De la photo de sport, Laurent Baheux a basculé il y a 15 ans dans la photographie animale noir et blanc dont les tirages spectaculaires et émouvants sont présentés chez Yellow Korner. Rencontre avec l’homme qui parvient à capturer des fragments de vie sauvage. (Surprise à la fin de l’article…)
Vous souvenez-vous de votre tout tout premier cliché ? Que représentait-il ?
Je ne me rappelle pas précisément de mon premier cliché mais je me souviens en revanche très bien de mon premier reportage à l’époque où je débutais en journalisme. Il s’agissait d’un match de volley que je devais illustrer pour le quotidien poitevin Centre Presse pour lequel je pigeais. L’équipe locale était en Pro A et je devais fournir la photographie qui accompagnerait mon article car, à cette période, j’écrivais aussi les compte-rendus de la rubrique sportive. C’était loin, en 1995, et j’utilisais mon premier appareil, un boîtier Minolta avec des films argentiques noir et blanc HP5 de chez Illford… C’est une période qui a profondément marqué mon approche de la lumière et des contrastes.
A quel moment de votre vie vous êtes-vous dit que la photographie serait votre métier ?
On peut dire que je suis devenu photographe à temps complet en 1998 lorsque j’ai intégré une des principales agences de presse sportives à Paris. La demande était alors particulièrement dense car il s’agissait de l’année de la victoire de la France lors de la Coupe du Monde de football. La photo de sport est très prenante, très intense et c’est aussi une formidable école.
J’ai vu dans le regard des gens quelque chose que je n’avais jamais vécu auparavant : le public était touché et voyait dans ces animaux des personnalités à part entière, dotée d’émotions et de sentiments.
Comment en êtes-vous venu à la photographie animale ?
Lorsque j’ai commencé à photographier l’Afrique en 2002, je n’avais pas d’objectif précis. Je suis parti là-bas sans pression, ni exigence puisque je ne répondais pas à une commande éditoriale. Je me suis fait plaisir en commençant un travail personnel en n&b sur cette magnifique faune sauvage à contre courant de mon métier de photojournaliste dont l’évolution, balisée et banalisée, ne satisfaisait plus ma soif d’inspiration. Cela constituait presque une thérapie nécessaire en réaction au mode de vie urbain auquel je commençais à devenir allergique. Cinq ans plus tard, lors de ma première exposition, j’ai vu dans le regard des gens quelque chose que je n’avais jamais vécu auparavant : le public était touché et voyait dans ces animaux des personnalités à part entière, dotée d’émotions et de sentiments. Certains se projetaient, d’autres faisaient des comparaisons. C’était émouvant et très troublant.
Les règles des animaux sont simples et claires, ce qui n’est pas toujours le cas chez les hommes dont le niveau d’agressivité ne cesse d’augmenter.
Vous dites “I feel less danger photographing wild animals than living with civilized people”, comment expliquez-vous votre ressenti ?
La question de la sécurité est récurrente quand on parle de séjour en milieu sauvage. Pourtant, il suffit simplement de respecter les animaux, leur tranquillité et leur liberté. Il faut toujours avoir à l’esprit que l’on entre dans leur territoire et que nous sommes en quelque sorte seulement des « invités ». À partir de là, tout se passe bien. Les règles des animaux sont simples et claires, ce qui n’est pas toujours le cas chez les hommes dont le niveau d’agressivité ne cesse d’augmenter.
Photographier des animaux sauvages nécessite d’aller sur leur territoire. Quelle est votre préparation mentale et physique avant une telle rencontre ?
Je n’ai pas de préparation physique particulière bien que je veille à être en forme car les conditions de travail sont parfois hostiles. Il peut faire très chaud en Afrique et très froid en Arctique… soit un écart de 90° entre les deux ! Mais j’ai confiance en moi et en mes capacités et je suis vigilant sur mon équipement.
Quel est votre plus beau souvenir de cliché animal ? Votre plus belle rencontre sur le terrain ?
