Artiste hypersensible, chanteuse à textes, écoféministe militante, survivante de violences conjugales… Mathilde est la mise à nue sur scène. Bien loin de ses débuts jazzy après son passage à The Voice, l’artiste révèle son vrai visage avec ce nouvel album pop et (écorché) vif « la nuit le jour ». Presque chacune de ses 17 chansons sont des hymnes de luttes féministes, des appels à la sororité, un cri puissant pour la liberté des femmes et un appel à l’amour. Celle qui affronte chaque jour des centaines de commentaires grossophobes et masculinistes sur ses réseaux sociaux m’a confié les coulisses de son parcours jusqu’à son éclosion militante. Rencontre avec une artiste engagée, drôle et à fleur de peau.
La musique pour toi Mathilde, c’est une vocation depuis l’enfance : très tôt tu t’es vue monter sur scène?
Je n’ai jamais voulu faire un autre métier ! Au début, je voulais être musicienne, puis chanteuse. Mes parents (artistes, ça aide !) m’ont tout de suite prise au sérieux : ils m’ont inscrite au conservatoire, quitte à ce que je n’en fasse rien. J’étais en horaires aménagés, c’était les années 90 : le conservatoire était quelque chose de très rigide et de très dur, mais j’ai été embarquée dans ce tourbillon.
On dit que tu répétais petite : « Je chanterai mieux que la Callas ! » Elle était un modèle pour toi ?
Disons que la Callas était pour moi l’effigie de la maîtrise vocale, c’est cela qui m’attirait chez elle, plus que sa personnalité !
Le lyrique était beaucoup dans la performance et ça m’a un peu dégoutée : si j’avais suivi la voie classique que l’on traçait pour moi, j’aurais fait une carrière de Soprane colorature alors que ce n’était pas moi.
Le hasard de la vie a fait qu’après mes tentatives d’études à Poitiers largement sabotées par les violences conjugales que j’ai vécues, j’ai quitté mon mec et la France pour partir en Angleterre. J’étais nounou spécialisée dans la garde d’enfants autistes, et puis un jour je suis passée devant une église où se déroulait une répétition d’une école de gospel. Pas de partitions, beaucoup d’improvisations : ça m’a libérée. Je l’ai étudié pendant deux ans.
Comme je n’avais pas envie de mourir d’une rage de dent, je suis rentrée en France pour cotiser à la sécurité sociale ! (rires) J’ai commencé une carrière dans le jazz, une musique très savante qui me motivait intellectuellement. J’ai fait mes armes comme ça, jusqu’à ce qu’on me propose de faire The Voice à 30 ans. J’ai sorti ce premier album de jazz puis il m’a fallu du temps avant de revenir.
Mathilde, il s’est passé 8 ans entre la sortie de ton premier album de jazz et celui-ci pop. Quel chemin parcouru ! Qui es-tu devenue en 8 ans ?
Le Bernard l’Hermite a changé de coquille au moins 12 fois !
J’ai été signée à la sortie de The Voice et l’album est sorti 10 mois après. Ce premier album est un polaroïd de qui j’étais à ce moment-là. Je sortais du jazz, je voulais faire de la chanson française… Il est légitime d’exister avec cette Mathilde du passé. Cela ne s’est pas très bien passé avec mon label, mais ça m’a appris à me méfier des gens du monde de la musique.
Et puis #MeToo est passé par là, les Inrocks ont fait leur Une avec Canta… J’ai cessé de me soumettre à cette dissociation de séparer la femme de l’artiste. J’avais l’impression de ne pas habiter mon corps à l’époque, d’être une barbie Mathilde sur scène.
J’ai enseigné la musique pour pouvoir renflouer mes caisses et produire mon prochain album moi-même : ça m’a pris du temps, parce que ce n’est pas avec une paie de prof de musique que tu mets beaucoup de côté !
Pendant le COVID, j’ai repris contact avec mon ami de Brighton, Josh Renton. Il était là lors de mon dernier passage à The Voice. J’avais chanté du Rihanna et ce soir-là, il m’avait dit : « C’est ça que tu dois faire, de la pop pour être en connexion directe avec les gens. Ton coeur est là ».
Ce nouvel album Mathilde, c’est une bombe : une bombe de résistance féministe, de coups de gueules militants, et d’amour aussi. Te sentais-tu armée pour te dévoiler ainsi ?
Je ne sais pas si j’étais armée ou si j’avais besoin de m’armer pour écrire cet album.
