Elles sont peu à partager la ligne de départ avec les hommes sur les courses hippiques professionnelles ! Pourtant, femmes et hommes concourent ensemble dans les compétitions hippiques. Camille Levesque, jockey professionnelle et championne consacrée, se confie sur son parcours de sportive de haut niveau, à quelques semaines de porter la flamme olympique !
Camille Levesque – Les chevaux, c’est une longue histoire d’amour pour toi : tes premières courses, tu les vis à 10 ans au dos de ta ponette Adrienne. Parle-nous d’elle !
Il faut savoir que dans ma famille, mon père est entraineur, tout comme mon grand-père et arrière grand-père, le cheval est vraiment en nous ! Je suis née entourée de chevaux, ils font partie de la famille, ce sont des animaux de compagnie. J’ai commencé par faire du poney en club hippique et cette ponette Adrienne est arrivée par hasard dans notre vie.
Elle s’était échappée de chez son propriétaire et s’était retrouvée sur la nationale, créant de grosses difficultés de circulation. Deux personnes qui travaillaient avec mon père ont été appelé à la rescousse pour l’attraper.
Le propriétaire est venue la récupérer chez nous, en nous expliquant qu’elle partait à la boucherie. La ponette avait 4 ans. Mes parents se sont dit qu’on ne pouvait pas l’abandonner à son sort. Ils l’ont rachetée au prix du boucher !
Camille Levesque, Jockey professionnelle
Adrienne a vécu jusqu’à ses 30 ans ! Le jour où elle est morte, j’ai eu l’impression de perdre un membre de ma famille. J’ai conservé de nombreuses de photos d’elle avec notre famille.
Comment t’es-tu retrouvée à vivre tes premières courses au dos d’Adrienne ?
On l’avait mise en club hippique, car elle avait très peur de l’homme, on a voulu l’habituer aux enfants. Elle n’était pas très douée en concours hippique ! (rires) Mais j’ai fait concouru avec elle : nous avions un lien spécial. C’était ma ponette, elle était juste à côté de la maison, je la montais tout le temps… Nous étions très proches.
Le cheval est une affaire de famille. Tu es issue d’une dynastie de champions (ton père, ton grand-père et ton arrière-grand-père). As-tu souffert de ce côté « fille de » à tes débuts ?
Je n’ai pas souffert de descendre d’une famille de champions hippiques, j’ai senti qu’être une fille Levesque inspire souvent le respect vis à vis de mes concurrents. Mais quand j’ai commencé en tant que jockey, c’est certain que j’ai été davantage regardée et beaucoup plus critiquée que Madame Dupont ! Ce qui n’a pas toujours été évident !
Quand se lance dans la compétition hippique très jeune, on vit une enfance assez… atypique !
J’ai commencé les courses de chevaux à 16 ans, en effet. C’est vrai que je passais tous les week-ends et vacances scolaires à l’écurie. Les deux mois d’été, j’étais à cheval tous les jours. Ce n’est pas une enfance et une adolescence comme les autres, mais ça a toujours été ma passion.
Tu es devenue maman d’une petite fille et tu t’es remise en selle 2 mois après sa naissance ! C’était vital pour toi de recommencer à monter ?
J’attendais avec impatience de remonter, car je suis une compétitrice dans l’âme, comme tout jockey qui fait ce métier. Ce ne m’était jamais arrivée de m’arrêter 8 mois !
Camille Levesque, Jockey professionnelle
Il faut avoir en tête qu’à 3 mois de grossesse, j’ai tout arrêté. Puis le COVID est arrivé. Je ne voulais pas trop perdre en musculature même si j’allais perdre en condition physique, j’ai donc continué à faire des squats, du vélos d’appartement, des choses pas dangereuses pour la femme enceinte. Je me souviens avoir accouché le 13 aout et j’ai recouru le 12 octobre : après la course, j’étais rôtie ! (rires) Mais j’étais heureuse.
Tu as déjà confié : « Je ne ferai pas cela toute ma vie ». Que feras-tu alors ?
Je me pose beaucoup la question :que faire ensuite et quand m’arrêter ? Mais quand on a goûté à la compétition, c’est très difficile d’imaginer la fin. J’avoue ne pas encore avoir pensé à l’après, même si il va bien falloir le faire un jour ! Je sais que je me reconvertirai dans un métier en lien avec le cheval, mais je ne souhaite pas devenir entraîneuse. Je fais partie des femmes les plus âgées sur les courses. En général, les carrières s’arrêtent vers 45 ans au trot (sauf exceptions ! ). Les meilleurs jockeys aujourd’hui ont moins de 30 ans. Moi j’en ai 35, je pense qu’à 40 ans, je ne monterai plus ! Le métier reste assez difficile physiquement.
