Être citoyen ou citoyenne, ça s’apprend – mais certains font face à plus d’obstacles que d’autres. Aider les jeunes de banlieues de s’emparer des questions politique, c’est la mission que s’est donné Cité Des Chances, l’asso crée par Brandy Boloko et Lauren Lolo – qui nous explique comment elle remplit ce rôle !
Bonjour Lauren, on est ravies de te rencontrer ! Pourrais-tu présenter ton parcours en quelques mots ?
Bien sûr ! Après pas mal de réorientations, j’ai suivi des études de sciences politiques à l’université de Nanterre, aujourd’hui je suis en Master 1 Intervention et Développement Social. Je suis cofondatrice de Cité des Chances depuis 4 ans, conseillère municipale de Fosse attachée aux questions d’environnement et de citoyenneté, et je suis également entrepreneure en communication politique et journalisme !

Comment as-tu commencé à t’intéresser à la politique ?
Je m’y suis intéressée par hasard ! Je suis née avec une double scoliose, pour laquelle j’ai été opérée à 16 ans. L’opération s’est mal passée, et j’ai été paralysée des jambes.
Je suis donc restée hospitalisée un moment, et j’ai changé de lieu de scolarité : de Clichy sous Bois, je suis passée à un lycée dans le 10ème arrondissement de Paris.
Une fois là-bas, je rencontre d’autres jeunes qui s’intéressent à la politique, à l’actualité, alors qu’à l’époque ce n’était pas mon cas. Le fait d’être en fauteuil roulant dans Paris m’a aussi fait prendre conscience de problèmes politiques liées à l’aménagement de l’espace public et à l’accessibilité, et plus largement du problème des inégalités en politique : les jeunes de mon âge ne s’y intéressaient pas, et si tout ça ne m’était pas arrivé, ne m’y serais jamais intéressée non plus.
Une fois que j’ai pu retourner dans mon lycée, j’ai repris le Conseil de Vie Lycéenne, avec lequel nous avons mené des actions, en particulier contre le racisme et les discriminations.
Et après le lycée ?
J’ai commencé des études en marketing et techniques de communication et… ça ne m’a pas plu du tout ! À ce moment, j’ai dû être hospitalisée à nouveau, et j’ai arrêté ces études.
J’ai continué avec un service civique à la mairie de Fosse pour développer l’implication citoyenne, et je m’y suis rendue compte que je pouvais mener des projets, c’était la première première fois que je rentrais dans une mairie pour autre chose qu’un renouvellement de carte d’identité (rires).

J’ai adoré ! Je me suis dit ok, je veux faire de la science politique, j’aime ça ! J’ai poursuivi mon travail au Conseil Régional Des Jeunes d’IDF, mon mandat à duré de 2018-2020 – c’est au début de celui-ci que j’ai cofondé Cité Des Chances – puis le maire de ma ville m’a demandé de rejoindre l’équipe en 2019 pour la campagne de 2020.
Tu as commencé par t’intéresser à la politique locale, il y a une raison à ça ?
Oui, je pense que ça remonte à mon accident, il m’a fait prendre conscience que je ne pouvais pas changer le monde d’un claquement de doigt, je ne suis pas le messie (rires). Je me suis dit que j’allais commencer là où j’étais : au niveau du lycée, puis de la ville, puis de la région. Je tiens à être le plus proche possible des gens pour ne pas être déconnectée de la réalité.
Tout ce parcours a aussi été pour moi une sorte de formation express, on commence local pour voir de plus en plus grand : ça m’a formée politiquement.
Tu as co-fondé Cité Des Chances en 2018 avec Brandy Boloko, quel a été l’élément déclencheur de cette création ?
Le 3 janvier 2018, on discutait avec Brandy Boloko dans sa salle à manger, et on s’est posé une question : “comment ça ce fait que nous, jeunes de banlieue, on s’intéresse à la politique, mais que ce ne soit pas ou peu le cas pour les personnes autour de nous ?”.
On a fait le constat qu’il y a des inégalités, si on n’est pas “formés” par nos famille comment on fait pour s’intéresser ?
L’idée, quand on est enfant, c’est que ces inégalités familiales sont réglées à l’école. Mais dans nos cas à tout les deux, ce sont les rencontres que nous avons faites qui nous ont fait prendre conscience de nos capacités et nous ont permis de nous intéresser.
On s’est dit que les rencontres qu’on a eu, on peut les devenir pour d’autres jeunes, pour qu’ils prennent à leur tour conscience de leurs capacités et qu’ils puissent s’intéresser !

