Christophe André, c’est l’homme de science qui a introduit la méditation en milieu hospitalier, qui a réussi à convaincre les plus réticents que méditer n’était pas un truc de hippie perché, qui a lancé en France une pédagogie laïque de la pleine conscience… Il sort aujourd’hui un nouvel ouvrage 3 minutes à Méditer, retour sur un parcours hors norme.
Allez savoir pourquoi, lorsqu’est arrivé le jour de l’interview téléphonique avec Christophe André, j’ai comme ressenti le besoin de me poser, de m’isoler pour passer mon coup de téléphone loin de l’animation habituelle de notre grande table de travail, d’éteindre toutes les lumières et de brancher mon kit main libres (bonne résolution 2017, arrêter de me cramer les méninges à coup d’ondes téléphoniques). J’étais convaincue que l’interview ne pouvait être vraie que si moi-même, je me mettais dans les conditions d’une séance de méditation. Alors avant d’appuyer sur le bouton vert, je me suis assise par terre dans une salle du bureau encore inoccupée, le dos contre le mur, les bras le long du corps et je me suis écoutée respirer lentement. 1 minute, 2 minutes, 3 minutes. Je me sens prête. Je me sens bien. Je me sens là. Appel en cours…
Vous parlez souvent d’une prédisposition à la méditation. Vous avez toujours senti que ce serait votre voie ?
Pas vraiment, mais c’est souvent une fois qu’on est devenu adulte qu’on se demande pourquoi on s’est dirigé vers tel ou tel métier. Je me suis interrogé sur le pourquoi de ma spécialisation en médecine, pourquoi j’avais choisi la méditation. Depuis l’enfance, j’ai toujours eu l’envie de lenteur, de calme, de solitude, j’étais quelqu’un de très contemplatif, comparé à mes copains beaucoup plus agités ! J’aimais galoper avec eux, mais j’avais besoin de moments pour moi. La méditation était déjà en germe sans doute. C’est pourquoi j’ai eu beaucoup de facilité à me spécialiser dans ce domaine, ce n’était pas à l’opposé de mes besoins.
On sent une grande sincérité de langage, notamment sur ce qui vous a poussé à partir en retraite pour la première fois : le drame d’un ami qui s’éteint dans vos bras. C’est important pour vous d’expliquer votre démarche ?
Oui, car cela fait partie de mes convictions en tant que soignant et thérapeute. Il y a quelques années, nous avons publié avec une vingtaine de collègues un ouvrage intitulé Les Psys se confient pour vous aider à trouver l’équilibre intérieur, on y parlait de nos expériences personnelles, comment elles nous avaient conduits à pratiquer. L’idée n’est pas de se mettre en avant, mais de partager son expérience. Je ne veux pas donner des conseils hors sol et désincarnés. J’ai envie d’aider les gens à changer et progresser. Le fait de dire que, nous aussi, nous avons connu des difficultés est déculpabilisant pour toutes les personnes qui s’imaginent être les pires ou les seules à avoir ce genre de difficultés. Parler de soi, c’est leur dire que leur difficulté est une question d’humanité et non d’incapacité et d’infériorité. C’est montrer que nos efforts ne sont pas inaccessibles, que nous sommes simplement quelques pas plus loin sur le chemin de la méditation. C’est toute la différence entre la vie privée et l’intimité : la vie privée n’aide pas les lecteurs et le patient, car elle est par essence personnelle. L’intimité, elle, fait référence aux états d’âme et aux souffrances, des émotions universelles qui ne sont pas spécifiques à moi mais constituent le propre de l’expérience humaine. Parler intimement, c’est renforcer mon message.
Qu’il s’agisse de dépression ou encore de cancer, faire de l’exercice physique, arrête de fumer, manger des fruit et des légumes et faire de la méditation permet de limiter les risques de rechute.
Peut-on considérer la méditation comme une thérapie ?
Oui et non. En réalité, ce n’est pas vraiment une thérapie car celle-ci s’adresse à un malade. La méditation est un apprentissage. Dans notre service à l’hôpital Saint Anne, on ne propose pas la méditation à des personnes très en souffrance, en dépression sévère, aux alcooliques, aux personnes très atteintes. On les guérit d’abord avec des médicaments et des thérapies et quand ils sont en rémission, pour les aider à ne pas rechuter, on leur propose la méditation qui modifie le style de vie. Qu’il s’agisse de dépression ou encore de cancer, faire de l’exercice physique, arrête de fumer, manger des fruit et des légumes et faire de la méditation permet de limiter les risques de rechute.
Votre tout dernier ouvrage sort aujourd’hui : 3 minutes à méditer. Il s’agit d’une retranscription d’une émission que vous aviez animé sur France Culture. Vous avez ressenti le besoin de mettre sur le papier cette expérience radiophonique ?
