Cet été, découvrez La saison des lucioles, une délicieuse nouvelle *érotique* de G.A O’Neill écrite spécialement pour Prescription Lab en partenariat avec Albin Michel ! A déguster depuis votre parasol… Ce mercredi, dévorez le deuxième chapitre « Deux amants ».
La saison des lucioles
Chapitre 2 – Deux amants
Illustration de @marieguu
Je me prélassais sur la terrasse d’un bungalow inoccupé lorsque j’entendis ses pas dans l’herbe sèche.
— Je t’apporte un ti-punch ma chérie !
Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment-là j’eus envie de pleurer. Peut-être parce que le seul homme à m’avoir appelée ma chérie pendant vingt-cinq ans était feu mon mari et finalement, je ne savais pas ce que cela signifiait pour lui ni à quel moment il avait commencé à me tromper.
Il rapprocha un siège en face de moi et je me dépêchai de tremper mes lèvres dans l’alcool afin de tromper mon chagrin.
— Hum, il est vraiment excellent.
Il buvait à petites gorgées sans rien dire ni me regarder, ce qui ne lui ressemblait pas. Puis il essaya de faire son numéro de dragueur, mais ça sonnait faux. Il était visiblement mal à l’aise.
— Ça ne va pas ?…
Je m’arrêtai là, décidément incapable de prononcer son prénom.
— Si ça va… En fait non, ça ne va pas.
Il déposa son verre sur la table basse et me fixa avec un regard grave.
— C’est idiot, mais je vois un tas de personnes ici. Ça défile en permanence, mais je crois que tu vas vraiment… vraiment me manquer. Tu es certaine de ne pas vouloir poursuivre tes cours ?
En réalité, j’en avais une folle envie, mais je me sentais trop bien ici, j’avais peur d’être en train de fuir le monde. Il fallait que je voie d’autres personnes.
— On n’a jamais réellement discuté. Tu as quelqu’un ?
L’éternel sujet du moment. J’aurais préféré qu’il ignore cette question. Je savais naturellement où il voulait en venir, mais visiblement il désirait faire les choses correctement alors que moi je n’en avais rien à faire.
— Non, je n’ai personne.
— Mais tu as des enfants à ce que j’ai cru comprendre.
— Oui, j’ai des enfants et à peu de choses près j’aurais même pu être ta mère, fis-je amèrement.
Il prit soudain un ton ferme.
— D’un : ce n’est pas du tout là où je voulais en venir et de deux : t’as tout juste l’air d’être ma petite sœur.
Même si c’était exagéré, il me fit rire.
Il se tut un instant. Reprit une gorgée de punch et tourna son regard vers les dunes.
— Mon mari est mort. J’avais besoin de vacances, mais rassure-toi, c’était un con.
— Vous étiez mariés depuis combien de temps ?
C’était le seul à ne pas me dire qu’il était désolé et ça faisait plutôt du bien.
— Nous vivions ensemble depuis vingt-cinq ans. Le voyage était prévu pour notre anniversaire. Je devais annuler et puis…
— Tu as fait le bon choix. Mais un homme avec qui on a passé tant d’années ne peut pas être un con. Enfin, si, mais une femme comme toi n’aurait pas fait sa vie avec un pauvre type. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Je lui racontai ma vie. Ma rencontre avec François-Xavier, les enfants, le travail, les moments de doute et sa mort brutale, sans rien enjoliver.
— Tu as de la peine ? fit-il.
— Pas vraiment, j’ai plutôt des regrets. Je n’ai pas versé une seule larme pour lui, dis-je en souriant. Maintenant que je suis là, je sens que tout cela est enfin derrière moi. Ces cours de surf m’ont fait un bien extraordinaire. C’était salvateur !
Il fronça les sourcils avant de reposer son verre comme un point final à notre conversation. Il resta un long moment silencieux.
— On ne laisse jamais ce genre de choses derrière soi. Arrive un moment où elles ne nous empêchent plus d’avancer, c’est tout, mais elles sont toujours là à côté de nous. C’est ce qu’on appelle faire le deuil. Et toi tu ne l’as pas encore fait. Tu te racontes des histoires et tu le sais très bien.
