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Stéphanie Gicquel, confidences confinées d’une exploratrice des pôles

Traverser l’Antarctique (soit plus de 2000km) en ski de rando sous -30 degrés, parcourir 240km en 24h sur un ultra trail, voici deux des nombreuses performances incroyables de Stéphanie Gicquel, ex-avocate devenue exploratrice et sportive de haut niveaux. Ses spots préférés d’expédition ? Les zones inexplorées des pôles Nord et Sud. Confidences d’une femme impressionnante.

Avant de parler de tes exploits sportifs, parle-nous de ton background. Tu étais avocate avant de devenir exploratrice et sportive de haut niveau. D’où te vient cette telle soif d’aventure ?

J’ai un parcours assez varié, c’est vrai. Après une école de commerce, j’ai bossé 10 ans en cabinet d’avocat. Aujourd’hui j’ai une vie d’exploratrice, et j’écris. Je suis en train d’ailleurs de travailler sur un deuxième livre ! L’aventure pour moi, c’est sortir de sa zone de confort et aller vers ce qui nous attire avec nos peurs, nos doutes et beaucoup de questions. J’ai ressenti autant d’aventure en Antarctique que lorsque j’ai dû évoluer en cabinet car ce milieu m’intriguait, ma famille ne vient pas du tout du monde des affaires. De l’extérieur, on peut y voir une forme de rupture, mais pour moi, pour avoir vécu ces moments de vie, c’est la même Stéphanie qui est curieuse, qui s’émerveille et qui se donne à fond dans les domaines qui lui donnent envie. J’ai conscience que la vie est courte et j’ai envie de la vivre pleinement.

Tu détiens un Guiness record : tu as traversé l’Antarctique via le pôle Sud sur 2.045 kilomètres en 74 jours par -30 °C (GUINNESS DES RECORDS). Une athlète comme toi reconfinée… Tu le vis comment ?

La première chose, c’est que lorsqu’on est en expédition engagée comme en Antarctique, on évolue sous des conditions extrêmes avec un vent violent, un froid tenace (j’ai connu du -50°C), je faisais 70h d’effort physique par semaine. Le lieu est hostile. On marche sur une calotte glacière remplie de crevasses. Quand on se trouve dans un lieu comme celui-là, on sent l’immensité de l’univers, mais on n’est pas complètement libre. Je ne peux pas sortir sans une tenue adéquate sinon je peux perdre un orteil ou mon nez, je ne peux pas sortir sans mes skis sinon je risque de tomber dans une crevasse, et je dois déterminer mon itinéraire à l’avance pour ne pas mettre ma vie en danger. La liberté n’est pas si grande que cela. Il y a des contrainte imposées par la nature et si vous ne les respectez pas, vous y laissez votre vie. Ma vie est tournée vers l’essentiel, vers les besoins primaires : manger, marcher, dormir. Dans le confinement, on est reste chez soi, pour la plupart, le lieu est confortable, on a le chauffage. On peut lire, écrire, communiquer à distance sans devoir passer par un satellite. Ce contraste est très intéressant. L’isolement en expédition est plus fort que dans le confinement. Pour ma part, je ne donne pas de nouvelles en direct à mes proches, je ne connais pas l’actualité, je ne veux pas apprendre une mauvaise nouvelle car elle peut affaiblir mon mental. Ce qui est certain, c’est que dans les deux cas, on peut être seul avec soi-même. Durant mes expéditions, je marche pendant de longues heures, j’écris beaucoup dans ma tête de longues phrases que je mémorise pour les écrire sur le papier dès que je peux. La pratique de l’ultra fond incite d’accepter d’être avec soi : c’est comme cela qu’on peut accepter ce confinement. Après, j’ai conscience que les situations sont très différentes : certains sont envahis par leur travail, par leur vie familiale. D’autres livrés à eux-mêmes avec le télétravail ou le chômage partiel.

L’isolement en expédition est plus fort que dans le confinement.

Stéphanie Gicquel, auteure de On naît tous aventurier

Quand j’étais en expédition, je ne voyais pas plus loin que le repas du midi, il fallait absolument ne pas me démotiver en trouvant le temps long. Alors je me suis concentrée sur mes missions jours après jour. C’est ce que je conseille de faire pour ce nouveau confinement.

Quel conseil donnerais-tu pour mieux vivre ce nouveau confinement ?

Le confinement rend nécessaire un changement de ses habitudes. Il est essentiel d’être dans l’action et de ne pas forcément penser à la fin car on ne sait pas comment tout cela va se terminer. Quand j’étais en expédition, je ne voyais pas plus loin que le repas du midi, il fallait absolument ne pas me démotiver en trouvant le temps long. Alors je me suis concentrée sur mes missions jours après jour. C’est ce que je conseille de faire pour ce nouveau confinement.

