets électroniques. L’année dernière, on a délocalisé 44.7 millions de tonnes de déchets en Asie et en Afrique, soit 166 fois le poids de la Tour Eiffel.
Le troisième enjeu touche aux déchets électroniques. On n’a aucune gouvernance mondiale éthique sur le traitement des déchets électroniques. L’année dernière, on a délocalisé 44.7 millions de tonnes de déchets en Asie et en Afrique, soit 166 fois le poids de la Tour Eiffel. C’est le job le plus dangereux du monde. Il y a des enfants qui utilisent du White Spirit pour brûler les produits et récupérer l’or et le métal qu’ils contiennent. Ca les tue à petit feu et pollue énormément. Il y a en Inde un village nommé “le village du cancer” car tout le monde succombe à ces pratiques.
On est en train de créer une écologie d’élite : on bousille le monde par ailleurs en délocalisant nos déchets en se donnant bonne conscience dans notre propre pays.
Depuis combien de temps as-tu lancé ton ONG ?
Depuis un peu plus d’un an. Je viens du numérique à la base, mais je n’avais pas les bons contacts pour mon projet. Cela a été un travail de fourmi, mais j’ai vite été entourée car c’est un sujet qui interpelle. J’ai des gens un peu partout dans le monde maintenant qui sont investis dans l’ONG : en Inde, à Berlin, à Genève… Des communautés se créent et certaines personnes deviennent des ambassadeurs dans leur entreprise. L’important est de faire entrer le sujet dans la conscience collective.
L’important est de faire entrer le sujet dans la conscience collective.
Combien êtes-vous à travailler sur ton projet ?
Nous sommes aujourd’hui 8 salariés, bientôt 12 d’ici la fin de l’année. Et on est entouré d’environ une quarantaine d’experts. On a levé zéro fond, on n’a ni mécénat ni subventions. Nos fonds proviennent de notre cabinet de conseil pour les entreprises. On travaille sur l’enseignement des bonnes pratiques, nous participons à des conférences pour sensibiliser au maximum mais aussi et surtout on mène des recherches pour optimiser nos technologies et consommer moins. On veut initier un mouvement positif où chaque citoyen a toutes les clefs pour être un héros à son échelle.
On mène des recherches pour optimiser nos technologies et consommer moins. On veut initier un mouvement positif où chaque citoyen a toutes les clefs pour être un héros à son échelle.
Sur quelle projet tech’ travaillez-vous en ce moment ?
On a créé la première intelligence artificielle alimentée en énergie renouvelable. Elle s’appelle Plana, c’est une sorte de “Siri écologique” pour optimiser tes usages. Elle t’indiquera ton empreinte écologique et la meilleure manière de limiter tes dépenses en CO2. Elle te challenge pour avoir moins d’impact. On l’a imaginé à destination des adultes et des enfants. On voudrait même que cet outil soit utilisé à l’école pour sensibiliser dès le plus jeune âge.
On a créé la première intelligence artificielle alimentée en énergie renouvelable. Elle s’appelle Plana, c’est une sorte de “Siri écologique” pour optimiser tes usages. Elle t’indiquera ton empreinte écologique et la meilleure manière de limiter tes dépenses en CO2.
Comment gères-tu ta propre consommation digitale ?
J’enlève mes notifications. J’ai utilisé CleanFox pour supprimer tous les spams de mes boîtes mails. J’enlève toujours le bluetooth et le wifi. Je fais mes recherches avec Ecosia et Lilo : Ecosia plante un arbre à chaque recherche et Lilo finance des projets environnementaux et sociaux. C’est de la compensation. C’est toujours mieux pour donner un peu de sens. Il y a des extensions de navigateurs qui permettent de mettre en veille le logiciel. Un exemple que je donne très souvent également, c’est de ne jamais laisser charger son téléphone toute la nuit. Une heure, deux heures c’est suffisant. La planète est un écosystème vivant, ce n’est pas à elle de porter le poids de nos oublis. Le problème c’est qu’on n’écoute pas la planète. On ne sait pas traiter à égal quelqu’un qui ne parle pas comme nous. On pense qu’on est la race supérieure mais on est la seule espèce à détruire son propre environnement de vie !
On pense qu’on est la race supérieure mais on est la seule espèce à détruire son propre environnement de vie !
Quelles sont tes ambitions pour l’année à venir?
On ouvre une antenne à New York et à San Paolo ce mois-ci. Plana sort début 2019. Ce sera une appli hyper bienveillante et RGPD (ndlr: Règlement Général pour la Protection des Données personnelles) : elle ne récupère pas tes données.
L’éthique est un vrai sujet aujourd’hui, surtout dans la recherche. Comment l’appréhendes-tu ?
Il est essentiel d’avoir des gardes-fous. Plus tu montes en échelon, plus la violence est différente, plus diffuse, passive, inodore. Il est très facile de se laisser contaminer. C’est pourquoi bien s’entourer est primordial : ce sont tes proches, ton équipe, ton entourage qui t’aideront à rester fidèle à tes convictions profondes.
Inès viendra le samedi 1er décembre à notre pop-up store (66 rue Charlot à Paris) pour nous parler pollution numérique. Pour réserver votre place au talk, inscrivez-vous à notre moodletter : nous enverrons un email d’inscription la semaine prochaine !