À l’occasion de la création de son nouveau label Sapiens, qui accueille des artistes de tous horizons, et du lancement de son single « Up All Night », rencontre avec Agoria, le DJ, compositeur et producteur français qui a fait de l’électro une philosophie… À moins que ce ne soit l’inverse.
Agoria, aka Sébastien Devaud, demeure l’un des mystères du monde de l’électro française (un peu comme les Daft Punk, qui sont d’ailleurs de la même génération, mais sans toute l’histoire des casques J) : soit un artiste touche-à-tout très influent, dont les morceaux sont joués aux quatre coins du monde dans les clubs, à la radio et sur grand écran (il a collaboré avec Luc Bessson et Jan Kounen entre autres), sans pour autant qu’on arrive à l’associer systématiquement à un visage et à des propos précis ; juste à du son, du très bon (à croire que c’est ce qu’il cherche, cf ses portraits à lunettes de soleil)…Plus accro à son studio qu’aux micros, et très discret en dehors de ses performances de DJ et de ses collaborations artistiques (notamment avec Neneh Cherry et Moby), on sait peu de choses de lui sinon qu’il est d’origine lyonnaise, qu’il a crée le festival Nuits Sonores en 2003, qu’il a été le protégé de Laurent Garnier, et que c’est le titre « Scala », sorti en 2013, qui l’a rendu mondialement connu.
Pour une accro à l’électro comme moi, rencontrer Agoria sans musique (si on enlève les bruits indistincts du café où nous étions assis et les cris des grappes de touristes japonais qui passaient devant nous) était à la fois une exception et un grand moment…Un peu stressant tout de même. Mais heureusement ça n’a pas duré, sa discrétion et ma relative appréhension ont rapidement laissé place à une discussion filante sur son parcours, la musique… Et sur les femmes, surtout, où il se révèle aussi surprenant que passionné. Avé !
Agoria, InFiné pour ton ancien label, et maintenant Sapiens pour le nouveau… Tu as une passion pour le latin ? Ou sinon comment te sont venus ces noms ?
J’étais plutôt le cancre de la classe, le genre à laisser mon sac à l’entrée, donc pas vraiment motivé par la besogne que l’école représentait pour moi. Le travail à fond et la passion sont venus après… Résultat je n’ai jamais fait de latin ! Tous ces noms m’ont été inspirés par les autres : Agoria ce sont des potes qui me l’ont suggéré, ça m’a tout de suite parlé, je l’ai adpoté ; InFiné c’était un choix collectif puisque nous étions plusieurs à créer ce label ; et enfin pour Sapiens c’est le livre du même nom de Yuval Noah Hariri (Sapiens, Une brève histoire de l’humanité, ed. Albin Michel ndlr) qui s’est imposé d’emblée. Sa philosophie du vivre ensemble et de l’adaptabilité de l’espèce humaine m’a accompagné durant toute la mise en place du projet, Sapiens est donc apparu comme une évidence.
Laurent Garnier, le pape de l’électro française, a été ton mentor à tes débuts. Qu’est-ce que tu souhaiterais à ton tour transmettre aux talents de Sapiens, en plus de ton soutien artistique et financier ?
J’aimerais leur apprendre à garder la flamme, la passion de leur art, et surtout à préserver leur innocence. C’est elle qui leur donne leur talent et originalité, mais il faut aussi qu’ils conservent une assiduité. On en parlait récemment avec James Murphy (aka LCD Soundsystem ndlr) : le talent des artistes est très souvent mis en avant, mais ce qu’on dit moins, c’est qu’il faut une énorme quantité de travail, et une assiduité féroce pour pouvoir y arriver. Donc en musique comme ailleurs, je souhaite que les artistes conservent intacte cette innocence, qui leur permettra d’avancer d’œuvre en œuvre.
Ta musique, et maintenant ton nouveau label, visent à croiser les arts et les artistes. Quels sont les artistes, en musique et ailleurs, qui t’ont le plus inspiré ?
C’est vrai que je me nourris énormément d’échanges avec des artistes qui ne sont pas directement, ou même pas du tout, liés à la musique : des plasticiens, des acteurs, des metteurs en scène…Ce sont souvent des rencontres inattendues, avec des gens dont l’univers te subjugue, et qui ensuite t’ouvrent des nouveaux horizons sur ton travail. L’artiste et chorégraphe Tino Sehgal, le sound designer Nicolas Becker, avec qui j’ai travaillé sur Gravity (2015), m’ont directement influencé. Plus récemment, j’ai mis sur disque le discours d’Emmanuelle Duez, une jeune entrepreneure de 30 ans dont l’engagement et le dévouement m’ont particulièrement touché. C’est le genre de personnalité révolutionnaire que je suis heureux d’avoir sur mon label.
Une femme DJ est une artiste comme un autre, et ne devrait pas faire l’objet de distinctions marketing du style : « ce soir c’est un plateau de femmes qui mixent ! » Comme si on allait dire à l’opposé « ce soir c’est un plateau d’hommes… » C’est absurde !