Parle-nous justement de la pénibilité de ce métier…
J’ai conscience d’avoir énormément de chance d’être jockey professionnelle, mais cela reste un métier physiquement très exigeant qui demande beaucoup de force, du gainage en permanence. On est aussi dehors tout le temps, en Normandie où il pleut très souvent. Quand il fait 3 degrés en décembre sous la pluie, on prend du sable dans la figure, on a les pieds et les doigts gelés…

Crédit photo Camille Levesque – SETF / L. Cartalade
Tu fais partie des rares femmes jockeys professionnelles : comment se fait-il que vous soyez si peu sur la ligne de départ avec les hommes ?
C’est vrai que sur les courses de haut niveau, on est souvent maximum deux femmes sur la ligne de départ. Mais nous sommes présentes ! Je pense notamment à Nathalie Henry, qui est une jockey que j’admire beaucoup avec une très belle carrière : elle a eu deux enfants et est revenue à pas loin de 45 ans sur la piste, c’est très beau ce qu’elle a fait.
Il faut savoir qu’on compte très peu de femmes en professionnel, mais qu’elles représentent plus de la moitié des effectifs dans les classes d’apprentis. Elles sont nombreuses sur les petites courses, mais au niveau professionnel, c’est difficile pour les femmes jockeys de s’imposer.
Je pense que l’une des principales raisons qui explique le peu de femmes jockeys professionnelles est qu’elles souffrent d’un gros désavantage poids : il est donc plus difficile pour une femme de convaincre un entraîneur de lui faire monter son cheval sur une course professionnelle.
Camille Levesque, Jockey professionnelle
L’entraineur gère toute la carrière du cheval en lien avec le propriétaire. C’est lui qui va appeler des jockeys pour driver ou monter son cheval. Or il y a des règles de poids à respecter pour les hommes et les femmes, sans distinction. Au niveau apprenti, les femmes sont avantagées car elles plus sont légères et qu’il n’y a pas de contrainte poids sur les courses de province, mais ce n’est pas au niveau de Vincennes.
Quand on passe pro : il faut monter jusqu’à 65kg, et personnellement je ne fais pas ce poids là, comme beaucoup de femmes jockeys. Je suis obligée de mettre du plomb dans mon équipement. On appelle cela du « poids mort », c’est un poids directement sur le dos du cheval et qui ne bouge pas. Et ça, les entraîneurs y sont plus réticents et préfèrent confier leurs chevaux à des jockeys masculins qui montent au poids. Les femmes partent donc avec un handicap, il est plus difficile pour elle de faire une carrière professionnelle.
Je suis novice, mais ce « poids mort » dont tu parles et qui ne bouge pas sur le dos du cheval, est-ce qu’il n’est pas possible de le fixer à ta propre tenue ?
Il y a d’autres méthodes effectivement : moi j’ai acheté une sangle large en cuir qui se met sous le cheval. J’ai testé le poids sur moi-même, un gilet de plomb, mais c’est très dur physiquement car on porte un poids qui n’est pas le sien : je l’ai fait une fois sur une course, et je ne l’ai jamais refait, j’avais les jambes qui tremblaient. Plus personne ne fait cela d’ailleurs.
Depuis la naissance de ta fille, tu as décidé de monter exclusivement les chevaux de la structure familiale : c’était une façon de te libérer de cette pression de convaincre d’autres entraîneurs ?
Avant d’avoir ma fille, je montais pour d’autres propriétaire, mais aujourd’hui j’ai fait le choix de ne monter que des chevaux de la maison. Je monte celui de mon père ou de mon frère qui sont très bons ! C’est une chance pour moi de pouvoir faire cela, cela ajoute du confort dans l’exercice de ma profession et je suis aussi très fière de monter les chevaux de la famille.
En tant que femme jockey, as-tu conscience d’être un rôle modèle ?
Je commence à prendre conscience avec les demandes d’autographes et de photos qui sont de plus en plus importantes après chaque course ! Cela me touche beaucoup.
Camille Levesque – Tu porteras la flamme olympique le 19 juillet : fière ?
Lorsqu’on me l’a proposé, j’ai accepté tout de suite ! Ce sera à l’hippodrome d’Enghien le 19 juillet, mais je ne sais pas encore comment cela va se dérouler dans le détail ! (rires) C’est une chance incroyable qui n’est pas donnée à tout le monde : on ne fait ça qu’une seule fois dans une vie.