Certaines ne savent pas ce qu’elles feront le 31 décembre, et commencent à angoisser légèrement… D’autres, comme Camille Thomas, sont bookées jusqu’en 2021 (!!), et ont la belle franchise d’avouer que ça leur fait un peu peur aussi…
Pas étonnant d’avoir un agenda aussi rempli lorsqu’on est la première femme violoncelliste à signer un contrat international d’exclusivité avec la prestigieuse maison de disques Deutsche Grammophon (le rectangle jaune sur les CD de musique classique, c’est eux !), et aussi l’une des plus jeunes, 29 ans seulement ! Mais ce sésame est loin de tomber du ciel: il résulte d’années de travail acharné, ponctuées de myriades de concerts et d’une pluie de récompenses depuis ses 16 ans, dont une nomination aux Victoires de la Musique en 2014.
Pourtant, quand on consulte le compte Instagram de Camille, c’est bien celui d’une fille d’aujourd’hui, qui aime les voyages, la mode et les rencontres, à mille lieues des habituels préjugés sur la musique classique et ses interprètes. À l’inverse, l’écoute de son album montre qu’elle est bien plus que la brune longiligne et souriante de la pochette, qu’elle a su atteindre une virtuosité dans son art tout en restant libre et moderne. Et enfin quand on la rencontre, elle confirme ce paradoxe réjouissant : le classique peut à la fois avoir 200 ans et être d’une fraîcheur émouvante…
Parfois j’ai un bref instant envie de devenir vendeuse de crêpes juste avant de monter sur scène… Une fois que je commence à jouer, l’adrénaline monte et le moindre petit doute s’envole. Je n’ai pas le choix, je suis sur Terre pour faire ça !
Tu es « belgo-Parisienne » et tu as choisi de partir te former en Allemagne… Raconte-nous ce parcours européen.
Mes parents sont belges, ils sont partis en France après leur mariage. Et même si Paris est la ville où j’ai grandi, je trouve toujours une chaleur particulière en Belgique, un pays auquel je suis fière d’appartenir !
L’Allemagne, j’y suis partie en train à 17 ans, un peu par hasard, pour tenter un concours (celui de l’entrée à l’Académie de Musique de Berlin ndlr) que j’ai réussi ; moi qui pensais rester quelques semaines, j’ai passé 10 ans là-bas ! Cette expérience a été une chance immense, elle m’a permis de me développer de manière sincère et profonde, d’apprendre à me connaître, et de sortir d’un cadre assez similaire depuis mes 8 ans : cours le matin, musique l’après-midi… J’étais très attirée par la culture slave, et notamment russe : la générosité des personnages de Tolstoï, mais aussi les caractères forts et extrêmes comme ceux de Dostoïevski. On retrouve tout cela dans la musique classique, et le fait d’avoir en Allemagne des professeurs issus de cette culture Est-européenne m’a permis d’intégrer ces notions et d’aller dans la direction que je souhaitais.
Et bien sûr, signer mon contrat chez Deutsche Grammophon à Berlin a été un très bel aboutissement !
Depuis tes débuts à 4 ans et demi (!), le violoncelle ne t’a plus quittée. Comment est apparue cette vocation ?
La musique fait partie de ma famille : ma mère est pianiste, mon père était son élève … J’ai donc demandé très vite à jouer d’un instrument. Restait à savoir lequel ! Le violoncelle s’est imposé comme une évidence, mon premier souvenir d’enfant demeure le son de cet instrument, même si je ne me rappelle pas de mes premières notes. Pour moi, le violoncelle n’est pas un métier, c’est un accomplissement, je ne peux pas voir ma vie autrement.
Tu n’as jamais eu l’ombre d’une hésitation ?
Je suis Gémeaux, donc j’ai des doutes sur tout… Sauf sur ça ! Et même si le violoncelle demande énormément de discipline, de sacrifices, que parfois j’ai un bref instant envie de devenir vendeuse de crêpes juste avant de monter sur scène (rires)… Une fois que je commence à jouer, l’adrénaline monte et le moindre petit doute s’envole. Je n’ai pas le choix, je suis sur Terre pour faire ça !
Les instruments à corde, c’est comme la baguette dans Harry Potter : il y a une alchimie qui doit opérer entre les deux pour qu’on puisse jouer à son meilleur niveau.
Pourquoi ton violoncelle de 230 ans (il a été fait en 1788 !!) porte-t-il le nom d’un grand vin de Bordeaux ?