Les artistes électro très connus sont encore en majorité des hommes. Comment l’expliques-tu ?
Malheureusement c’est un phénomène global, qui ne s’applique pas qu’à l’électro, et qui m’attriste beaucoup. On en parlait avec Emmanuelle Duez, justement, qui a fondé les mouvements « The Bozon Project » et « Women’s Up » ; elle me disait que la régression des droits de la femme qu’on observe actuellement est le symptôme criant d’une société malade et en danger. Résultat, je n’ai qu’une envie : nager à contre-courant et donner la parole aux femmes, en musique ou ailleurs ! Et je n’ai qu’un souhait : recevoir plus de démos venant de femmes, ce qui n’est pas le cas actuellement…Donc faites passer le message !
Et pour ce qui concerne la musique électro ?
En ce qui concerne la musique électro en particulier, je ne me l’explique pas, mais le fait est qu’elle demeure majoritairement faite et écoutée par des hommes selon les statistiques qu’on a. Et je n’arrive pas à comprendre pourquoi… Est-ce que c’est une histoire de style, et donc l’électro attirerait moins les femmes que d’autres genres musicaux? Ou est-ce que c’est simplement une question de timidité à se lancer ? Dans le deuxième cas je ne peux qu’encourager celles qui sont cachées derrière leurs platines ou leurs claviers… Comme Clara Moto, que j’ai signée sur InFiné en 2007, et que j’ai dû vraiment aller chercher ! Après il y a le quotidien d’une femme dans ce milieu… J’en parle souvent avec des copines DJs comme Miss Kittin (l’une des DJS électro les plus connues, notamment pour son tube « Frank Sinatra », ndlr), et ce n’est pas forcément évident. Il y a un piège dans lequel on peut facilement tomber en étant femme et DJ, d’ailleurs c’est pour ça que je ne dis jamais DJette ! Une femme DJ est une artiste comme un autre, et ne devrait pas faire l’objet de distinctions marketing du style : « ce soir c’est un plateau de femmes qui mixent ! » Comme si on allait dire à l’opposé « ce soir c’est un plateau d’hommes… » C’est absurde ! Il faudrait à la limite écouter à l’aveugle, et apprécier les artistes sans distinction autre que celle du son ! Cela étant dit, j’ai énormément de respect et d’admiration pour ce qu’une femme peut apporter de force et de caractère à une œuvre artistique ou à un artiste : j’ai moi-même été sauvé par une femme, la productrice de cinéma Brigitte Maccioni, qui m’a convaincu de persévérer et de poursuivre la musique à une période très sombre de ma vie où je voulais tout arrêter. Elle m’a sorti la tête de l’eau, et je ne l’en remercierai jamais assez.
Après ce magnifique éloge des femmes, ma question suivante paraît toute petite… Qui sont les artistes féminines dont tu suis le travail ?
Il y’en a beaucoup ! Si on se limite à la musique pop, je pourrais citer Imany, Mai Lan, notamment son dernier titre « Vampire » que j’aime beaucoup, et M.I.A.
Que des artistes à l’univers et à la personnalité très affirmés donc! Et en électro ?
Miss Kittin, évidemment, j’apprécie beaucoup le travail de Jennifer Cardini aussi… Chloé, bien sûr, et également Charlotte de Witte, une jeune artiste belge que j’aimerais bien rencontrer.
Tu dis qu’«un bon DJ joue avec le public, et pas pour le public ». Comment cela se traduit-t-il au quotidien dans tes performances aux quatre coins du monde ?
La qualité principale d’un DJ tient d’après moi à sa capacité à sentir chaque événement, à s’imprégner de l’énergie du lieu et du moment pour emmener son auditoire encore et toujours plus loin…C’est ce jeu imprévisible « avec » le public qui me passionne, c’est pour ça que je joue des playlists en tant que DJ, et pas des formats « live », où les gens viennent pour entendre uniquement tes sons. C’est une autre école de jouer « pour » le public, tu arrives avec tes morceaux que tu as travaillés bien à l’avance, et tu n’as plus qu’à délivrer. Je ne me reconnais pas là-dedans, c’est pour ça que je parle de jeu « avec » le public, où un set peut bien se passer pendant 2h30, d’un coup il y a un morceau qui peut tout casser, ensuite à toi de d’adapter et de tout reconstruire pour ramener le public là où il était, même si ça prend des heures, c’est le jeu, c’est fun, et c’est ça qui me plaît.
Agoria, nouveau single « Up All Night » (Sapiens)
Vidéo « Up All Night » réalisée par Jan Kounen :
Facebook @sapiensrec
Et en bonus une petite playlist de week-end préparée par Agoria et dispo ici (sur Deezer et Spotify).
À écouter tranquillement dès cet après-midi… #friday !
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