Léa Griton-Noël fait partie des rares femmes à être titulaires d’un poste d’astrophysicienne en France. Celle qui raconte avoir poursuivi des études de sciences par défi, partage dans son premier livre, En quête de planètes, sa passion pour l’exploration spatiale, son désir d’une meilleure représentation des femmes dans la communauté scientifique et nous plonge, avec pédagogie, dans les coulisses des laboratoires scientifiques qui repoussent les limites de la physique universelle… Rencontre avec femme qui en impose.
Quand on te lit Léa Griton-Noël, on découvre le monde fabuleux de l’astronomie et de l’astrophysique. Tout d’abord, en quoi consiste le métier d’astrophysicienne ?
Être astrophysicienne est avant tout un métier de chercheuse : se poser les bonnes questions pour réussir à décrire l’univers avec des mathématiques. Les lois de la physique sont censées être universelles. Pourtant, on repousse ses limites lorsqu’on travaille dans des conditions qui n’existent pas sur Terre. Repousser ses limites nous permet de faire en sorte qu’elle reste universelle. Personnellement, j’avais besoin de faire de la science dans le système solaire car c’est un endroit plus proche de nous. J’aime pouvoir envoyer des sondes pour travailler sur des objets qu’on voit à l’œil nu dans le ciel la nuit.
Qu’est-ce qui t’a amenée vers ce métier d’astrophysicienne ?
Quand j’étais petite, j’aimais beaucoup de choses : lire, l’archéologie, découvrir de nouvelles choses… En fait, j’ai cherché un métier où il y avait un coté aventure et aussi un côté histoire.
J’aimais beaucoup lire adolescentes les livres sur les grands astronomes (Newton, Galilée…) : c’est un métier qui existe depuis la nuit des temps. Et il n’y a pas d’intérêt économique. Quand on travaille sur les vaccins par exemple, il y a des dépôts de brevet. Je ne dis pas que c’est mal ! Mais ca me faisait plaisir de faire de la recherche, purement pour la recherche.
Ce n’était évidemment pas les termes que j’utilisais à 15 ans ! Mais aujourd’hui, c’est comme cela que je le formulerais : on est payés pour se questionner, remettre en question ce qu’on fait, c’est une liberté ! On dépend de l’argent public, on ne fait pas tout ce qu’on veut, mais on n’a pas de hiérarchie directe, on choisit ce sur quoi on travaille. C’est cet aspect là qui m’a attirée.
Léa Griton-Noël – astrophysicienne, autrice du livre En quête de planètes (éditions Quanto, 22€)
Tu as souhaité que ton livre ne soit pas trop personnel, pourquoi ?
Je crois beaucoup en une phrase d’Oscar Wild, Be yourself everyone else is taken. J’enseigne dans le bureau d’orientation professionnelle et je pense que c’est très important de ne pas présenter son parcours comme modèle, sinon les jeunes arrivent moins à se projeter. Je voulais que ce livre puisse inspirer en donnant des clefs, sans me mettre en avant.
Il y a une forme d’humilité dans l’intro de ton ouvrage car tu précises être une chercheuse en début de carrière et pour toi « les ennuis ne font que commencer » : de quels ennuis parles-tu ?
En France, il n’y a pas de CDI de recherche : il faut passer un concours pour obtenir un poste de fonctionnaire. Quand j’ai écrit mon livre, suite à une sollicitation de mon éditeur, cela ne faisait qu’un an que j’étais fonctionnaire : tout reste à faire ! Dans 10 ans, je n’aurai probablement pas du tout tout le même regard sur ce que je fais.
Pour écrire ce livre, je me suis mise à ma place il y a 10 ans : quand j’étais adolescente, j’avais trouvé très peu de livres écrits par des femmes en sciences. Il y a des livres encyclopédiques avec des équations… mais pas de livres à la Hubert Reeves, vulgarisateur et accessible pour un large public, notamment les jeunes.
Tout un chapitre est consacré à la place des femmes dans l’histoire de l’exploration spatiale : tu dis que cette question s’est imposée à toi très tôt par différentes prises de conscience, peux-tu nous les raconter ?
A l’époque, j’étais contre les quotas, je n’avais pas envie d’être traitée différemment que les hommes. Mais la situation est bien plus complexe que cela.
C’est devenu très rapidement un besoin chez moi de chercher les femmes de sciences dans l’Histoire, de trouver leurs traces dans les textes anciens. Et il y en a beaucoup plus que ce que l’on imagine ! Elles ont eu des rôles géniaux alors qu’elles n’en avaient pas le droit. Elle tenaient leur maison, leur famille, en plus d’être des femmes de sciences. Alors que les hommes de sciences, eux, étaient célibataires ou entretenus. Et on parle très peu de leur vie privée, contrairement aux femmes scientifiques. Une fois que j’ai fait ce constat, c’est devenu un combat.
Léa Griton-Noël, cette quête de rôles modèles féminins dans la science t’a pris beaucoup de temps, pourquoi en avais-tu autant besoin ?
J’avais besoin de savoir si j’étais légitime.
Quand on a tellement peu de modèles féminins en tête, on peut se demander si ce ne serait pas mieux d’aller enseigner ailleurs, car personnellement je ne sentais pas avoir ma place dans ce monde là.
Avec le recul, j’ai passé probablement trop de temps dans cette quête de rôles modèles. J’ai perdu du temps dans la recherche à ne pas faire de la science. C’est aussi pour cela qu’on manque de relai et qu’on a besoin que les hommes prennent aussi le sujet en main.
