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Maître Isadora & Miss Hyda – Chapitre 2

En août, ça se réchauffe sur Le Prescripteur… Découvrez chaque mercredi sur le blog, un nouveau chapitre de votre nouvelle érotique de l’été à lire secrètement sous le parasol ! Embarquez dans l’histoire passionnante et dévorante de… Maitre Isadora & Miss Hyde, de Esmeléïa Brandt. Ne vous fiez pas aux apparences… Découvrez aujourd’hui un teasing de la nouvelle avant la sortie de son premier chapitre demain ! Une collaboration avec les éditions MA Next Romance, littérature pour adulte.

Trois mois plus tard.

 

Tristan.

 

L’Organique est encore bondé ce soir. Il y a du monde dans le moindre recoin. Les salles privatives ne désemplissent pas. J’observe tout ça depuis mon poste devant la porte. Les hommes qui chassent et les femelles en chaleur. L’air est saturé de luxure. De dépravation aussi.

Depuis mon arrestation et l’intervention de Maître Isadora, j’ai enfin obtenu ce que je souhaitais, et j’ai gravi, lentement mais sûrement, les échelons du réseau. Aujourd’hui, je suis chargé de la sécurité du club. Pourtant, rien ne bouge vraiment comme je le voudrais.

Si j’ai compris comment ils opéraient, pour l’instant je n’ai pas pu les prendre la main dans le sac. Je dois être patient. En attendant, je récolte un max d’infos sur les acteurs de tout ce merdier. Le moment venu, je les ferai tous tomber. Mais pas question de me précipiter et de tout faire foirer, sous prétexte que je n’ai pas su attendre un peu.

Je suis au courant que des gens meurent en attendant, mais c’est un petit prix à payer pour que toute cette saloperie de trafic d’organes s’arrête.

Ouais, vous avez bien compris. Je parle là d’un très gros réseau étendu sur plusieurs pays. L’Organique, le bien nommé, sert de couverture aux dirigeants de ce commerce illicite. Derrière la porte que je garde se trouve la salle de réunion où se joue entre grands pontes, la négociation des contrats ainsi que les commandes. Il y a une salle d’opération chirurgicale aussi, pour les cas désespérés ou urgents.

Le réseau est si vaste qu’il donne également dans le blanchiment d’argent et la corruption. Car oui, le trafic d’organes rapporte gros. Très gros. Tout a un prix dans ce bas monde. Surtout le désespoir des gens. Tout ça me répugne et rien ne me plairait plus que de loger une balle dans la tête de chacun de ces pourris. Mais je dois être prudent. De ce que j’ai réussi à récupérer comme info, nous sommes sur de l’international. J’ai déjà dans le collimateur quatre hauts responsables politiques, une femme chirurgien de renommée mondiale, des acteurs du monde judiciaire bien sûr, sans parler de la fine fleur des petits voyous et autres rabatteurs…

Je veux leurs peaux à tous. Pas question d’en rater un. Alors c’est vrai, en attendant de terminer mon boulot et de tous les flanquer au trou, des gens bien meurent, et souvent dans des conditions atroces. J’ai beau me sentir coupable, je me dis qu’ils ne seront pas morts en vain.

C’est même une promesse.

Je dois faire des choix. C’est comme ça. C’est le taf.

Et chaque fois que je pense à tout ça, j’ai les nerfs. La rage.

Une haine pure et absolue m’envahit. J’aurais bien besoin d’évacuer la pression. Un éclair blond attire alors mon attention.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Mon regard glisse sur une silhouette magnifique que dissimule à peine une minuscule robe en cuir rose. Je ne l’avais encore jamais vu ici. Je hausse un sourcil et fais un signe du menton à l’attention d’un des vigiles. Il me rejoint immédiatement.

— La nouvelle là-bas.

Je n’ai pas besoin d’en dire plus. Il s’en va, pour revenir deux minutes plus tard avec un dossier qu’il me tend. Je ne le remercie pas et ouvre la chemise cartonnée.