— Non, je t’assure, je me sens tellement mieux. Bien sûr, fis-je, tout n’est pas encore rose, mais je suis sur la bonne voie. L’énergie de la mer m’a redonné de la force…
— C’est quoi ce blabla à deux balles ? L’énergie de la mer… le surf salvateur.
Je ne le connaissais pas comme ça. Je déposai mon verre, pris une grande inspiration et croisai les bras. Pas besoin de faire de la psychologie de posture pour savoir qu’il m’énervait, ce gamin d’à peine trente piges.
— Tu veux que je te dise, inutile d’être devin pour voir que t’es sur le point de craquer, ma belle.
Son ton se fit plus doux.
Je fronçai les sourcils. Est-ce qu’il avait raison ? Est-ce que j’avais l’air dépressive ? Certes, j’avais mes hauts et mes bas, mais de là à dire que c’était marqué sur mon front, il y allait un peu fort. Et puis je sentais un réel mieux.
— Le surf, ça peut pas faire de mal, mais ça n’a jamais été une thérapie.
— Je n’ai pas besoin d’une thérapie, Firmin !
— Eh bien, au moins tu auras fini par prononcer mon prénom, dit-il en riant.
Je rougis, gênée comme une gamine.
— Je sais en tout cas ce dont tu as besoin maintenant.
Il se leva et me tendit la main. Je le suivis à l’intérieur du bungalow.
Il m’attira contre son torse nu, passa ses mains dans mes cheveux. Ma respiration s’accéléra. La dernière fois que j’avais fait l’amour avec mon mari remontait à une éternité, et avec un autre homme que lui, à mes dix-huit ans. Mon mari et moi nous étions rencontrés si jeunes. Mes mains devinrent moites et tremblantes. Il m’embrassa dans le cou, sur les joues, puis je sentis ses lèvres chaudes sur les miennes. Je revivais cette sensation d’embrasser pour la première fois un homme. Cet émoi du cœur et des sens. Je me laissai alors complètement aller et il m’embrassa plus fougueusement à mesure que je lui rendais son étreinte.
Je soulevai les bras pour le laisser ôter mon débardeur. Il dénoua mon haut de maillot de bain et embrassa mes tétons dressés. Je laissai ma tête pencher en arrière et gémis de plaisir. Il enleva délicatement mon short puis fit glisser ma culotte. Je sentis sa langue commencer à lécher mon clitoris avant de pénétrer mon sexe mouillé d’excitation. Ses mains, plaquées sur mes fesses, accompagnaient les va-et-vient de sa langue. Il m’allongea sur le lit, tout en continuant de me lécher avant d’enfoncer deux doigts salvateurs dans mon sexe ouvert. Je me laissai complètement faire et aller à mon plaisir. Puis, il remonta au niveau de mon visage et son regard changea brusquement.
— J’ai pas de préservatifs ! dit-il. Je reviens tout de suite !
J’avais été en couple depuis si longtemps que je pouvais compter sur les doigts d’une main les fois où j’avais dû utiliser un préservatif.
Je regardais ses jambes musclées et ses fesses se creuser alors qu’il enfilait son short de bain.
Lorsqu’il revint, j’écartai largement les cuisses pour l’accueillir. Son sexe était dressé et incroyablement dur. J’avais envie qu’il me pénètre sans attendre. J’avais envie de sentir sa verge dans ma vulve chaude et mouillée. Alors je la pris dans la main et la guidai entre mes cuisses. J’étais tellement excitée que je ne sentis même pas le préservatif, uniquement son sexe cogner au fond de moi. Il ondulait d’abord lentement, langoureusement, de façon à me donner un maximum de plaisir, puis il accélérait avant de ralentir à nouveau pour contenir son orgasme montant.
Il était doux, sensuel. Nous avons fait l’amour le restant de l’après-midi. Le soir, nous avons dîné sur sa terrasse à la lumière de lampions. C’était magique. Puis nous avons refait l’amour une bonne partie de la nuit. Lorsque je me réveillai au petit matin, il était déjà debout, prêt à donner son premier cours de la journée. J’observais ses gestes et essayais d’encrer cet instant qui me paraissait irréel. Était-ce bien moi qui avais fait l’amour à cet homme ?