On ne peut être vulnérable que lorsqu’on se sent en sécurité au moment où on exprime cette vulnérabilité. Je partage cette relation privilégiée avec Josh, il est ma béquille de sécurité. Quand j’ai chanté à Poitiers par exemple, la ville où j’ai vécu mes violences conjugales, il s’est rapproché de moi et m’a murmuré « I’m right here ».
Parmi les chansons de ton album, j’ai eu le coup de coeur pour « Révolution » et notamment pour son refrain et sa punchline « Habitue-toi » :
Le « Habitue-toi » est une punchline de Raquel Garrido face à Eric Naulleau dans l’émission TPMP. Il avait lancé « Elle aime bien parler » et elle avait répondu « Oui, habitue-toi. » Et j’avais trouvé cette phrase si puissante, elle marche pour tout ! Je l’ai utilisée comme un outil d’émancipation personnelle.
Révolution s’est construit de manière sonore : je me suis demandée si j’écrivais une série sur Olympe de Gouges au Club Dorothée, quel serait mon générique. Et la mélodie est sortie comme ça.
Dans ta chanson « Souveraine », on peut entendre :
Est-ce ta version adulte de « Libérée délivrée » ?
Je suis très à cheval sur la souveraineté des êtres sur eux-mêmes et les femmes doivent pouvoir habiter leur corps, c’est leur royaume. C’est quelque chose qui relève selon moi de la quête arthurienne : je parle de citadelle, de mon corps fortifié, car je vois mon corps gros comme une fortification.
« Guerrière de lumière » est un hymne féministe écrit pour ramener de la joie dans la lutte. Comment t’y es-tu prise ?
Dans cette chanson, j’ai repris tous les slogans que j’ai pu collé avec un groupe de collage féministe, en tant que colleuse de rue. Ca m’a permis d’honorer cette pratique sorore d’aller coller pour les victimes. Personnellement ça m’a beaucoup réparée d’aller écrire mon histoire sur les murs.
Je ne voulais pas faire un chanson dans le pathos, mais plutôt remettre de la joie dans cette lutte pour notre dignité. J’ai déjà fait un concert où le public a fait une chenille sur cette musique !
« Il était une fille » m’a profondément touchée. Tu y racontes l’histoire d’une fille emprisonnée dans une relation toxique et violente, qui subit le viol conjugal, craint pour sa propre vie. Et tu as choisi de terminer cette chanson par la vérité : cette fille, c’est toi Mathilde.
C’est une prise d’otage puisqu’elle commence par « Approchez mes amis approchez, approchez que je vous montre, que doucement je vous raconte sans jamais de haine, ni de honte une histoire pas jolie, une histoire qui me réveille, me réveille toutes les nuits« .
C’est un kidnapping narratif : c’était important pour moi de faire ressentir cette évolution où l’on découvre le pot au rose à la fin, tout comme moi quand j’ai vécu cette histoire.
Ta chanson « L’Hymne des femmes » t’a valu un raid de 3 semaines de cyberharcèlement. Peux-tu nous en parler ?
J’ai fait un clip pour cette chanson 100% female gaze avec que des femmes comme Sandrine Rousseau, Raquel Garrido… La vidéo a été reprise sur un site nationaliste et j’ai pris de plein fouet tous les haters de toutes les femmes du clip. J’ai pris 3 semaines de raid dans les dents : c’était vraiment chaud.
Les féministes veulent la paix. La guerre des sexes, ce n’est pas nous qui la faisons !
Mathilde, tu subis un lynchage permanent sur tes réseaux (grossophobie, mysoginie, sexisme, raids masculinistes…) : systématiquement ta réponse se fait en musique. C’est ton arme la plus efficace ?
Je ne réponds qu’à un commentaire sur les 100 que je reçois tous les jours. J’en parle parce que je pense à ceux qui n’ont pas mon entourage, ma force de caractère et pour qui c’est difficile. Je fais acte de représentation.
Tu as sorti un son en collab avec Louisadonna, « Petites filles » qui reprend le discours de Judith Godrèche. On n’arrête pas la lutte ?
Jamais ! Louise avait un couplet-refrain et elle voulait m’entendre dessus. On a sorti ce morceau ensemble, en faisant coeur, en toute sororité. On a tourné le clip de nuit, place de la Répubique, avec beaucoup de femmes qui font partie de collectifs de défenses des droits des femmes et des enfants, pour reprendre la rue qui est aussi un espace qui nous appartient.