C’est sur la péniche de la Nouvelle Seine, face à la cathédrale Notre-Dame, que j’ai retrouvé Tahnee, humoriste pétillante et militante qui investit la cale du bateau chaque vendredi et samedi soir pour son spectacle, « L’autre ! Enfin ! ». Dans ce one woman show cash et sans détour, elle dénonce l’invisibilisation des lesbiennes, et en particulier les lesbiennes racisées. Une histoire forte racontée au tampax imbibé : oui Tahnee ne nous épargne pas, et croyez-le ou non, on en redemande !
Tahnee, tu ouvres ton spectacle que tu joues en ce moment à La Nouvelle Seine en parlant… de tes cheveux afro ! Pourquoi cette entrée en matière ?
Quand j’ai commencé le stand up, parler de mes cheveux faisait partie des premières blagues que j’ai écrites. C’était le moment de ma vie où je commençais à arrêter de me défriser les cheveux, et forcément, j’ai été sujette à plein de situations que j’avais envie de partager sur scène. Et puis en stand up, on commence beaucoup par des blagues de présentation, parler de mon apparence était une façon de me présenter et de raconter mon histoire : fille d’une mère chti et d’un père guadeloupéen !
Tu te présentes très vite dans ton spectacle en tant que métisse et lesbienne. Etait-ce une façon pour toi de reprendre le contrôle sur le récit de ta vie ?
Le fait d’affirmer assez vite dans mon spectacle que je suis lesbienne, métisse, que j’ai une coupe afro, est une manière d’anticiper très vite les questions, d’avoir le premier mot moi-même dessus. Souvent on va me toucher les cheveux avant même que je commence à parler…
Dans ton spectacle, tu confies que tu as passé 25 ans à ignorer qui tu étais vraiment, en tentant de rentrer dans le moule de l’hétérosexualité. Que t’ont appris ces premières années de ta vie ?
J’ai plutôt mal vécu l’adolescence, mais un peu comme de nombreux ado. Le fait de sentir que je n’avais pas cette attirance pour les garçons m’a poussée à faire un gros travail d’introspection, à me poser des questions justement pour comprendre qui je suis vraiment, qu’est-ce que je veux vraiment. J’ai pu être un peu solitaire, et très secrète. Je n’osais pas confier ce que je ressentais.
Tu racontes rapidement ton coming out. Ton spectacle a-t-il pour vocation de donner de la visibilité aux lesbiennes qui sont invisibilisées dans notre société ?
J’irais même plus loin.
Aujourd’hui, je cherche à partager des modèles, des représentations, des témoignages pour qu’on se sente moins seules.
Même dans ma vie récente, c’est très nouveau d’échanger avec des femmes noires et queer. Et j’ai pu découvrir à leur rencontre qu’on partage beaucoup d’expériences communes : un milieu gay parisien qui reste majoritairement très blanc, des mains dans les cheveux malvenues, des commentaires exotisants…
Ces 3-4 dernières années, j’ai trouvé des lieux, des événements où l’on partage entre personnes noires et métisses, et ça fait du bien de se retrouver. J’ai pu raconter cette grande difficulté que j’ai eue à parler d’homosexualité avec ma grand-mère antillaise : il n’y a que les Antillais qui pouvaient me comprendre.
Tu racontes ce fameux moment où tu confies à ta grand-mère avoir une copine, et celle-ci fait mine de ne pas vraiment comprendre ce que tu lui annonces, mais tu sais qu’elle saisit. Vous n’en reparlerez pas jusqu’à sa mort. Lui confier cette part de toi t’a soulagée ?
Oui, d’autant plus qu’elle comptait beaucoup pour moi.
L’importance des rôles modèles est centrale dans ton militantisme. Tu publies d’ailleurs régulièrement des vidéos de « rencontres rêvées », peux-tu nous en parler ?
J’imagine dans des petites vidéos ma rencontre avec des personnages historiques féminins comme Rosa Bonheur, bell hooks…
Tu racontes dans ton spectacle avoir été touchée par une petite fille de 12 ans et qui t’a confié récemment, et avec beaucoup d’assurance, être bi-sexuelle. Penses-tu qu’il faudrait sensibiliser tôt les enfants à l’homosexualité ?
Je trouve aberrant de vouloir faire croire aux enfants que l’homosexualité n’existe pas. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut parler de sexualité tôt aux enfants, mais leur parler de diversité des familles, leur expliquer qu’on peut tomber amoureux d’une fille quand on est une fille, ça oui ! On m’a tellement caché cette réalité que j’en ai beaucoup souffert. J’ai manqué de représentations pour comprendre qui j’étais.
Par exemple, ma mère faisait de la natation synchronisée et me parlait parfois d’un homme dans son cours de natation qui aimait les hommes… Mais elle ne m’a jamais dit que cela pouvait exister version femme, et je ne l’ai jamais envisagé !
C’est aussi cela le but de mon spectacle, m’adresser aux jeunes pour leur offrir ce dont moi j’ai manqué.
Tu décris dans ton spectacle ta découverte du monde lesbien qui a été… un choc !
Complètement ! (rires) Ma première soirée lesbienne a été celle organisée par Barbi(e)turix, un collectif créé en 2004 qui partage une nouvelle vision des lesbiennes, moderne et éclectique, avec pour objectif de bousculer les stéréotypes. La soirée s’appelle la Wet for Me, elle est organisée au Moulin Rouge et rassemble plus de 1500 lesbiennes !
Ce sentiment libérateur, c’est celui-là qui t’a donné des ailes pour t’engager ?
Et pour finir Tahnee, crois-tu en un « génie lesbien », pour reprendre le titre du livre d’Alice Coffin ?
Oui, clairement, il y a quelque chose de génial dans le lesbianisme.
Beaucoup de femmes qui ont fait des choses extraordinaires étaient lesbiennes, et je pense que cela ne vient pas de nulle part.
Découvrez le spectacle de Tahnee « L’autre ! Enfin ! » sur les planches de La Nouvelle Seine les vendredi et samedi à 20h30 jusqu’au 10 février !
4 dates exceptionnels à Paris au théâtre de l’Européen sont prévues les 25 mars, 16 avril, 24 mai et 27 juin, en même temps que sa tournée dans toute la France !
Un spectacle à ne pas manquer…
Crédit photo de couverture – Marie Rouge