Je m’étais jetée dans ses bras et cela avait été si bon et si loin de la femme que j’avais été jusqu’à présent que j’avais du mal à y croire.
— Alors, tu es certaine de ne pas vouloir remonter sur une planche ? dit-il en se penchant au-dessus de moi pour m’embrasser.
Je restai ferme sur ma décision, mais promis de revenir dans le courant de la semaine. J’avais besoin de me retrouver seule, de faire le point sur ce que j’étais en train de vivre. Mon humeur pouvait osciller entre la joie et le désespoir dans la même minute. Je ne savais pas si ce voyage était ou non une bonne chose. Ce qu’il m’avait dit m’avait ébranlée et peut-être réveillée. Je m’évertuais à ne penser qu’au moment présent et pourtant je me surprenais à broyer du noir et imaginer ce que ce séjour aurait pu être si François-Xavier avait été à mes côtés. Car malgré tout ce qu’il m’avait fait, je crois que je l’aimais encore et je le maudissais d’être mort.
Le soir, je m’installai au fond du kiosque pour dîner.
J’étais à peine assise, humant avec joie l’air du soir, lorsque je l’entendis approcher.
À vrai dire, je ne l’avais pas revu depuis le début de mes cours ; je me levais très tôt le matin et ne rentrais dans l’après-midi que pour me prélasser dans ma suite et parfois prendre un bain dans la piscine.
— Diane ! Ça me fait plaisir de vous voir. Ça fait un bout de temps, j’ai cru que vous étiez déjà partie.
En disant cela, il s’était assis à ma table. Je savais que je ne pourrais plus déguster mon savoureux dîner tranquillement. Autant dire qu’il était à moitié gâché. Je devrais faire attention à manger délicatement mon crabe, du coup je renonçai à mon plat. J’abandonnai également l’idée de prendre leur salade fraîche de fruits verts et de légumes grillés qui était délicieuse, mais très aillée. J’aurais pu la demander sans ail, mais qu’aurait-il pensé ? Que je me préparais à une fin de soirée romantique ?
Le serveur nous apporta les cartes.
— Je ne veux pas m’imposer. Vous vouliez peut-être rester seule… ?
— Non, cela me fait extrêmement plaisir au contraire ! mentis-je avec force.
Dans ce genre de circonstance, je ne peux m’empêcher d’en faire des tonnes, hélas, et d’exprimer exactement le contraire de ma pensée.
— Je vais prendre des acras épinard et crevettes
— Et moi, ce sera votre salade verte et ses petits légumes grillés.
Il avait pris ma salade, j’étais verte !
— Elle est absolument délicieuse.
Et comme plat ? demanda le serveur en se tournant vers moi.
— Le chatrou, s’il vous plaît.
— Je prendrais le matoutou. C’est la spécialité du moment à base de crabe. C’est un délice, Diane.
— Oui… je connais, merci.
— Alors, qu’avez-vous fait depuis la dernière fois ?
— J’ai un peu sillonné l’île, mentis-je, et vous ? m’empressai-je de demander.
— Je n’ai pas fait grand-chose à part lire sur ma véranda et aller à la plage.
Il fit une pause comme si ce qu’il allait dire lui demandait un effort.
— À vrai dire, je ne suis pas très motivé pour faire les choses en solitaire. J’aime partager ce que je fais, pas vous ?
Mon Dieu ! Comment éviter cette perche tendue ? Ce n’était pas très courtois de sa part de ne me laisser aucune échappatoire. Impossible de dire non sans faire preuve de grossièreté. Heureusement, j’avais mon joker tout prêt, une carte d’invincibilité.
— Vous savez, avec la perte de mon mari… je…
Je baissai les yeux, le menton tremblant.
— Oui, bien entendu, vous avez besoin de vous retrouver.
— Oui, c’est exactement cela. Je pense encore à lui.
