Pendant le premier confinement, on vous avait partagé notre entretien avec Stéphanie Gicquel, exploratrice (Guiness Record pour avoir été a première femme à traverser l’Antarctique à ski sans voile de traction) et championne d’ultrafond ! Aujourd’hui, elle sort son nouveau livre En Mouvement : un livre qui dévoile sa passion du running, ses conseils nutrition et entraînement, et surtout qui donne des clés permettant de se mettre et rester en mouvement !
Comment as-tu découvert le running ?
Je ne voyageais pas lorsque j’étais enfant et mon rêve était de découvrir le monde. La course à pied a d’abord été un moyen pour moi de voyager, de parcourir de grands espaces, de faire corps avec la nature, de déconnecter, d’aller où les moyens motorisés ne peuvent nous emmener, loin de l’agitation du monde, le long de chemins de Grande Randonnée, à travers les déserts lointains. J’ai aussi couru un marathon au pôle Nord par -30 °C, un marathon en Antarctique. Je réalise des expéditions engagées notamment dans les régions polaires à pied, à ski de randonnée, en courant. La course à pied s’est longtemps inscrite uniquement dans cette démarche de sport-aventure, d’exploration géographique. Puis je me suis intéressée au beau geste, le geste bien exécuté, celui qui permet d’aller un peu plus vite, un peu plus loin et d’apprendre sur soi. Pour prendre plus encore la mesure du beau geste et pour sonder les limites du corps et du mental, j’ai ensuite décidé d’évoluer dans le sport de haut niveau. Je suis aujourd’hui membre de l’équipe de France d’athlétisme, spécialiste d’ultrafond. J’ai notamment couru 7 marathons en 7 jours consécutifs autour du monde, puis 240,6 kilomètres en 24 heures lors des derniers Mondiaux.
Qu’est-ce qui t’anime pour trouver la motivation à parcourir jusqu’à 300 km en 3 jours ?
Courir les chemins de Grande Randonnée est parfois un entraînement en amont des échéances internationales avec l’équipe de France ou à quelques semaines d’une compétition d’ultra-trail.
Ces sorties running de longue distance sont aussi un moyen de déconnecter, de faire corps avec la nature. Il y a dans la course à pied une forme de grâce naturelle, d’automatisme, ce côté instinctif, animal, sans calcul appesanti. Un élan vital. L’effort consenti pour mettre le corps en mouvement stimule le système viscéral et postural, galvanise l’émotivité. L’esprit finit toujours par se joindre au mouvement, plus libre et vif, ouvert et attentif, en mesure alors de s’imprégner de la diversité qui l’entoure. Ce que j’appelle le corps à corps avec la nature, ce n’est pas un combat, c’est ce processus d’imprégnation du corps et de l’esprit par la nature tout autour, et vice versa. Le corps et l’esprit sont tout entier et sans partage à l’environnement tout autour. Les tracas du quotidien n’ont plus d’espace où s’immiscer quand le quotidien lui-même n’est plus.
Je cours et, en courant, j’écris. J’ai mobilisé tout mon corps, de la tête aux pieds, pour écrire mon troisième livre En mouvement. Ou plutôt des pieds à la tête quand, le long des sentiers, j’ai couru longtemps, très longtemps, gardant en mémoire l’esquisse d’un paysage, une sensation, une réflexion, impatiente de pouvoir coucher sur le papier, dans l’un de mes carnets, ces impressions saisies en passant – avant d’y replonger de longues heures durant, de longs mois de confinement, pour en faire cet ouvrage.
Tu insistes dans ton nouveau livre sur la nutrition comme élément essentiel de notre bien-être. Quelles sont pour toi les 3 grands principes nutritionnels qui te servent au quotidien pour que ton alimentation soit un allié bien-être ?
En tant que sportive de haut niveau et exploratrice, je suis attentive à la valeur nutritionnelle des aliments. Je ressens la manifestation des besoins de nature énergétique, l’importance des macronutriments, et plus encore la nécessité d’apporter à mon corps la matière, les fibres et micronutriments indispensables à la vie, sels minéraux, acides gras essentiels, vitamines B, C, D, K, E, B9, lesquelles permettent aussi une bonne assimilation des minéraux, ou oligo-éléments que l’on retrouve dans les supers aliments, certaines huiles, huile de colza-noix, huile de cameline, graines, poissons gras, épices, herbes aromatiques etc.