Il faut savoir que L’Organique est un club select qui ne laisse pas entrer n’importe qui. Tous nos membres sont recommandés. Ils doivent remplir une fiche détaillée, passer des examens médicaux et payer des droits d’entrée. Ils sont acceptés pour une durée maximum d’un an et doivent attendre six mois avant de pouvoir prétendre réintégrer les lieux. L’Organique assure ainsi un renouveau, en même temps qu’il développe une dépendance. Tous les membres veulent revenir. Sans exception. Et cela fait partie de mon job de savoir qui ils sont.

D’où mon intérêt tout professionnel bien sûr.

Je lis en diagonale tout en gardant un œil sur la beauté froide qui prend ses marques. Les chasseurs l’ont déjà repérée.

Miss Hyde.

Ça, c’est un pseudo qui en dit long…

 

 

Isadora.

 

L’Organique est un club surprenant. Jamais je n’aurais imaginé ça en y entrant. Tous les tons sont axés sur le rouge organique, d’où le nom du club. Les lumières sont cachées de façon astucieuse derrière des pans de vitres rouges traversées par des éclairs électriques violines. On a l’impression d’entrer dans un corps humain. Tout est fait pour nous le faire ressentir en tout cas. La musique pulse dans la salle principale et des filles, habillées de simples strings et montées sur des escarpins de dix centimètres, dansent sensuellement dans des tubes de verre, rouges également.

Derrière cette piste, encadrée par les deux tubes, une porte devant laquelle se trouve un homme. Celui pour lequel j’ai fait tout ce chemin depuis notre première rencontre au commissariat. Parce que, non, je n’ai pas réussi à l’oublier.

Je suis toujours en quête de ce plus. Or, c’est peut-être con, mais j’ai comme la sensation que cet homme peut m’apporter cette dose de  je-ne-sais-quoi  que je recherche désespérément. Lassée de ma propre fixation à son égard, j’ai finalement décidé d’y céder.

Je me suis donc renseignée, allant jusqu’à fouiller dans les dossiers personnels de mon associé où j’ai récupéré son adresse professionnelle. J’avoue que la pointe d’adrénaline ressentie à ce moment-là était délicieusement stimulante.

J’ai fini par apprendre également que ce cher Janus travaillait à L’Organique. Le hic, c’étaient les conditions d’entrée. Je pouvais prétendre à tout, sauf à la recommandation. J’avais donc fait le tour de mon propre réseau de relations. Cela m’avait pris du temps. Je ne voulais pas éveiller les soupçons. Jusqu’à ce qu’une cliente me rappelle pour un petit problème juridique. Une broutille à vrai dire, mais j’avais sauté sur l’occasion. Daniela Lugz m’était redevable. Je l’avais sortie d’une affaire assez sordide deux ans auparavant. Je n’avais donc eu aucun scrupule à lui demander ce menu service.

Daniela avait ri, mais fini par accepter. J’ai dû cependant patienter quinze jours supplémentaires, car bien que le turn-over soit possible il fallait attendre l’occasion.

Et me voilà.

Enfin.

J’ai repéré Janus dès que je suis arrivée. J’ai préféré faire comme si je ne l’avais pas vu cependant. Je devais avant tout prendre mes marques. Comme au tribunal lorsque je fais ma plaidoirie. C’est mon métier de savoir capter l’attention et laisser mon empreinte dans toute la salle. Ma voix doit s’adapter et se faire dramatique quand il le faut. Je me dois d’être tour à tour impitoyable et empathique.

Souffler le chaud, mais ne vivre que par le froid.

Tactique qui a fait ses preuves.

  

Tristan.

 

Nos membres ont le droit de se faire appeler comme ils le veulent au club. Beaucoup sont des gens connus préférant garder leur identité secrète. Nous leur offrons cette possibilité. Seules quelques personnes ont accès à l’ensemble des informations : les membres dirigeants et le staff de sécurité. C’est une nécessité en cas de problème.

Je vais donc directement à la ligne qui m’intéresse.

J’ai la sensation que les yeux me sortent des orbites quand je lis le nom associé au pseudo. Je fixe alors toute mon attention sur le dos de la femme accoudée au bar. Dos révélé par un décolleté plongeant laissant entrevoir un tatouage que jamais je n’aurais imaginé.

« Qu’est-ce qu’elle fout là ? » est la première pensée qui me traverse l’esprit, juste après « retourne-toi ».