Et j’en rajoutai encore une couche pour la peine.
— Il aurait dû se trouver dans cet endroit merveilleux à mes côtés.
— Excusez-moi, je suis indélicat.
Il avait l’air vraiment contrit, penaud.
— Non, ne vous excusez pas. Si je suis venue ici ce n’est pas pour m’apitoyer sur mon sort, et peut-être pourrions nous faire une visite ensemble. En fait, j’ai très envie de faire la marche qui relie Grand Rivière au Prêcheur. Vous connaissez ?
Le serveur revint avec nos entrées.
— Non, je ne connais pas, répondit-il la bouche pleine. Mais je suis absolument partant !
Je me serais giflée.
Son visage s’illumina. Malgré tout, je trouvais cela touchant qu’il se fasse une joie de faire quelque chose avec moi. Avec son physique, il aurait pu courir toutes les jeunettes de l’île pour enterrer son divorce et finalement j’étais flattée qu’il veuille être en ma compagnie.
— Quand voulez-vous que nous fassions cette petite promenade ?
— Il y a un départ après-demain.
— C’est parti pour vendredi ! À quelle heure ?
— Le départ se fait à six heures donc il faudrait être au lobby à cinq heures du matin.
— Cinq heures ? s’exclama-t-il.
Le morceau de pain qu’il venait de mettre dans sa bouche semblait avoir pris le mauvais chemin.
— C’est une marche de six heures, enfin, si l’on est un bon marcheur et vous m’avez l’air d’être en très bonne condition physique, non ? Sinon c’est huit heures et le retour se fait en canot.
— Oui, oui…, dit-il avec un sourire timide qui voulait dire qu’il appréciait le compliment, mais que cela ne l’enchantait guère.
Je me délectai de mes acras frais et croustillants, attendant son verdict que je connaissais déjà.
— Bon, eh bien, j’espère que cette balade vaut vraiment le détour.
Le vendredi à six heures nous étions un petit groupe de sept personnes au départ de la marche avec notre guide. Il y avait un couple d’une soixantaine d’années équipé de bâtons de marche nordique et un groupe d’amis composé de deux garçons et une fille.
Tout le monde avait l’air en très bonne condition physique. Cela promettait d’être une marche dynamique comme je les aimais.
— Tout le monde est là. Je vais vous montrer le chemin que nous allons emprunter, dit le guide en désignant le panneau à l’entrée du sentier.
Il avait une voix éraillée qui trahissait un âge avancé que démentait son corps de jeune homme vigoureux.
— Si tout se passe bien, nous arriverons au Prêcheur pour le déjeuner où nous vous avons préparé une petite surprise, et nous ferons le retour par la mer. Est-ce que vous avez des questions ?
Personne n’en avait.
— Bon, sur le chemin vous allez voir des matoutous falaises. Ce sont des mygales. Elles ne sont pas dangereuses tant qu’on ne les attaque pas. Et il y a aussi des serpents, mais c’est assez rare qu’ils se montrent.
Il inspecta nos chaussures de marche et eut un petit air satisfait.
— Très bien, c’est parti alors.
On le suivit à travers bois. La densité de la forêt empêchait le soleil d’y pénétrer complètement. Le chemin était sombre et nous étions ravis d’avoir un petit pull sur le dos.
Le début du sentier était plat, le guide en profita pour nous désigner quelques essences, nous faire observer des fleurs de balisier ou quelques parterres d’anthurium pourpres.
Le guide pressa un peu le pas alors que nous entamions une montée. Le sentier grimpait de plus en plus. Nous marchions tous à bonne allure et on se réchauffa vite.
— Vous vous imaginez, Diane, que nous allons mettre autant de temps que le vol Paris–Fort-de-France ? dit FX, le souffle déjà court.
— Oui, c’est vrai, dis-je, amusée, mais lui n’avait pas l’air de le prendre aussi bien.
Sans m’en rendre compte, j’accélérai le pas et dépassai le groupe pour me retrouver au niveau du guide. Je me mis à marcher devant lui.
— Je peux ?
— Oui, allez-y, il n’y a pas de piège, c’est toujours tout droit.