J’ai une petite histoire sur la photographie la plus inattendue qu’il m’a été donné de prendre en Afrique. C’était une fin de matinée de 2007. La brume s’était levée, le ciel était clément et la lumière était douce au cour de la caldeira du Ngorongoro. Il ne faisait pas encore trop chaud et nous avancions tranquillement avec Morris, mon chauffeur Kenyan, vers une petite troupe de zèbres. Rien à signaler, excepté un jeune zébron gentiment excité qui cabriolait autour des adultes.
Je le suis, l’oeil dans l’objectif lorsqu’il grimpe soudainement sur un talus et se retrouve juste derrière sa mère. À hauteur idéale pour franchir l’obstacle en revenant face à moi. Surpris mais concentré, je déclenche. Morris, qui a observé la scène est encore plus euphorique que moi : « Laurent est-ce que tu l’as ? Est-ce que tu l’as ? » En une vingtaine d’années à parcourir les pistes, il n’a jamais vu ça. Moi non plus. C’est un comportement inédit que l’on ne peut expliquer que par le jeu ; et une image originale.
Je n’aurais bien sûr jamais osé imaginer faire cette photo, capturer cet instant si incroyable et si éphémère. La nature, généreuse, m’a offert un moment rare. Cette expérience n’a fait que renforcer mes convictions, à savoir que je ne prépare pas mes prises de vue.
Sur place, comment se déroulent vos shooting ?
Le spectacle qu’offre la nature est toujours beau. A mes débuts, j’accumulais beaucoup d’images, certainement par déformation professionnelle liée à la photo de sport ou plutôt par réflexe opportun. Aujourd’hui c’est très variable. Il n’y a pas vraiment de règle. Mon unique règle est que je ne prépare pas mes prises de vue. Je choisis seulement un lieu propice et me laisse guider par mes sensations. Souvent, je suis accompagné par un guide local car la conduite du 4×4 n’est pas toujours compatible avec la photographie car, en milieu naturel, une scène ne se passe jamais deux fois ! La première difficulté en photographie de nature et de paysage est de réunir les éléments souhaités (animal, soleil, ombre, nuage, contre-jour, vent…) en allant à leur rencontre. On ne s’imagine pas toujours le temps qu’il faut pour croiser tel ou tel individu et, de surcroît, dans des conditions intéressantes d’ambiance et de lumière. Il en va de même en matière de paysage : il faut du temps pour se trouver au bon endroit au bon moment C’est une quête ingrate qui nécessite de lourds moyens techniques et aussi de la chance. Mais le plaisir est immense quand je saisis l’image qui me plait et qui en plus, touche les autres et les fait réagir.
On sent un réel attrait pour le lion (ou en tout cas, c’est le sujet le plus apprécié de vos acheteurs chez Yellow Korner). Pourquoi lui ?
Le lion est l’animal d’Afrique qui me fascine le plus, avec l’éléphant. Il y a d’abord des éléments esthétiques qui se dégagent forcément : le lion est un très bel animal, massif mais bien proportionné, souple et agile, avec une crinière qui lui couronne le visage et qui lui donne une majesté et une prestance que n’a aucun autre mammifère. Ensuite, il possède une force qui se dégage dans ses postures, ses attitudes, dans son regard, et qui transparaît magnifiquement en photographie.
Le lion répond très bien à l’argument qui dit que chaque sujet est unique ; aucun lion ne se ressemble et aucune image d’un même lion n’est pareille. On peut passer des heures avec un même animal et n’avoir jamais la même image. Le lion offre des possibilités infinies : c’est un régal pour un photographe.
Quel est votre prochain voyage ? Et qu’espérez-vous y trouver là-bas ?
J’ai débuté une nouvelle série sur le froid, sa faune et ses paysages, que j’ai intitulée Ice is black.Pourquoi la glace est-elle noire me direz-vous ? Simplement parce qu’elle s’épuise sous le coup de la chaleur et de l’expansion des hommes, et parce que sous son flanc se cache l’or le plus riche et le plus prisé au monde. Il est la cause et la conséquence, l’origine et la fin : l’or noir…
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