J’en déduis trois principes qui gouvernent mon rapport à l’alimentation :
- D’un point de vue énergétique, apporter au corps ce dont il a besoin, ni plus ni moins. Certains mécanismes d’adaptation, notamment le renouvellement cellulaire, fonctionnent moins bien lorsque nous mangeons trop par rapport à la dépense énergétique. D’autant plus que le corps s’adapte et s’habitue aux apports. Nous mangeons souvent par convention sociale et non par faim, au point que nous ressentons d’ailleurs de moins en moins la faim.
- L’importance d’une alimentation équilibrée riche en micronutriments. J’ai étudié ces dix dernières années avec mon nutritionniste Didier Chos leur rôle dans le renforcement du système immunitaire, du microbiote intestinal, dans la lutte contre le vieillissement cellulaire, la déminéralisation du corps, l’élimination des radicaux libres, la réduction de la fatigue et des fluctuations d’humeur ou dans la lutte contre la Covid. Lors d’une expédition polaire de 2045 kilomètres à pied à travers l’Antarctique en 74 jours, j’ai consommé toute mon énergie, puisé dans mes réserves musculaires jusqu’à peser moins de quarante kilos en fin d’expédition et il n’avait pas fallu attendre les résultats des bilans micronutritionnels pour ressentir les effets de toutes les carences en oligo-éléments, notamment zinc, sélénium, mais aussi en vitamines B9, B12, coenzyme Q10 : stress, irritabilité, trouble de la concentration, effets résorbés en quelques semaines grâce à une alimentation équilibrée et une complémentation micronutritionnelle adaptée.
- La modération. L’alimentation doit rester un plaisir et non une contrainte. Ce n’est pas parce qu’un athlète de haut niveau fait une pause dans son entraînement pendant un ou deux mois après une compétition ou pour cause de blessure qu’il ne reviendra pas à son plus haut niveau. Pour l’alimentation c’est la même chose, ce n’est pas parce qu’on mange sur un temps donné pendant une période de congés par exemple, des produits à base d’acide gras saturés, de sucre raffiné, etc. que le corps ne retrouvera pas son poids de forme après. Et puis même les aliments qui semblent être contre-indiqués peuvent avoir des qualités. Le thé et le café ont mauvaise presse or ils ont d’excellentes vertus tout comme le vin rouge pour les polyphénols et leurs propriétés anti-oxydantes qu’ils contiennent.
Tu invites à arrêter cette course effrénée aux activités, et à cesser de vouloir tout concilier. Pour toi, c’est le mal du siècle ?
Je crois en effet qu’il n’est pas possible de répondre favorablement à cette injonction de notre société moderne qui voudrait nous voir concilier toutes choses, et nous pousse à tout faire vite et bien. Dans un moment de vie, l’excès d’une seule chose peut nous faire perdre pied. L’excès de trop de choses aussi. La vie est suffisamment longue pour que plusieurs moments de vie se succèdent, les uns après les autres, les uns derrière les autres. Non, il ne faut pas nécessairement tout concilier. Ni tout capitaliser. Au contraire, il est parfois vital de se lancer dans une nouvelle aventure, goûter ainsi la diversité du monde et se révéler dans cette succession de moments de vie, d’expériences de la vie.
On ne goûtera certes qu’une part infime de la diversité qui nous entoure tant les possibilités sont nombreuses et même infinies au regard de notre propre finitude. Mais cette petite part exquise suffira peut-être déjà à mesurer l’écart entre la connaissance acquise par l’expérience et l’inconsistance des opinions légères, et ne pas laisser nos yeux et nos oreilles se perdre dans le prisme de la désinformation – ce flux incessant qui nous pousse justement à ne plus être à l’écoute de nous-mêmes.
Comment parvenir à se détacher de cette injonction ?