Je n’avais personne pour me barrer la vue, j’avais la forêt pour moi toute seule. Je marchai ainsi plus d’une heure, abandonnant, non sans remords, mon compagnon de route, mais je ne voulais pas faire de concession. Plus à mon âge et après la vie que j’avais eue ces dernières années. « Trop bonne, trop conne. » C’était l’expression que j’avais en tête. C’était malheureux d’en arriver là, mais vient un jour où l’on a envie de ne penser qu’à soi et ce jour était venu pour moi. Et puis, je ne savais pas à qui j’avais affaire. Peut-être était-il un homme égoïste et insupportable. Il avait fumé un cigare sans me demander mon autorisation, alors pourquoi me ferais-je du mouron pour lui ?
J’emplis mes poumons de cette odeur de terre humide et de chlorophylle, étirai mes bras et fis une halte devant un passage à flanc de montagne. C’était magnifique. J’attendis le groupe et retrouvai FX.
Son visage avait pris une teinte oscillant entre le rouge et le violet.
— Ça va ?
— Oui oui, ça va, répondit-il avec un sourire un peu forcé.
Il était le dernier de la file et je sentais qu’il forçait un peu son rythme pour ne pas être à la traîne. Il avait une belle allure physique, mais c’était un fumeur. Au final, c’est le couple de soixante-dix ans qui était en tête après moi. Les jeunes aussi avaient l’air fatigués.
— Je vais passer le premier, dit le guide et vous allez faire exactement comme moi afin de ne prendre aucun risque.
— On va passer par là ? demanda l’un des jeunes.
Je vis ses yeux regarder le vide avec appréhension. Sa bouche était sèche.
— Oui, mais ne vous inquiétez pas, je fais ça tous les jours. Y a pas de problème !
Le couple de retraités s’engagea derrière lui. La pente était abrupte, mais les plantes et les arbres étaient rassurants.
C’était au tour du groupe de jeunes.
— Je peux pas.
— Mais si, vous allez y arriver, dit le guide à l’autre bout du chemin. C’est juste cinq grands pas à faire.
— Je peux pas, j’ai le vertige, je peux pas, dit le jeune homme.
Le guide revint vers nous et essaya de le raisonner pendant au moins quinze minutes. Sa sœur également y mit du sien.
— Bon, je suis désolé, finit par dire le guide, mais nous allons devoir faire demi-tour.
Des petits grommellements de déceptions se firent entendre, surtout dans son groupe. Nous étions tous déçus, mais ce n’était pas la peine de rajouter de la honte à son malaise.
Sa sœur s’était mise en retrait, son téléphone collé à l’oreille.
Elle revint, toujours en discussion au téléphone, et regardait son frère avec une drôle d’expression sur le visage. Visiblement, on lui annonçait une mauvaise nouvelle. C’est terrible, car dans ces cas-là on imagine le pire et la personne au téléphone ne se rend pas compte de l’expression qu’elle renvoie. On a envie de lui dire : « Accouche, p… ! »
Elle finit enfin par raccrocher.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda son frère empressé.
Nous étions tous suspendus à ses lèvres.
— C’est Huck…
— Quoi, Huck ? demanda-t-il, fébrile.
— Il est mort, Huck est mort.
Elle s’effondra dans les bras de son frère en larmes.
— C’est pas possible, dis-moi que c’est pas vrai, implora-t-il.
C’était triste, mais a priori c’était le nom d’un animal, enfin, depuis mon surfeur au nom de canard, je n’étais plus sûre de rien.
Le jeune homme était pris de soubresauts. Les mains sur le visage essuyant des larmes qui n’en finissaient pas de couler.
Sa jeune sœur le prit par la main et le poussa doucement vers le chemin.
— Il nous faut rejoindre Le Prêcheur, comme ça on pourra rappeler Maman, on capte mal ici.
Je ne sais pas comment il fit pour ne pas tomber, car il avait toujours les mains sur les yeux et ces terribles soubresauts.
Nous suivîmes derrière lui et je me dis que dans son malheur, il allait permettre au groupe de terminer la marche.