Effectivement, ce violoncelle a 2 particularités : il a exactement 200 ans de plus que moi, et il appartient à Bernard Magrez, propriétaire de 4 grands crus classés à Bordeaux, qui lui a donné le nom du plus prestigieux : Château Pape-Clément.
En temps normal, cet instrument serait totalement hors de ma portée, comme pour n’importe quel jeune musicien ! Le fait que Bernard Magrez m’ait appelée après m’avoir écoutée, il y a maintenant 2 ans et demi, et me permette de choisir ce violoncelle est tout simplement incroyable !
Les instruments à corde, c’est comme la baguette dans Harry Potter : il y a une alchimie qui doit opérer entre les deux pour qu’on puisse jouer à son meilleur niveau. Encore plus avec le violoncelle qu’on enlace, qui prend toute la place… Il y a une sensualité qui s’apparente presque à celle d’un couple, les deux ne font plus qu’un.
Ton premier album chez Deutsche Grammophon comporte 14 morceaux, mais uniquement de deux compositeurs, Camille Saint-Saëns et Jacques Offenbach, pourquoi ces choix ?
Je crois à la valeur de l’album, je pense que les gens aiment encore écouter un disque en entier, chez eux, en voiture… C’est un voyage dans un monde que propose l’artiste, il vous invite à le suivre. Donc pour ce premier disque chez Deutsche Grammophon j’ai voulu raconter mon histoire, me présenter en tant qu’artiste française : il y a l’enthousiasme, le tourbillon de la vie avec notamment le Concerto N°1 de Camille Saint-Saëns, et puis Offenbach, le plus français des compositeurs allemands, ça me correspond parfaitement !
Ça me tient à cœur de montrer à ma génération que la musique classique est extrêmement actuelle, loin des clichés qui peuvent parfois lui coller à la peau !
Dans ton style d’interprétation comme dans ton style mode, on sent un élan et une liberté qu’on n’attend pas chez une musicienne classique. Comment penses-tu aller à l’encontre de certains préjugés concernant la musique classique et ses contextes d’interprétation ?
Ça me tient à cœur de montrer à ma génération que la musique classique est extrêmement actuelle, loin des clichés qui peuvent parfois lui coller à la peau ! Comme les grands romans ou les grands tableaux, si certains morceaux ont réussi à traverser le temps et les époques, c’est qu’ils ont une valeur universelle. Ils saisissent l’âme avec force, intensité, vérité et profondeur, c’est pour moi la définition de l’art. Ils nous font vivre plus intensément, et je suis triste que certains passent à côté de cette expérience uniquement à cause de vieux préjugés.
C’est pour ça que j’essaie par mon travail et mon style d’être moi-même, une personne de son temps qui joue la musique de son temps… Par exemple mes robes de scène ont toujours des poches, où je cale mon I Phone pour enregistrer ma performance et pouvoir ensuite me corriger, ce n’est pas très « old school » ça !
Il semble qu’une « nouvelle vague » d’artistes classiques féminines à la fois très douées et assez culottées parviennent à s’imposer sur la scène internationale, en partie grâce aux réseaux sociaux : Katia Buniatishvili au piano, toi au violoncelle… Qu’en penses-tu ?
C’est une bonne chose que des personnalités féminines imposent un style différent dans la musique classique, car on n’ira jamais critiquer la tenue d’un homme sur scène alors que pour les femmes… En tout cas, je connais Katia Buniatishvili, et elle a effectivement des prises de position fortes, elle est vraiment comme ça, ce n’est pas surjoué.
En ce qui me concerne je fais très attention avec l’image, car elle peut être à double tranchant : c’est super de pouvoir faire connaître son travail grâce à Instagram, mais je reste une interprète : mon lieu de vie c’est la scène et pas mon téléphone, et même si je tiens à bien m’habiller par respect pour le public et les musiciens, je ne suis pas le centre du propos. Je ne fais que transmettre l’œuvre de quelqu’un d’autre. Je garde toujours ça en tête, et j’ai la chance d’avoir une équipe autour de moi qui va dans le même sens.
Que fais-tu quand tu ne joues pas ?
Je ne déconnecte jamais vraiment… Jouer professionnellement, c’est comme rentrer en religion, donc tout ce que je fais est forcément lié à la musique, les films que je vois, les livres que je lis… Mais j’essaie de passer le plus de temps possible avec ma famille et mes amis, c’est ça ma priorité quand je ne joue pas.