Comment parviens-tu à t’entretenir physiquement malgré ces nouvelles contraintes ?

En générale, je cours 200km par semaine. Il a fallu m’entretenir autrement. J’ai essayé des nouvelles méthodes d’entraînement, j’ai fait de la muscu en intéreur, testé des entraînements en altitude cet été puisque les compétitions de la rentrée ont été annulées.

As-tu des projets de nouvelles expéditions ?

Le contexte ne permettant pas de se projeter, je ne prévois aucune expédition même si j’ai évidemment des choses en tête. Et puis expédition et compétition ne sont pas conciliables. Quand je suis revenue de l’Antarctique, j’étais très affaiblie. Je retrouve donc le plaisir de l’instant présent, sans faire de plan. Quand je suis partie en Antarctique, je n’avais rien prévu l’année suivante car il s’agissait d’un objectif si élevé que je le ressentais comme un aboutissement. Je ne voyais rien derrière et je suis contente d’avoir véçu cela dans ma vie car c’est très rare d’avoir un agenda complètement vide.

C’est fou de se dire qu’on part à la conquête de l’espace alors qu’il existe encore des territoires sur Terre où nous ne sommes encore jamais allés.

Tu es allée au pôle Sud et Nord. Qu’est-ce qui t’attire dans ces paysages dépouillés, et si hostiles à l’homme ?

Je me suis posée la question hier justement. Ces lieux sont tellement hostiles, qu’ils me fascinent. Ils ne sont pas habités, l’Homme n’en a pas encore fait le tour (à peine 10% du continent Antarctique a été visité), c’est fou de se dire qu’on part à la conquête de l’espace alors qu’il existe encore des territoires sur Terre où nous ne sommes encore jamais allés. La première fois que j’ai vu l’Antarctique, c’était très mystérieux, très brumeux. J’ai eu comme une attirance, une attraction, c’était comme un aimant. C’est difficile de l’expliquer. Comme si je sentais une sorte de présence. J’ai toujours personnifié l’Antarctique. Je me sens très proche de ce lieu. J’aime le froid, plus que la chaleur. J’aime évoluer dans ces deserts glacés, j’y trouve une forme de recueillement. Ce sont des univers où je sens que je peux m’adapter. L’envie de les explorer est plus forte que les contraintes.

Comment se prépare-t-on mentalement et physiquement à une telle expérience?

La préparation est assez longue. Entre le petit bout de femme que tu croises en milieu urbain et l’exploratrice en Antarctique, il y a un long chemin ! (rires) L’objectif de cette préparation est de limiter les risques et d’étendre sa zone de confort. Quand on est trop dans l’aventure, il y a de fortes chances que cela ne finisse pas bien. Dans les derniers championnats du monde, j’ai parcouru 240km en 24h. C’est pareil, cela se prépare. Cela passe par de la muscu, des footings, et aussi des mises en condition. Je vais m’entraîner en Norvègue dans des conditions de grand froid. Je fais aussi des sessions en chambre froide. Je vais à l’INSEP (Institut Nationale de Sport, de l’Expertise et de la Performance) m’entraîner dans l’espace de cryothérapie, le premier sas me plonge à -20 degrés. Je m’habitue aussi à porter une charge, je fais beaucoup de tractions de pneus sur le sable. 

Je vais à l’INSEP m’entraîner dans l’espace de cryothérapie, le premier sas me plonge à -20 degrés.

La prépration mentale se base sur la visualisation positive. Je suis convaincue qu’on ne peut pas atteindre son objectif si on ne s’est pas vu le concrétiser dans sa tête. Ça doit nous faire vibrer, nous donner la chair de poule avant même de l’avoir vécu. C’est une forme d’audace avant même de commencer à se préparer. C’est vraiment capital. Je ne suis pas sûre d’avoir déjà rencontré un sportif médaillé qui ne se voyait pas déjà avec la médaille. J’essaie aussi de visualiser tous les obstacles. Par exemple, je m’imagine en amont pendant des semaines, des mois, des années, dans des conditions de froid. C’est une forme de méditation tellement intense que je peux être amenée à avoir des émotions fortes, à pleurer. Je vois le froid. Je vois mes vêtements gelés. Ma transpiration gelée. Je vois que je n’ai pas de douche, que mon sac de couchage est glacé. Je vois tout cela pour que lorsque cela arrive, cela soit un non- événement, car je ne peux pas agir sur ces choses extérieures à moi. Je me concentre donc sur ce que je peux faire et je ne me laisse pas distraire par ces obstacles que je connais avant même de commencer l’expédition.

Le mental doit être fort mais il faut rester à l’écoute de son corps. L’équilibre nécessite de très bien se connaître.