— Bravo frérot, tu vois, t’as réussi à vaincre ta peur ! C’est génial.
— Mais j’m’en fous complètement ! Dis-moi comment il est mort. C’est cet enfoiré de voisin qui l’a empoisonné, c’est ça ?
Cette fois-ci, j’avais l’assurance qu’il s’agissait d’un animal ou alors leurs voisins n’étaient vraiment pas fréquentables.
Nous attendions tous sa réponse. Elle resta muette plusieurs secondes tête baissée avant qu’un petit sourire ne se dessine sur ses lèvres d’abord puis ses joues et enfin ses yeux.
— C’est pas vrai…, dit-il en séchant ses larmes.
— Écoute, j’ai trois bonnes nouvelles pour toi : un, notre chien n’est pas mort ; deux, tu as vaincu ton vertige et trois, regarde…
Un peu plus loin au bout du chemin on pouvait voir la récompense de tous nos efforts : une énorme cascade se jetait dans une piscine naturelle. C’était le moment de faire un petit break et de se jeter à l’eau.
— Tu vas me le payer, dit-il en la pourchassant.
Il la rattrapa, la prit comme un baluchon sur son dos et la jeta dans l’eau à douze degrés. Le tout se termina dans des petits cris suraigus et des rires communicatifs.
FX observait ce beau paysage. Finalement, il ne regrettait pas cette marche.
Il était seulement neuf heures et demie quand nous repartîmes.
À midi et demi nous arrivâmes au Prêcheur. Le guide nous conduisit à un petit restaurant sur la rade. On s’installa gaiement à notre tablée.
La blague de la petite sœur avait créé une cohésion dans le groupe et tout le monde parlait avec tout le monde. Nous avions tous beaucoup ri et beaucoup compati pour ce jeune homme.
Le guide ne nous avait pas menti sur la surprise. Après un joyeux apéritif, on nous apporta des langoustes grillées fraîchement pêchées.
Plus tard nous fîmes le chemin inverse dans un petit canot de pêcheur.
Depuis la mer, la vue sur la montagne Pelée était imprenable. Je me mis dans la peau des navigateurs découvrant ces îles et leur beauté sauvage. Quel vertige ! Le canot longea plusieurs petites anses de sable noir. Le guide nous montra un petit îlet du nom de la Perle. Cette zone était par ailleurs connue des plongeurs pour ses épaves de navires coulés pour la plupart lors de l’éruption de la montagne Pelée en 1902.
— J’ai passé une excellente journée, grâce à toi, dit-il alors que nous rentrions à l’habitation. On peut se tutoyer ?
— Oui, bien sûr !
— Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi bien.
— Tant mieux, je dois dire qu’au début j’ai cru que ça ne te plaisait pas du tout…
— Eh bien, ce n’est pas faux !
Il me faisait rire.
— Est-ce que ça te dit de faire un petit tour dans l’habitation un peu plus tard ? Je ne me suis pas encore aventuré alentour.
— Avec plaisir, me surpris-je à répondre.
Je le rejoignis un peu avant le coucher du soleil. Le domaine était vaste et l’on pouvait en faire le tour par un chemin balisé.
Quand le soleil déclina davantage, des torches illuminèrent de façon douce et subtile le jardin. À la fin de notre promenade, il me proposa de visiter son lodge.
FX logeait dans l’un des quatre bungalows du domaine. Il fallait grimper une petite colline pour y accéder. Il me conduisit sur sa véranda d’où il avait une vue imprenable sur le site.
Nous nous tenions debout appuyés à la balustrade, observant les étoiles qui brillaient de plus en plus à mesure que le soleil déclinait.
— Oh ! Une luciole ! Et encore une autre là-bas !
— Tu aimes les lucioles ? demanda-t-il, amusé.
— Ça me rappelle mon enfance. Cela faisait si longtemps que je n’en avais vu. Regarde, on en voit plein.
— Comment tu vas ?
— Bien, très bien !
— Je veux dire que cette période ne doit pas être facile, même si ton mari brûle en enfer.
Il me fixait, presque soucieux. Je fus surprise.