Quelle est ta journée type en cette période de tournée ?
C’est toujours un peu spécial une journée de concert, j’essaie de trouver l’équilibre entre la montée d’adrénaline et le calme à conserver, entre l’énergie et le repos. Je nage, je fais des exercices de respiration, je répète avec les musiciens.
Plus généralement, je travaille énormément en amont pour pouvoir tout oublier une fois entrée en scène, me détendre complètement et être dans le partage avec le public.
La pression est quand même assez énorme, avec 80 musiciens et 2000 personnes devant lesquelles on se présente, sachant qu’un doigt ¼ de millimètre trop haut peut vous être fatal (rires) ! Donc j’essaie de garder une certaine insouciance, d’avoir le moral, de me dire que chaque concert est une leçon qui me fait progresser, ça va toujours incroyablement mieux une fois en scène !
La pression est quand même assez énorme, avec 80 musiciens et 2000 personnes devant lesquelles on se présente, sachant qu’un doigt ¼ de millimètre trop haut peut vous être fatal
As-tu une routine beauté spécifique ?
Une poudre et un rouge à lèvres Clinique, mes indispensables pour entrer en scène impeccable, même si avec le jeu ça ne dure pas longtemps, je finis souvent dans un drôle d’état (rires !).
J’attache également une importance particulière à ma tenue de concert. Elle me permet d’entrer dans la performance, de me mettre dans l’ambiance, c’est également une marque de respect pour le public et les musiciens. Ma robe doit être à la fois « waouh ! » et simple, moderne et abordable, je n’aimerais pas porter des robes qui coûtent 20 places de concert ! Depuis peu je mets aussi des hauts talons, je n’osais pas avant avec mon 1m80, mais ils me donnent de l’assurance, je me sens mieux avec maintenant !
Et enfin ma touche finale, un nuage de parfum Lalibela de Memo, qui me permet d’achever ma « transformation » et de rentrer dans ma bulle.
Et pour tes mains et tes bras qui doivent être les plus sollicités ?
En fait c’est l’inverse de ce qu’on pourrait penser : il faut jouer très détendue, donc les muscles ne travaillent pas tant que ça, et mes bras sont plutôt fragiles ! Je dois donc éviter de porter des charges lourdes en dehors des concerts (mon violoncelle est sur mon dos), et pratiquer des sports qui détendent comme la natation plutôt que du fitness ou de la musculation.
Mes mains c’est autre chose, elles ont grandi avec le violoncelle, j’en ai donc une plus grande que l’autre, et mes doigts sont marqués. J’aime les laisser très naturelles avec un vernis nude ou transparent.
Ton compte Instagram montre que tu aimes les looks variés et originaux. Quel est ton style du jour et du soir ?
À la fois élégant et confortable en toutes occasions. Je dois parfois me changer plusieurs fois par jour, il faut que je me sente à l’aise ! Pour le jour je suis fan des souliers de Philippe Zorzetto, des sacs de Claris Virot et des chemisiers Leonard (voir notre article sur Leonard ici) avec une belle montre, chic et intemporelle comme celle-ci, une Baume et Mercier; pour le soir j’aime beaucoup John Galliano, son univers féérique me fait rêver, et bien sûr Paule Ka, chez qui je choisis à présent exclusivement mes tenues.
Justement, Paule Ka t’a choisie comme l’une des personnalités incarnant sa collection Cruise 2018. Comment s’est faite la rencontre avec la Maison ?
Une amie commune avec la comédienne Pauline Lefèvre m’a présenté la marque, ça a été un coup de cœur humain et créatif. Leurs collections me conviennent parfaitement, pour le jour comme pour le soir, les robes à poche pour mon I Phone sur scène, c’est eux ! (rires) C’est une belle relation d’amitié, je suis heureuse de pouvoir porter leurs créations qui sont à la fois élégantes, modernes et abordables.
Que dirais-tu à des gens qui n’ont jamais été à un concert de musique classique pour les convaincre de tenter l’expérience ?
La musique classique fait tout ressentir 10 fois plus fort : si vous êtes amoureux, vous le serez 10 fois plus ; si vous êtes triste, vous pleurerez 10 fois plus, mais c’est une catharsis, ça vous fera du bien. C’est une chance qui est maintenant à la portée de tous, donc venez tenter la vôtre !
Camille Thomas, Saint-Saëns, Offenbach, Deutsche Grammophon, 2017 – Suivez-la sur @camillethomascello