Je suis sidéré. Pour ne pas dire presque choqué. Cette femme parasite mes pensées depuis que je l’ai vue dans ce chemisier trop boutonné.

Je ne peux m’empêcher d’aller voir qui l’a recommandé : Daniela Lugz, l’une de nos plus anciennes habituées.

Je ne sais pas pourquoi, mais je suis agacée de la savoir ici. Je referme le dossier brusquement et le rends au vigile qui repart avec sans un mot. C’est à cet instant qu’elle décide de se retourner vers moi.

Maître Isadora.

Non.

Miss Hyde.

Putain. Franchement, je ne l’aurais pas reconnue au premier abord.

Elle porte une perruque blond platine coupée au carré, a les lèvres peintes d’un rouge carmin et tient à la main un verre tulipe contenant un cocktail quelconque. Elle boit doucement en penchant légèrement la tête vers l’arrière. Ses boucles d’oreilles pendantes en forme de flèche, pointant vers le bas, bougent au rythme de ses gorgées. Je repère alors le grain de beauté qui m’avait déjà torturé la première fois.

Sa robe est si courte qu’elle remonte jusqu’à mi-cuisse, lorsqu’elle est assise comme maintenant. Une jambe croisée sur l’autre, son escarpin rouge bat la mesure au rythme de la musique.

Maître Isadora m’avait fait bander en petite bourgeoise sage. Ce n’est rien, comparé à maintenant.

Comme quoi l’apparence est toujours trompeuse.

Il va falloir que je garde un œil sur elle et ça m’agace à l’avance.

Je la vois reposer son verre sur le bar. Elle scrute la salle, posant ses yeux un peu partout et nulle part. Son regard glisse sur moi sans s’arrêter. Je croise les bras et cela attire immédiatement son attention qui se concentre brusquement sur moi.

 

 Isadora.

 

Je suis allée m’asseoir au bar sur un tabouret haut, sans aucune honte d’afficher mes atouts. Je n’hésite jamais à utiliser tout mon arsenal lorsqu’il le faut. Il y a bien trop longtemps que Miss Hyde attend ce moment. Je commande un whisky sour, histoire de me mettre dans l’ambiance. L’alcool qui descend dans ma gorge me réchauffe presque autant que ses yeux posés sur moi.

Je sais qu’il m’observe. Je balaye encore une fois le club du regard. Les tenues sont minimalistes. Les membres savent ce qu’ils veulent. Cela se voit à la façon dont ils se déhanchent les uns contre les autres. Ils sont tous là pour le sexe. Certains s’évadent vers des salles privatives, d’autres s’exhibent en se pelotant sur les canapés autour des tables basses. Les gestes sont osés, certes, mais restent mesurés. Je présume que le plus chaud se passe à l’abri des curieux. Je vois de l’hétéro, du gay, du bi… Ici tout est permis et personne ne juge personne sur ses préférences.

Ma préférence à moi s’appelle Janus. C’est même devenu une obsession. Là, tout de suite, j’ai très envie de me lever pour aller me frotter tout contre lui. Je me ferais aussi un plaisir de suivre les mouvements des danseuses le long de son corps.

Lorsque mes yeux reviennent vers lui, Janus capte mon regard juste en croisant les bras.

Ses épaules nom de Dieu !

Il est tellement massif qu’il prend tout l’encadrement de la porte. Sa coupe viking marque sa dangerosité. Sa mâchoire carrée, sa virilité. Il a l’air sérieux et en colère. Prêt à bondir. Comme un tigre.

Grrr…

Cela me donne chaud. Très chaud.

Une femme s’approche de lui et pose une main aux ongles trop manucurés sur son bras. Cela me hérisse. Elle lui parle à l’oreille. Il hoche la tête deux fois, décroise les bras pour faire un geste à l’attention d’un autre homme.

Je bois une autre gorgée de mon cocktail pour masquer ma consternation. Janus continue de me fixer, alors que l’homme les rejoint et que la femme lui caresse désormais le ventre.

Quand le vigile prend sa place et qu’il embarque la fille dans un couloir, je n’ai plus de doute sur ce qu’il va faire. J’ai des envies de meurtres, mues uniquement par une jalousie instinctive et primaire que j’ai beaucoup de mal à m’expliquer.