En se déconnectant notamment de temps en temps du virtuel et de cette pression environnante pour se retrouver avec soi. Cela n’est pas si simple car il est naturellement difficile de vivre avec son temps sans se laisser emporter par la vague du virtuel, des applis, des réseaux sociaux, du streaming, ce qu’on appelait jadis Internet, qui submerge de tous bords ceux qui ne relèvent plus la tête. Difficile de couper temporairement et pourtant cela fait du bien à tous ceux qui ont essayé. Installée à mon bureau, devant un ordinateur, la connexion sera souvent coupée, momentanément, et la concentration amplifiée. La plupart de mes projets n’aurait peut-être jamais pris forme si je n’avais pas su jouer de cet interrupteur.
Je crois qu’il est bon aussi d’accepter parfois de laisser certaines idées dans un coin de la tête pour mieux y revenir ultérieurement.
Tu te prépares aux championnats du monde d’ultrafond avec l’équipe de France : en quoi cela consiste-t-il ?
J’ai couru 240,6 kilomètres en 24 heures lors des derniers championnats du monde en 2019, et réalisé ainsi la deuxième meilleure performance française tout temps. Mon objectif est d’aller plus loin et d’améliorer le record de France de la discipline. Les championnats d’Europe initialement prévus en septembre 2020 ont été annulés. La prochaine échéance internationale, ce sont les Mondiaux en octobre 2021. En pleine préparation, j’ai été victime d’un accident – une blessure grave en début d’année, fracture de la rotule. Plusieurs semaines d’immobilisation totale et trois mois sans course à pied. Le corps s’est désadapté. Lui qui était chaque jour ou presque en course sur la piste, le bitume ou les sentiers s’est trouvé du jour au lendemain immobile. Plus immobile qu’en confinement. Je ne crains pas la fonte musculaire, la perte de tonicité et d’élasticité, ni la raideur articulaire, une flexion limitée ou la perte du cardio. Je saurai travailler dur pour reconstituer progressivement un bon déséquilibre du corps, semblable à celui qui m’a permis de parcourir tant de fois des longues distances. Je me projette désormais sur ces prochains championnats du monde avec un autre regard. Ne dit-on pas qu’une fêlure, parfois, laisse passer davantage de lumière. Je connais mon objectif. La distance s’allonge assurément, la pente aussi, mais je sens en moi s’agiter à nouveau cette douce rage intérieure, celle qui m’a permis de donner le meilleur de moi-même en expédition, sur la piste et les sentiers de trail. L’instinct de vie.
Tu as terminé l’écriture de ce livre confinée et blessée : comment as-tu vécu cette restriction de liberté, toi qui passes normalement beaucoup de temps à l’entraînement ?
J’ai toujours considéré l’écriture comme l’un des plus beaux mouvements. Il suffit d’un stylo et d’un carnet pour ressentir cette incroyable sensation de liberté même en restant physiquement immobile. Ces longues heures consacrées à l’écriture m’ont aussi replongée dans les sorties running, ultra-trails, marathons courus à travers le monde et sur lesquels je n’avais pas encore eu la possibilité de poser les bons mots.
Le meilleur conseil pour se mettre « en mouvement » ?
Ne pas attendre que tous les voyants soient verts. Quand je repense aux différents projets que j’ai mis en œuvre dans les domaines de l’exploration et du sport de haut niveau, tous ces projets m’ayant mise en mouvement, jamais les voyants n’avaient tous été verts. Jamais. Il y avait toujours eu un ou plusieurs voyants rouges. Et si j’avais attendu que ceux-là passent au vert eux aussi, alors je serais peut-être toujours en train d’attendre. Le premier pas est le plus important. Celui que l’on fait dans sa tête. Quand on décide d’y aller et de tout donner.
Et puis s’efforcer de voir dans chaque obstacle une opportunité. L’obstacle est souvent positif quand on le regarde a posteriori. La réussite in fine n’est pas la valeur d’une entreprise dans cinq ou dix ans, le chiffre d’affaires développé, la performance réalisée, mais le fait d’avoir appris et vibré chaque jour pour le projet entrepris, dans les hauts et dans les bas. Parce que si l’objectif devait être atteint sans rencontrer aucune difficulté, cela n’aurait aucune saveur. J’ai accepté chacun des obstacles que j’ai rencontrés comme faisant partie de mon histoire, de mon chemin. J’ai accepté mon point de départ et la distance à parcourir. Cela m’a libérée. L’accomplissement ressenti est toujours à la hauteur des obstacles surmontés.