« Pygmalionnes », le documentaire féministe de Quentin Delcourt avec Aïssa Maïga

« Si aujourd’hui, il est en effet beaucoup question de quotas et de parité, je pense quʼil serait grand temps que nous cessions de vous importuner sur votre sexe et que nous commencions à vous entendre sur ce que vous avez de plus singulier à partager », telle est la volonté de Quentin Delcourt, jeune réalisateur qui met son talent de cinéaste au service de la cause des femmes. Après la création du Festival Plurielles dont la troisième édition est déjà programmée pour 2020, Quentin présente Pygmalionnes, un documentaire qui recense les témoignages de 11 femmes dont l’actrice Aïssa Maïga que nous avons rencontrée lors du Festival de Cannes…

L’idée de Pygmalionnes t’es venue suite à la création du Festival Plurielles…

Quentin – Il y a deux ans, j’ai créé avec Laurence  Meunier, PDG du Majestic de Compiègne, le Festival Plurielles qui met à l’honneur les femmes dans l’industrie du cinéma. Nous nous étions rencontrés à Cannes, elle connaissait mon travail qui tournait autour de la figure féminine et elle m’a proposé de lancer ce Festival dont la troisième édition est déjà programmée en 2020 ! Lorsque l’affaire Weinstein a éclaté, je me suis dit que cela intéresserait le public hors parisien d’en apprendre davantage sur le parcours de nos actrices, c’est comme cela que Pygmalionnes est né. J’étais en train de préparer mon premier long de fiction, je me sentais plus légitime d’approcher des artistes* qui m’inspirent personnellement, connues ou inconnues, pour leur demander de me laisser mettre une lumière leur parcours et leur travail. Cela n’a été que des belles rencontres.

Aïssa, comment s’est passée la rencontre avec Quentin ?

Aïssa – J’ai reçu un message de Nathalie Marchak, une amie réalisatrice que j’ai rencontrée dans un cours de théâtre et qui m’a parlé du projet de Quentin. J’aime beaucoup cette femme : pointue, d’une grande curiosité, j’étais en confiance. Et l’idée qu’un homme se saisisse d’une sujet féministe pour donner la parole aux femmes de notre industrie, cela m’a plu ! Tous ces sujets sur les « minorités », mot que j’utilise avec des guillemets, me touchent. Je peux me sentir seule parfois dans mon combat pour la diversité. La première rencontre avec Quentin a été déterminante, j’ai senti qu’il était habité par son sujet et surtout qu’il me laisserait l’espace pour m’exprimer. Et évidemment le titre de son documentaire m’a plu ! Féminiser un nom qui n’existe qu’au masculin, j’adore.

Mon engagement est naturel, je me sens concerné par ces combats pour une autre idée de la société.

Quentin, comment expliquer ton engagement envers les femmes ?

J’ai la chance d’être curieux et d’avoir la curiosité de l’autre. On ne peut que grandir quand on regarde l’autre ! Il y a un an, j’étais le seul réalisateur français à porter le livre Noire n’est pas mon métier d’Aïssa. Alors qu’en tant que cinéaste, je me suis dit qu’on devait tous le lire ! Mon engagement est naturel, je me sens concerné par ces combats pour une autre idée de la société. Je pense que des films comme Pygmalionnes peuvent être une source d’inspiration pour les jeunes générations et qu’ils peuvent être visionné par exemple dans les écoles.

Aïssa justement tu travailles sur un documentaire Noire n’est pas mon métier…

Aïssa – Après le livre qui se présentait comme un recueil de témoignages, j’ai tournée un reportage sur les solutions possibles en m’appuyant sur ce qui se fait déjà à l’étranger. Ce qui m’anime le plus aujourd’hui, c’est le côté pragmatique qui réactive une force de combativité positive ! 

Vous soutenez tous les deux les actions du collectif 5050 pour la parité dans le milieu du cinéma. Que pensez-vous des efforts du Festival de Cannes qui a ratifié sa charte ?

Aïssa – Je suis très admirative du travail de ce collectif. En deux ans, il y a eu un travail hallucinant qui a été mené et qui a fait bouger le Festival de Cannes. Je suis impressionnée et inspirée par ce qui est en train de se dessiner : une multiplicité des combats. On ne peut pas se battre pour nos intérêts personnels, il faut que les minorités deviennent une majorité, ensemble.

Je pense aussi qu’on surprotège les réalisateurs : il faut que la profession s’impose et impose ses idées en arrêtant d’avoir peur de l’emprise du distributeur et du producteur qui s’immisce dans le choix des acteurs par exemple !

Quentin – Je cite souvent Aïssa : « Si on n’inclut pas de fait, on exclue ». C’est devenu mon mantra ! (rires) J’aime beaucoup cette phrase, car elle est très révélatrice. Le travail du collectif 5050 avec l’instauration de quotas est nécessaire. Je pense aussi qu’on surprotège les réalisateurs : il faut que la profession s’impose et impose ses idées en arrêtant d’avoir peur de l’emprise du distributeur et du producteur qui s’immisce dans le choix des acteurs par exemple ! C’est aux réalisateurs de prendre plus de temps pour faire leur film, mais de le faire avec les bonnes personnes. Netflix est en train de réussir cela, il faut réagir !

Tu as annoncé sur les marches du Festival de Cannes la préparation d’un nouveau documentaire : Pygmalionnes Africa !

Quentin – L’inspiration est venue du manque de connaissance sur la situation des actrices africaines. Qu’est-ce qu’on sait, en France, de la réalité des femmes dans le cinéma africain ? J’ai annoncé la nouvelle avec Rahmatou Keita, la première femme africaine à avoir un film en compétition officielle. On pense tourner d’ici la fin de l’année dans plusieurs pays d’Afrique à la recherche de la réalité de ces femmes. Aïssa, je pense que tu vas pouvoir m’aiguiller !

Aïssa, que t’inspire ce nouveau projet de Quentin ?

Aïssa – Une idée d’ouverture et de continuité en déplaçant les frontières de notre combat ! On n’imagine pas le nombre de soucis que peut rencontrer un cinéaste africain, à de très rares exceptions près. Je me souviens d’un tournage qui devait avoir lieu à Hong Kong. Le réalisateur d’origine nigériane et qui avait vécu 20 ans en France, souhaitait tourner là-bas pour parler des nigérians qui y ont fait fortune et de la mafia nigériane :  un film de genre sur ce rapport entre le pays d’origine et Hong Kong. Les acteurs nigérians n’ont jamais obtenu un visa pour aller tourner… Un cinéaste français, à moins de souhaiter tourner en Corée du Nord, ne remontrera jamais ce genre de problème. C’est juste un exemple parmi d’autres, mais j’en ai plein ! C’est beau de voir des réalisateurs comme Quentin s’emparer de ces sujets pour faire passer des messages forts à l’industrie.

* Les 11 femmes choisies par Quentin sont : Aïssa Maïga, Hafsia Herzi, Naidra Ayadi, Elisabeth Tanner, Alix Benezech, Stéfi Celma, Nathalie Marchak, Anne Richard, Céline Bozon, Isabelle Gibbal-Hardy, Laurence Meunier.

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