J’avale la fin de mon whisky sour, dont l’amertume me semble être pile au diapason de ce que je ressens à cet instant précis. Or Miss Hyde n’est pas amère. Jamais. Ça, c’est l’apanage de Maître Isadora Cambor. Je fixe ce tunnel sombre où ils sont partis depuis maintenant cinq minutes. Comme je ne les vois pas revenir, je me dis que je dois en avoir le cœur net. Alors je me lève pour le suivre.

Je fends la foule sans me soucier des mains qui cherchent à m’attirer dans la danse. Je m’extrais de la piste et fonce dans le couloir. Le claquement de mes escarpins sur le sol est atténué par le revêtement en Vinyle, rouge lui aussi. Des leds de couleur violette courent tout le long du mur. Je stoppe net quand je vois une dizaine de portes de chaque côté du couloir.

Merde.

Vais-je oser ouvrir ses foutues portes l’une après l’autre ?

Je cille, mais ne recule pas.

Janus est à moi, bordel.

J’actionne la première poignée, résolue à le trouver. Bon, clairement, ce n’est pas lui. Ici, je fais face à deux femmes dont une m’invite très explicitement à les rejoindre.

Merci, mais non merci.

Je continue vaillamment porte après porte. J’avoue que mon cerveau en prend plein les mirettes. Ce petit jeu m’excite finalement. Mes seins sont tendus et mon tanga trempé. Mes cuisses se serrent instinctivement à la recherche d’un soulagement, quel qu’il soit. À la sixième porte, je reste ébahie devant la scène.

Putain, il n’a pas perdu de temps !

Je déglutis.

Je suis dégoûtée, mais étrangement je ne peux pas quitter Janus et sa partenaire des yeux. Je n’y arrive pas.

Ils sont légèrement de biais par rapport à moi. La fille ne peut pas me voir, car elle est de dos et à quatre pattes. Lui en revanche, il suffit d’un tout petit mouvement des yeux pour qu’il me repère. Je ne bouge plus, la main posée sur la poignée la porte ouverte en grand.

Janus a clairement ses doigts dans la féminité de la fille et la titille de la meilleure des façons, si j’en crois ses petits cris de femelle en chaleur. Je manque une inspiration. Il caresse lentement toute la longueur de son échine de l’autre, avant de lui peloter vigoureusement les fesses.

Je suis tétanisée. Je n’arrive plus à bouger.

Je le vois nu pour la première fois. Il a un corps magnifique, même si je n’en entraperçois que la partie pile. Chaque ligne de ses muscles est dessinée à la perfection. Ses cuisses sont aussi musclées que je l’imaginais, si ce n’est plus. Ses épaules roulent un tango sensuel et obscène à chacun de ses mouvements.

Putain.

Ma respiration s’accélère.

C’est là que Janus tourne la tête vers moi et me sourit. Je comprends qu’il a toujours su que j’étais là. La fille hurle son premier orgasme.

Il s’éloigne juste un instant avant de se saisir de son membre et de l’empaler dessus. Elle crie de plus belle, manifestant ainsi son contentement. Janus ne m’a pas quittée du regard. C’est comme si cela l’excitait de me voir les mater.

Naturellement mes yeux papillonnent de ses fesses qui se contractent à ses yeux qui me déshabillent. La fille souffle, gémit et en demande plus. Janus s’exécute et accélère. Mon corps se met à trembler. Je voudrais être à la place de cette femme. Je voudrais ressentir ce plaisir qu’elle dégage. Ce désir qu’il fait monter en elle et qui devrait m’appartenir à moi.

Rien qu’à moi.

Mais qu’est-ce que je raconte ? Il ne sait pas qui je suis.

O.K., nouveau plan.

Lui laisser un souvenir impérissable.

Souffler le chaud.

Je lâche la poignée pour amener ma main tout doucement à la lisière de ma robe. Je remonte tout doucement le tissu sur ma cuisse et lui révèle mon tanga rouge sang. Mon autre main s’empare d’un de mes seins.

Janus écarquille les yeux et empoigne la fille par les hanches pour la pilonner un peu plus.

En représailles, je glisse mes doigts sous ma dentelle et vais chercher le centre nerveux de mon plaisir. Je commence à me doigter devant lui. Je sais que je ne mettrai pas longtemps à atteindre l’orgasme.