— Je vais…
Ma gorge se noua à ce moment précis pour une raison obscure. Pourquoi ne s’était elle pas nouée le jour de l’enterrement, pourquoi pas le jour du mariage de ma fille où son père aurait dû la conduire à l’autel, pourquoi pas dans l’avion où la place à côté de moi était restée vide, pourquoi pas à l’atterrissage lorsque le chauffeur avait eu le mauvais goût de brandir une pancarte à nos deux noms, pourquoi pas en me réveillant dans ce lit deux places chaque matin ?
Ma gorge commençait à me brûler, je déglutis et j’eus la force de lui répondre.
— Je vais bien, merci… (Décidément, je ne pouvais pas prononcer son prénom.) Depuis que je suis ici, je me sens beaucoup mieux. Comment le contraire eut été possible ? dis-je en esquissant un sourire. Regarde ce superbe paysage qui nous entoure.
— Tu as deux grands enfants, c’est ça ?
— Oui
— Et eux, comment vont-ils ?
— Ça va bien. Ils ont pleuré leur père au début, mais c’est surtout de la colère qu’ils ont ressentie après.
— Il est mort brutalement ? Excuse-moi, je suis indiscret…
— Non, ce n’est pas grave. Oui, il est mort très brutalement, mais je n’ai pas envie d’en parler maintenant.
Il me fixa droit dans les yeux et je ne détournai pas le regard. Je remarquai alors qu’il avait des yeux bleus foncés et sans y penser, je fis une chose que je n’aurais jamais faite quelques jours auparavant. Je m’approchai de lui, saisis ses bras et les passai autour de ma taille. Il se pencha et m’embrassa langoureusement avant de reprendre ses esprits.
— J’ai peur d’abuser de ta vulnérabilité.
— Vas-y, abuses-en, dis-je avant de l’embrasser plus fougueusement encore.
Libérée par mon aventure avec Fifi, je pris l’initiative, dénouai sa chemise et baissai son pantalon. Il se laissa faire et, tout en m’embrassant, m’invita à l’intérieur de son lodge et m’allongea sur le lit. J’ôtai lentement mes vêtements tandis qu’il contemplait mon corps avant de retirer son boxer. La vision de son sexe tendu vers moi m’excita davantage et je me glissai sous lui pour le prendre dans ma bouche. Je l’avais fait naturellement, sans réfléchir et pour la première fois de ma vie j’aimai ça. Sentir son gland gonfler sous ma langue, l’entendre gémir me procurait une certaine jouissance. Il râla de plaisir en voyant ma bouche tantôt titiller son gland, tantôt l’engloutir jusqu’à ce qu’il cogne au fond de ma gorge. Je continuai de le masturber avec les mains en exerçant une pression bien ferme sur sa verge et pris ses testicules dans ma bouche. À ce moment-là, FX m’arrêta et je compris qu’il allait jouir si je n’arrêtais pas.
Il mit alors un préservatif et me pénétra lentement sans quitter mes yeux du regard. Je gémissais de plus en plus fort au fur et à mesure que sa verge me pénétrait et j’eus pour la première fois de ma vie la sensation que j’allais jouir tout de suite tant le plaisir était intense. En même temps que son sexe, je sentais son bas-ventre frotter contre mon clitoris. Ma vulve était de plus en plus chaude et mouillée.
— C’est bon, me susurra-t-il à l’oreille.
— Oui, continue, j’aime ton sexe. Cogne-moi fort !
Alors il se redressa sur ses bras et ondula plus fort en accélérant le rythme. Je sentis mon bas-ventre chauffer et une décharge électrique partir de mon clitoris et irradier mon corps.
À ce moment-là, sa verge durcit davantage et FX émit un gémissement profond qui accompagna son éjaculation.