Cité Des Chances est là pour être cet élément déclencheur, c’est ainsi qu’on l’a fondée. On voulait sortir du théorique qu’apporte l’éducation civique et mener des actions plus pratiques, dans lesquelles on met les jeunes en situation pour qu’ils prennent conscience de leur capacité à être citoyens.
On ne naît pas citoyen on le devient
Lauren Lolo – cofondatrice de Cité Des Chances
Peux-tu nous parler des actions principales de Cité Des Chances ?
Autour des élections : la cité a voté
C’est une grande consultation citoyenne : à l’approche d’élections locales ou nationales, Cité Des Chances se mobilise pour que les jeunes des quartiers populaires d’Île De France puissent exprimer leurs revendications. On organise des débats un peu partout, même dans les cafés ou les pizzerias, et on récolte les propositions de tous les citoyens avant de les transmettre aux candidats !
Les actions dans les lycées
Pour les lycéens, on met en place un Parcours Citoyen qui dure de la seconde à la terminale. En seconde, on organise des ateliers éloquence qui durent 6 semaines, les élèves choisissent un sujet qui leur tient à cœur (écologie, harcèlement scolaire , discrimination et féminisme reviennent beaucoup) et Cité Des Chance les accompagne pour qu’ils écrivent et incarnent leur discours sur scène.
En 1ère, on met en place une simulation parlementaire. On crée des groupes dans la classe qui représentent chacun des acteurs de la vie parlementaire : pas que les députés, mais aussi les lobbyistes, les journalistes, les associations citoyennes, les experts scientifiques ou encore la commission des lois.

Ensuite, on choisit un thème avec leur(s) professeur(s) – cette année, on a choisi la question du vote obligatoire. Ils ont alors 6 semaines au cours desquels les députés écrivent la loi et la vendent, les journalistes écrivent des articles sur le processus de la loi, les lobbyistes défendent les intérêts économiques… tout ça se termine lors d’un grand débat final et du vote (ou non) de la loi. Durant tout ce processus, Cité des Chances est là pour accompagner les élèves, les aider à incarner leurs rôles et leur donner des conseils.
Les élèves de terminale ont eux des activités de visite d’institutions, où ils rencontrent des élus pour leur poser des questions sur leurs fonctions. Cela a pour but de démystifier les lieux de pouvoir (qui sont bien moins impressionnants en vrai qu’à la télévision) et de reconnecter les élèves à leurs élus en cassant les préjugés qu’on a parfois à leur encontre.
Quelle est ta plus grande fierté (à ce jour) par rapport à l’asso ?
Ma plus grande fierté, c’est de voir le avant-après de nos interventions.
Quand on arrive dans une classe et qu’on parle aux élèves de politique, on a plutôt des réactions du type “ça va nous saouler » de la part des élèves qui s’attendent à un cours classique. Mais très vite, ils y prennent goût, rentrent dans leur rôle, les personnalités se révèlent, et on ne retrouve pas les “bons” au devant de la scène, ce sont plutôt les élèves moins scolaires qui se révèlent dans ces actions car on sort du cadre scolaire classique.
Les témoignages aussi me touchent beaucoup, d’entendre des jeunes 16/17 qui nous disent avoir envie de voter, de faire de la politique,… ça nous prouve que ce qu’on fait sert à quelque chose.

Le futur de Cité Des Chances, ça ressemblerait à quoi ?
À long terme, dans l’idéal, Cité Des Chances deviendra une asso avec beaucoup de moyens, des salariés, présente dans tous les lycées de France.
C’est le cœur de notre cause : il faut un parcours citoyen pour tous les lycéens de France – y compris ceux d’outre mer qui sont souvent encore plus éloignés et se sentent plus déconnectés de la politique que les lycéens de métropole.
On aimerait voir nos méthodes déployées à grande échelle, pour qu’on en finisse avec le côté très élitiste de la politique, et qu’elle ne soit plus systématiquement associée à des “fils de”, aux noms de certaines écoles, ou à une certaine classe sociale… mais bien au pouvoir par le peuple pour le peuple grâce au parcours citoyen.
Il faut un parcours citoyen pour tous les lycéens de France
Lauren Lolo – cofondatrice de Cité Des Chances
Comment peut-on soutenir Cité Des Chances ?
Vous pouvez faire des dons sur le site citédeschances.org, où même nous rejoindre ! Il est aussi important de faire connaître notre action auprès d’autres professeurs, car on dépend d’eux pour intervenir dans les lycées.