Oh non vraiment pas…

Je cale mon rythme sur ses coups de boutoir à lui. Il halète, je souffle. Il se raidit, je me liquéfie. Il se mord la lèvre, je darde ma langue vers lui.

Je n’ai plus aucune inhibition. Je veux qu’il me remarque. Je veux qu’il se souvienne. Pas une seule fois je ne gémis ni ne crie. Je veux qu’il sache que je contrôle tout, y compris ce qu’il fait à cette femme finalement. Parce que je vois bien qu’il attend de donner l’assaut final. Janus repousse la jouissance de sa partenaire initiale pour mieux s’approprier la mienne.

Je n’en peux plus de ce petit jeu et je refuse qu’il gagne cette manche. Il faut qu’on en finisse. Alors je me donne tout et m’envoie tout droit au septième ciel. Je penche la tête en arrière en fermant les yeux et en me mordant les lèvres jusqu’au sang pour m’éviter de hurler.

Lorsque je redescends de mon trip, Janus est toujours concentré sur moi. La fille a pris son pied comme une folle et vient de s’effondrer au sol. Il se caresse pour se finir, mais en aucun cas je ne compte rester le regarder, même si j’en crève d’envie.

Ne vivre que par le froid.

Je sors mes doigts de mon tanga, les lèche consciencieusement avant de lisser ma robe et de refermer la porte.

Je pars sur mes talons en vacillant, mais certaine d’une chose :

Janus n’oubliera pas de sitôt Miss Hyde.

 

Tristan.

 

La porte se referme au moment où j’éjacule violemment dans la capote, la remplissant comme jamais auparavant. La jouissance vient de loin. Très loin. La décharge électrique qui est descendue tout le long de mon échine, jusqu’à gonfler mes bourses et faire pulser ma queue, a été douloureuse.

Le cri que je lance en fixant la porte close en est l’expression ultime.

Un cri de rage et de souffrance tout à la fois qui me laisse pantelant et en sueur.

Je manque de m’effondrer sur l’autre fille qui commence juste à reprendre ses esprits. Je ferme les yeux en tentant de comprendre ce qui vient exactement de se passer.

Je rêve, ou mon avocate déguisée en femme fatale vient de me poursuivre jusque dans une salle privée pour me voir m’envoyer en l’air ?

J’hallucine, ou vient-elle vraiment de se masturber devant moi, la porte grande ouverte, aux risques que n’importe qui puisse la reluquer à son tour ?

Je cauchemarde, ou elle vient de lécher son propre plaisir avant de me claquer la porte au nez dans un « va te faire foutre » retentissant ?

Je ferme les yeux le temps de me reprendre, tellement je suis en colère à cet instant précis.

— Waouh, Janus, c’était génial ! me dit Sasha de la voix rauque d’une qui a bu plus que de raison. On remet ça quand tu veux, chéri.

J’inspire profondément, de plus en plus agacé. Je pince l’arête de mon nez, sous le coup de tout ce que je ressens. Je me dégage rapidement de Sasha et me relève. J’ôte d’un geste sec le préservatif, y fais un nœud et le jette dans la poubelle. J’attrape une clope et l’allume pour essayer de me détendre, écoutant d’une oreille distraite le « bla-bla » de plus en plus désagréable de cette fille dont je n’ai plus rien à foutre.

Je ne sais pas ce qui est le plus néfaste, à cette minute précise : la cigarette ou Sasha. Pour une raison qui m’échappe, je continue cependant à me les infliger, l’une comme l’autre.

Sasha ne s’offusque pas de mon mutisme, trop satisfaite – ou stone, allez savoir – pour comprendre qu’elle est en train de me soûler grave à continuer de parler en ronronnant et couinant comme un moteur de Porsche mal réglé. Elle remet son string tout en se dandinant et en me montrant son cul.

Et ça se croit sexy…

Putain que ça me gonfle.

— Sasha ? je l’interpelle sèchement.

— Hmm ? dit-elle en se retournant légèrement vers moi et en se trémoussant.

— Ta gueule et tire-toi.