A l’origine de cette émission de radio, c’est France Culture et mon éditrice qui ont eu l’idée de proposer une chronique quotidienne pour tester de nouveaux programmes pendant l’été. J’ai donc tenu une rubrique quotidienne de méditation l’été dernier : je proposais des petits instant de déconnexion. Cela a été le grand succès de l’été, mes émissions ont été très podcastées, ce qui a beaucoup surpris car les auditeurs de France Culture sont plutôt cérébraux et mes exercices étaient simples et brefs ! Les rassembler dans un ouvrage est apparu comme une évidence pour mon éditrice.
On parle beaucoup de 10, 15 voire 20 minutes de méditation par jour pour se sentir mieux, et on s’y perd un peu. Il y a un timing mieux que l’autre ?
Disons qu’il y a différentes écoles de méditation. Ce n’est pas la même chose chez les tibétains, dans une ashram ou si vous venez à St Anne. Dans la pleine conscience, laïque et simple que j’enseigne, j’ai calibré des espaces de respiration de 3 minutes qui n’ont pas pour vocation de remplacer les exercices longs ! Mon livre n’est pas un petit gadget, c’est une porte d’entrée pour les personnes un peu effrayées ou dissuadées par des séances longues et un approfondissement pour ceux qui pratiquent déjà la méditation et souhaitent l’intégrer davantage tout au long de leur journée (c’est tout de même plus facile d’intégrer 3 minutes de pause sur son lieu de travail que 20 minutes !). Si vous prenez goût à cela, cela vaut la peine de faire un vrai apprentissage des exercices prolongés pour y découvrir davantage d’expériences. Le fait que cela dure 3 minutes, ne veut pas dire que vous allez devenir maître méditant, mais cela a du sens.
La méditation n’est pas une pratique qui coupe de la vie, mais qui au contraire, nous reconnecte à l’instant présent.
L’ouvrage propose 40 sections, invitant à 40 pauses de méditation différentes : le soir avant de s’endormir, pendant la préparation d’une ratatouille… ! Comment appréhender votre livre ?
Il faut savoir que j’encourage mes patients à faire des petites pauses de pleine conscience, à ouvrir dans la journée des moments pour se recentrer quand ça va trop vite, pour affronter une difficulté liée à un conflit ou pour profiter d’un moment agréable afin d’être présent à ce qu’on est en train de vivre. A Saint Anne, on a monté des groupes de suivi et de maintien de pratique : les patients peuvent venir librement après avoir suivi le programme pendant 3 mois. Ils ont la possibilité de venir à des séances ouvertes deux fois par mois qui durent 1h : 30 minutes de méditation puis 30 minutes de partage. Cela m’avait frappé de voir que les patients étaient en demande d’une pratique quotidienne de la méditation pour être plus présent à leur vie : au lieu de démarrer tout de suite leur voiture, ils se posent. Au lieu de préparer à manger machinalement, ils se re-connectent à ce qu’ils font. C’est comme cela que j’ai conçu mon émission l’été dernier et donc comme cela qu’il faut appréhender cet ouvrage : la méditation n’est pas une pratique qui coupe de la vie, mais qui au contraire, nous reconnecte à l’instant présent.
Vous parlez de folie digitale. Vous avez un discours très dur envers les grandes firmes qui monopolisent notre attention. Votre ouvrage est-il politique ?
Oui, c’est de la politique de la santé. On peut parler aujourd’hui de scandale sanitaire ! Tout comme on s’insurge contre les perturbateurs endocriniens, je m’insurge contre les perturbateurs attentionnels que constituent les écrans. On a le même cynisme de la part des fabricants d’écrans que de ceux du diesel et du tabac : on sait qu’à haute dose, ils sont nocifs. Rappelons-nous la lettre écrite par Steve Jobs avant de mourir et de son rapport à l’essentiel… Il disait aussi que ses enfants n’avaient accès aux écrans qu’une heure par jour. La méditation permet de reconnecter avec l’instant présent, se détacher des écrans pour vivre en pleine conscience. Le digital, c’est comme le sucre, un peu c’est bien. Trop, c’est dangereux.
A titre personnel, vous êtes extrêmement sollicité. Vous est-il parfois difficile de combiner méditation et j’ose le terme “célébrité” ?
Je parlerais plutôt de notoriété dans mon milieu. Et oui, effectivement c’est un conflit permanent. Je refuse beaucoup de projets et d’interviews. Je suis déjà passé sur un temps partiel à Saint Anne, je diminue encore cette année, et puis je vais bientôt prendre ma retraite ! Le tiraillement entre méditation et vie du quotidien est très caricaturale chez moi, mais nous sommes presque tous confrontés à ce genre de problématique. Je fais de mon mieux. Il y a des périodes dans l’année où j’y arrive bien, d’autres où je me sens embarqué. Je suis ravie que les médias me tendent leur micro pour faire passer les messages. Ce n’est pas déplaisant ! Mais je suis plus à l’aise au calme, tranquille, en famille et avec mes amis. J’ai envie de quitter Paris pour ma retraite, de me mettre au calme. J’aspire à cela.
Crédit photo : Andre Roudeix
[…] enfin 15 min de méditation, souvent avec des mantras chantés pour apaiser […]