Il s’endormit. Je contemplai alors le visage de cet homme qui portait le même prénom que mon défunt mari et me remémorai ce jour où, six mois auparavant, mon téléphone personnel avait sonné alors que j’étais en réunion. Je ne reconnaissais pas le numéro et si je n’écoutais que partiellement ce qui se disait, préférant avancer sur mes mails pros, je ne pouvais pas pour autant quitter la pièce et décrocher. J’éteignis mon portable et lorsque je le rallumai deux heures plus tard, j’avais huit appels en absence et deux messages. J’écoutai les messages. L’un provenait d’une collaboratrice de François-Xavier, l’autre de l’hôpital. Il fallait que je m’y rende de toute urgence.
Je fus accueillie par le médecin du service réanimation.
Mon mari venait de décéder à la suite d’une crise cardiaque.
— Comment ? Ce n’est pas possible, mon mari va très bien.
— Je suis désolé, madame Sénéchal, mais votre mari a eu un malaise sur… dans… enfin sur le lieu de son travail et nous l’avons hospitalisé en urgence…
Je ne sais pas combien de temps cet échange a duré. C’était juste surréaliste. J’avais la soudaine impression d’être tombée dans une distorsion espace-temps. Je ne savais plus quand ni où j’étais. J’avais reçu un coup de massue. Mon cerveau n’arrivait plus à réfléchir correctement. Curieusement, je ne demandai pas à voir le corps. J’avais d’abord besoin de comprendre, car tant que je n’aurais pas compris il ne pourrait y avoir de corps.
— Madame ?
Le médecin fit signe à une infirmière qui m’apporta un verre d’eau.
— Oui ? dis-je en plissant les paupières. La lumière me faisait soudainement mal aux yeux.
Je me levai brusquement et composai nerveusement un numéro de téléphone.
— Rébecca, c’est Diane.
— Oh Diane, mon Dieu, je suis désolée, répondit la DRH de mon mari, j’ai essayé de te joindre. Comment va-t-il ?
— Je ne comprends pas Rebecca, explique-moi ce qui s’est passé. Il a eu un malaise ?
— Oui… il…
— J’ai besoin de savoir comment ça s’est passé. Ce matin il était en forme… Je ne comprends pas…
— Je ne peux pas te dire, il n’était pas au bureau quand c’est arrivé.
— Ah bon, il était où ?
— En rendez-vous à l’extérieur.
— Qui a appelé les urgences ?
— Je ne sais pas…
Je demandai au médecin qui avait appelé les urgences. Il consulta son fichier.
— Une femme du nom de Marion Gomez.
— Rebecca, Marion l’accompagne à ses rendez-vous maintenant ? Elle a eu une promotion ? Passe-la-moi, dis-je sur un ton ferme.
— Euh, elle a dû rentrer… tu sais, nous sommes tous sous le choc. Mais dis-moi, comment va-t-il ?
— Je ne sais pas trop, le médecin vient de me dire qu’il était mort.
J’entendis un cri à l’autre bout du fil et je raccrochai. Ainsi s’étaient écoulés les jours qui avaient suivi. J’étais flottante, j’avais l’impression qu’on enterrait quelqu’un d’autre. Je n’avais pas voulu voir son corps, je n’avais pas fait de discours à l’église.
Personne n’avait été capable de me dire comment il avait eu ce malaise, jusqu’au jour où j’eus enfin l’énergie de passer à son bureau récupérer le reste de ses affaires personnelles. Je tenais à le faire moi-même.
Valéry Razinski, son directeur commercial, qui avait assisté aux funérailles vint m’aider.
Je le questionnai. J’avais besoin de connaître le déroulement de cette journée dans les moindres détails. Je le poussai dans ses retranchements, car visiblement il y avait quelque chose de louche, un malaise flottait.
— Tu veux dire qu’il couchait avec Marion ?
— Je suis sincèrement désolé, dit-il en me touchant le bras, mais je me dégageai.
— C’est elle qui a appelé les urgences, ça veut dire qu’il est mort en la sautant, c’est ça ?
Il était gêné, mais en même temps il mourait d’envie que je sache la vérité. En tirerait-il un plaisir morbide ou pensait-il que je méritais de savoir ?
— Je suis désolé.
Je repartis en croisant des visages compatissants qui s’écartaient à mon passage avec la vision de mon mari succombant en pleine extase.
La suite mercredi prochain sur le blog….