Elle écarquille les yeux de surprise, avant de s’habiller à grand renfort de gestes rageurs et de me traiter de connard. La porte claque une nouvelle fois. Je suis enfin seul.

J’attrape mon jean et l’enfile en essayant vainement de comprendre ce que Maître Isadora – enfin, son alter ego, Miss Hyde –, vient faire à L’Organique.

Je n’aime pas ça. Cette femme cache trop de choses, je le sens dans mes tripes. Elle se dissimule derrière ses fringues de collet monté.

Il n’y a pas plus vicieux et menteur qu’un avocat, dit-on dans le milieu policier et juridique. Une petite enquête va s’imposer. Je vais devoir me méfier. Je ne sais pas ce qu’elle me veut, mais ça ne va pas être possible.

Déjà parce que je ne baise pas avec les avocates, question de principe. Les flics et les avocats, c’est comme la Corée du Nord et la Corée du Sud : ça fait partie du même pays, mais ça ne peut pas se saquer. La frontière est trop épaisse. Nous, on passe notre temps à arrêter les fumiers, eux  ils passent leur temps à les faire relâcher.

Je ne peux décidément pas les blairer.

Ensuite, parce que rien ne doit me détourner de ma mission. On est spécialiste de l’infiltration ou on ne l’est pas.

Tout domaine. Toute expertise. Toute profondeur.

C’est mon credo et c’est pour ça que, sans me vanter, je suis le meilleur. Je vais aussi loin que je dois aller. Racler les fonds de tiroir et les fonds de culotte, je sais faire.

Je continue de lancer des ronds de fumée au plafond, pensif. Ma pause est bientôt finie et, franchement, j’ai connu mieux. Parce que, à part tirer la vicieuse Sasha et ma sacro-sainte clope, je ne me sens pas vraiment reposé là tout de suite.

Je dirais même que je suis très tendu. Encore plus qu’en arrivant. Et ça fait vraiment chier.

Je soupire, écrase mon mégot dans la paume de ma main, faute de mieux. Je ne sais pas pourquoi, j’oublie toujours qu’il est interdit de fumer dans les lieux publics. Ma peau grésille doucement. Le pschitt  fait un doux bruit à mes oreilles et possède le mérite de me calmer immédiatement. J’enfile mon T-shirt et ressors de la pièce en laissant la porte ouverte pour les prochains.

Je rejoins la salle principale du club et récupère mon poste, non sans cependant jeter un œil à la piste, à la recherche de Miss Hyde. Je la repère, se déhanchant entre deux femmes. Elle me fixe un instant en relevant son menton comme un défi, puis finit par ne plus se préoccuper de moi de toute la soirée.

Je rebranche mon oreillette afin de pouvoir suivre ce qui se passe avec le reste de mon équipe, disséminée un peu partout dans la boîte. J’ai beau essayer de rester concentré, il n’y a rien à faire. Mes yeux reviennent invariablement sur la perruque blond platine. Je prends chacun de ses gestes et de ses frotti-frotta pour de la provocation pure et dure.

Un jour, Maître Isadora, j’effacerai de ton visage ce petit air hautain et condescendant…, je pense en fulminant. Un jour, nous serons en face à face, d’égal à égale, et ce jour-là tu regretteras d’avoir voulu jouer avec moi.

Au jeu du plus con, je suis toujours le plus con.

Et puis,  j’ai un avantage. Je sais qui tu es en réalité. Je connais ton identité.

Intérieurement, je le sens ce sourire vicieux qui me calme et me permet de patienter pour jouer à mon tour. Maître Isadora et Miss Hyde ne savent pas à qui elles s’attaquent en vérité.

Parce que je suis deux fois plus siphonné que les monstres que je fais tomber. Pourtant, je peux dire que j’ai connu du mauvais, bien ravagé sur les bords. Je n’ai plus d’états d’âme, plus vraiment de cas de conscience non plus. Je patauge tellement dans la merde et depuis si longtemps, que l’eau claire ce n’est plus pour moi. Avec mon bol légendaire, j’y serais même allergique. Or, faire comme pépère en me levant et m’enfiler deux antihistaminiques tous les matins, c’est juste pas possible.

J’aime encore mieux être pourri qu’essayer de soigner ma moisissure. Parfois, il vaut mieux assumer. Cela rend les choses plus faciles.