As-tu fini ton défi en Antarctique au mental ou tu en avais encore physiquement sous le pied ?

Elle est très intéressante cette question car les deux sont absolument nécessaires. Un explorateur britannique, un an après mon expédition, a tenté un parcours de 2000km. Il a été extrêmement affaibli. Il a appelé les secours trop tard et il est décédé dans les heures qui ont suivi son appel. C’était quelqu’un qui avait un mental énorme et parfois ce mental peut nous emmener trop loin. Le mental est essentiel pour nous aider à nous lever le matin, à nous entraîner sans relâche, à nous imposer une discipline. Il permet de ne pas accepter d’obstacle infranchissable, de ne pas craindre le vent de fasse à 80km/h, le manque de confort et d’hygiène. Mais le physique est essentiel et la difficulté, c’est justement de ne pas aller trop loin. On le voit sur les courses de l’ultra distance. On prend beaucoup de mesures après la course et on fait notamment des bilans biologiques. Pour l’ensemble des coureurs, on observe une augmentation des CPK : un marqueur de destruction musculaire. On a des urines foncées voire noires. L’étape d’après, c’est insuffisance reinale, coma, mort ! Le mental doit être fort mais il faut rester à l’écoute de son corps. L’équilibre nécessite de très bien se connaître. On place souvent le curseur plus loin à chaque fois, mais une frontière ne doit pas être dépassée. On est dans l’exploration du potentiel de l’homme.

Stéphanie Gicquel, championne française d’ultra trail

Tu parles beaucoup de dépassement de soi dans ton parcours. Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées. Que t’ont-elles appris sur toi ?

Je ne suis jamais rentrée changée. En revanche, je pense avoir gagné en sérénité, j’accepte mieux le temps qui passe. J’ai une passion de la vie très forte, qui se matérialise par mon intérêt pour le sport de haut niveau, l’exploration… Mes envies sont toujours énormes. Aujourd’hui, je peux marcher des heures plus facilement. Je me déplace beaucoup à pied, j’accepte mieux que certaines choses puissent prendre du temps. J’ai aussi pris conscience d’un paradoxe : quand on rentre du cercle polaire inhabité, on réalise à quel point l’humain est extraordinaire dans tout ce qu’il a pu créer mais on prend aussi conscience de son impact négatif…

Je suis convaincue que dans les expéditions ou les courses sur l’ultra distance, qu’on soit un homme ou une femme, la nature est plus forte que nous et nous renvoie à la même humilité.

Tu dénonces beaucoup de sexisme dans le sport extrême et tu te définies comme une athlète féministe « par l’exemple ». Qu’entends-tu par là ?

Je suis convaincue que dans les expéditions ou les courses sur l’ultra distance, qu’on soit un homme ou une femme, la nature est plus forte que nous et nous renvoie à la même humilité. Il y a une certaine égalité de l’homme et la femme face à elle qui décide. Si on tombe dans une crevasse, qu’on soit un homme ou une femme, sans processus de secours, on ne résiste pas ; en ultra trail, les performances des femmes sont comme celles des hommes. Ce qui est souvent difficile quand on est une femme, c’est de convaincre des partenaires et des collectifs de nous soutenir. On ne nous laisse pas spontanément la place. Evoluer dans un milieu d’homme et entendre dire que telle expédition est impossible pour une femme a forgé mon mental et m’a rendue plus forte encore. J’interviens beaucoup dans les entreprises et les écoles, si cela peut donner envie à des femmes de se lancer, inspirer, tant mieux !

En quoi tes enseignement peuvent-ils également servir à d’autres femmes dans des projets professionnels, familiaux ou entrepreneuriaux ? 

J’ai cette chance d’évoluer dans des domaines différents avec les doutes que cela entraîne, les prises de risque et l’audace ! Cela m’a permis de me rendre compte que passer de l’idée à l’action, acquérir plus de confiance, atteindre des objectifs en collectif…. Toutes ces ressources sont les mêmes que celles qu’on met en pratique pour une famille, pour éduquer ses enfants, pour créer son entreprise. Pour avoir vécu dans d’autres univers, j’ai bien vu que j’ai fait appel aux mêmes ressources en droit, pour persévérer jusqu’à des heures tardives, malgré les doutes, et aller au bout d’un projet. Pour moi, il n’y a pas que le sport dans la vie. Tous les chemins sont beau : l’art, la famille, l’entrepreneuriat… A vous de choisir vos chemins, car ils peuvent être plusieurs !

Retrouvez également le témoignage de Stéphanie Gicquel dans Professions, l’émission d’Antoine de Caunes sur Canal+ !

52 minutes de récits extraordinaires, de parcours édifiants, et passionnants, beaucoup d’humilité et de bienveillance aussi.

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