Parmi les rôles modèles qui t’ont inspirée, peux-tu nous citer trois femmes qui t’ont particulièrement marquée et dont tu parles dans ton livre ?
Il y a Madame Lepaute : cette année, ce sont ses 300 ans ! Elle était l’épouse de l’horloger du Roi. L’horlogerie est un domaine d’expertise avec beaucoup de mécanique, mathématique et calculs. Par le biais de son mari, elle a eu accès a des ressources scientifiques, et au milieu scientifique parisien de l’époque. Elle a participé à énormément de calculs, elle les appliquait aux astres pour faire des éphémérides (des prédictions d’éclipses de lune). Elle a participé notamment au calcul du retour de la comète Halley, celle qui est représentée sur la tapisserie de Bayeux et d’autres gravures antiques.
Madame Lepaute et Lalande ont relevé le défi d’intégrer la présence de Jupiter et Saturne autour de la comète pour avoir une date plus précise sur son retour et effectivement leur calcul a été plus précis que ceux basés uniquement sur la loi de Newton. C’est la preuve que la théorie décrit ce que l’on voit et qu’elle peut être prédictive. Madame Lepaute a éduqué son neveu qui est devenu professeur de mathématiques à l’Ecole Militaire, avant d’être élu adjoint astronome à l’Académie royale des sciences. Elle avait aussi ce souci de transmission qui m’a beaucoup inspiré.
Je pense aussi à Caroline Herschel : elle a eu une façon très moderne de faire de la science. William, son grand-frère, avait fuit la guerre en Allemagne pour l’Angleterre. Il s’y était installé en tant que musicien avec son jeune frère Alexandre. Celui-ci lui avait fait comprendre qu’il fallait absolument faire venir leur sœur, Caroline, réduite en esclavage dans leur famille depuis la mort de leur père (qui la protégeait et l’éduquait). Elle avait eu le tiphus, mesurait seulement 1m30 et elle travaillait comme une dingue chez elle pour ne pas être marié de force. Elle finit par les rejoindre. Là-bas, les frères travaillaient, par passion, sur des télescopes. Caroline est devenu progressivement leur associée scientifique. Quand William a découvert une planète, et est devenu astronome royal, il a demandé à travailler avec sa sœur. Elle est devenue la première femme à percevoir une pension royale pour faire des recherches scientifiques. Elle a découvert, seule, une comète, et craignant que quelqu’un d’autre ne la voit, elle a décidé de prendre son courage à deux mains et d’écrire aux scientifiques pour annoncer sa découverte, malgré l’absence de ses frères. Il faut savoir qu’à l’époque, les femmes n’avaient pas le droit de rentrer dans les académies.
Le livre de David Aubin, Femmes, vulgarisation et pratique des sciences au siècle des Lumières, montre bien que les femmes ont toujours été intéressées par les sciences. Les femmes aristocrates prenaient des leçons de mathématique, d’astronomie : c’était la seule façon de pratiquer des sciences, devenir élève.
Il est question également dans ton livre d’écologie. Cette question est de plus en plus centrale autour des sujets d’exploration spatiale…
Ce sont des choses qui m’ont frappée en tant que jeune chercheuse et qui parlent peut-être moins à la génération d’avant.
Des hommes d’affaires américains prônent le tourisme spatial : ces hommes là donnent l’impression que l’espace est accessible. Mais cela n’a rien à voir avec l’avion. L’espace est très inhospitalier, dangereux.
Léa Griton-Noël, tu milites pour une meilleure transmission des savoirs dans le cadre des recherches scientifiques, en quoi est-ce si problématique aujourd’hui ?
C’est essentiel qu’il y ait une transmission de connaissances pour que chaque scientifique n’ait pas à réinventer l’eau chaude à chaque fois. Le fait par exemple d’être open source permet de ne pas payer pour les articles. Baptiste Cecconi est très engagé sur ces questions.
Qui achète ton livre ?
Je voulais qu’un maximum de monde se sentent à l’aise. J’ai eu à la fois une élève de 6ème qui est venue acheter mon livre avec son papa, une retraité âgée ancienne enseignante à Meudon, mes anciennes stagiaires, des chercheurs intéressés par la partie sur le futur de l’exploration… Mon livre ne s’adresse pas à quelqu’un qui veut faire de la physique de façon universitaire !
Que penses-tu d’un personnage comme Elon Musk ?
Son côté science sans conscience est dérangeant. Il faut faire attention quand on fait des démonstrations scientifiques aux impacts politiques qui vont en découler. Elon Musk est le plus médiatisé, mais il existe de nombreux hommes d’affaires qui veulent utiliser le spatial pour faire des démonstrations de force, sans aucune conscience du développement durable. Les choses avancent, en octobre dernier le gouvernement américain a infligé la toute première amende pour “débris spatiaux” à l’opérateur américain de télécommunications et de télévision par satellite Dish Network qui devra payer 150 000 dollars pour n’avoir pas désorbité correctement l’un de ses satellites.
Quel est le message scientifique de ton livre ?
L’exploration spatiale est importante car les planètes sont des laboratoires différents pour faire de la physique, que l’on n’a pas sur Terre ! En termes d’écologie, on pourrait se dire qu’on arrête tout, mais nos recherches ne servent pas à rien, loin de là, et c’est ce que je raconte dans mon livre…
En quête de planètes, Explorer le Système solaire, aujourd’hui et (après-)demain, de Léa Griton-Noël (éditions Quanto, 22€)
Crédit photo de couverture – Guillermo Ferla