Pour tout le monde.

Alors oui, je suis du bon côté de la barrière, il paraît. Mais je laisse quand même des gens mourir dans l’affaire, et je le fais sciemment. Cela reviendrait strictement au même, si j’appuyais sur la détente. Sauf que ce serait moins douloureux.

Maître Isadora a misé sur le mauvais cheval avec moi, j’en suis certain.

Je ne suis pas conçu comme un type normal. Faire mumuse, ça ne m’intéresse pas vraiment. En revanche, trouver le vice caché des gens et les faire cracher au bassinet, ça, c’est mon truc. Et ma petite bourgeoise au chignon banane trop serré a visiblement un tas de vices qu’il me tarde déjà de découvrir…

« Souffler le chaud, mais ne vivre que par le froid » ?

Rien que ce mantra tatoué sur son dos me titille.

Je n’aime pas ça du tout. Je n’aime pas ce qu’elle fait, ce qu’elle représente et ce qu’elle cache. Mais quelque chose me dit que je n’en ai vraiment pas fini avec elle. Je dirais même que ce n’est que le début.

Je grince des dents à m’en faire sauter les plombages, quand mon oreillette grésille :

— Jan, on a un problème à l’arrière.

Je touche mon laryngophone pour demander :

— Quel type ?

Nouveau grésillement.

— Du genre qui ne se laisse pas faire.

— J’arrive.

Le vigile du bar prend ma place immédiatement, pendant que je passe la porte que je garde et entre dans l’antichambre de l’enfer.

Je descends trois volées de marches en courant et longe un couloir sur près de deux cents mètres. J’arrive à une autre porte verrouillée par un système informatique. J’entre le code sur le clavier numérique pour m’identifier et poursuis ma course. Je passe devant plusieurs cellules. Certaines sont vides. D’autres contiennent des prisonniers en attente de se faire découper, ou déjà à moitié pillés. Je capte rapidement le gémissement d’une femme à demi inerte sur sa banquette froide en inox. Le pansement sanguinolent qui recouvrait l’entaille au niveau du rein s’est décollé.

Je ne peux rien pour elle, ni pour les autres.

Leur sort est scellé.

Je continue mon chemin.

Faire abstraction. C’est la seule chose à faire. Ni plus, ni moins.

J’arrive enfin au quai de déchargement de la marchandise. C’est le bordel. L’un de nos « produits » a réussi à piquer un flingue et le braque sur les gardes en tremblant. Le pauvre mec est même en train de se pisser dessus.

Décidément, cette soirée ne pouvait pas être plus merdique.

Ses mains tremblent tellement et ses yeux papillonnent à une telle vitesse, à la recherche d’une porte de sortie, qu’il risque de tirer n’importe où et n’importe comment. J’avise la situation d’un seul coup d’œil. Le hic, c’est qu’on ne peut ni le buter, ni l’estropier. Le « produit » doit être propre pour les prélèvements. C’est le doc qui a l’honneur du découpage, voire de l’euthanasie. Moi, je dois m’assurer que tout se passe sans anicroche.

Je longe le mur en me planquant derrière les véhicules garés pour contourner le gars. Une fois derrière lui, je lui saute dessus et, d’une prise au cou, lui fais perdre connaissance. Le flingue tombe au sol dans un bruit métallique. Je le ramasse. Les gardes se rapprochent pour récupérer le « produit ». Je vérifie la culasse et enclenche une balle en demandant calmement :

— Qui a merdé ?

Les mecs se lancent des regards. Ils savent que, si je dois reposer la question une seconde fois, je les buterai tous sans sourciller.

Corso s’avance alors vers moi en déglutissant. Il lève les mains en signe d’apaisement.

—Hé Janus, j’suis désolé, O.K. ? J’ai été surpris, je…

Bang.

Il s’effondre au sol. Je baisse mon bras lentement, la fumée sortant encore du canon. J’avance en tendant le flingue à un des autres gars.

— Filez son corps au doc. Je suis sûr qu’il trouvera matière à son bonheur.

Je repars tranquillement à mon poste dans le club sous le regard perçant des hommes du réseau.

Maintenant, je me sens mieux.

Vide, mais étrangement apaisé.

 

 

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