Le Prescripteur vous présente son conte de Noël érotique, « Une fête particulière » en trois chapitres écrite par Fabien Muller exclusivement pour vous chères lectrices… A dévorer entre repas de réveillon (ou pendant, si c’est l’ennui total…) ! Pour celles qui ont lu le début de la nouvelle dans Le Prescripteur papier de décembre, il faut lire la fin du chapitre 2 puis le chapitre 3 !
Chapitre 3 – Une fête particulière de Fabien Muller
Illustration de Piment Martin.
Le Chapitre 2 dispo ici.
Mon frère ouvre la porte et nous accueille avec un rictus agaçant scotché au coin des lèvres.
- Ainsi donc, c’était vrai, dit-il simplement en dévisageant sans aucune gêne la femme qui se tient à côté de moi.
J’imagine que les présentations sont faites.
***
Nous sommes désormais assis autour d’une table basse immense, jonchée d’un nombre incalculable de choses à grignoter.
Je note que la nouvelle de ma mise en couple a attiré du monde puisque ma grand-mère acariâtre est là, ainsi que mon oncle Jean-Edouard que je n’ai pas vu depuis au moins cinq ans – et qui servira assurément de caution raciste et complotiste à cette soirée. Je note qu’il y a aussi une jeune femme que je ne connais pas. Ma belle-sœur me la présente comme une amie – version raccourcie d’elle-même (s’ils tentaient de me la refiler, c’est raté, je suis accompagné). Ma belle-sœur parfaite qui a d’ailleurs du mal à cacher son hostilité vis-à-vis de mon Elixir à cette soirée.
Etrangement, l’ambiance est assez détendue et plusieurs discussions sont lancées en parallèle, provoquant une sorte de brouhaha persistant qui empêche de suivre vraiment ce qui se passe mais permet de parler à n’importe qui sans avoir le sentiment que tout le monde écoute.
Mon oncle en profite d’ailleurs pour me donner un petit coup sur l’épaule.
- Eh dis donc, tu dois pas t’ennuyer au lit avec elle, me dit-il en désignant mon accompagnatrice (qui fait semblant de n’avoir rien entendu).
J’essaye d’engager la conversation avec l’amie de ma belle-sœur, qui se prénomme Jennifer, et qui dégage quelque chose d’un peu coincé. Elle ne me répond que de manière monosyllabique, semblant terrifiée que je lui adresse la parole.
- T’habites dans le coin ?
- Oui.
- C’est bien.
- Bof.
- T’as un copain ?
- Hein ? Grand Dieu, non. J’ai décidé de me donner à Dieu.
- Oh putain, voilà qu’elle nous refait sa profession de foi… soupire mon oncle.
La mamie qui ronfle depuis vingt bonnes minutes choisit cet instant pour se réveiller en hurlant « Le père noël est déjà passé ? », déclenchant l’hilarité des deux enfants.
Ma mère tape alors dans les mains :
- Bon, on va commencer à manger
Ah. Mais que faisait-on depuis déjà une heure ?
Je me tourne vers Elixir qui se comporte merveilleusement bien. Il faudra que je songe à lui octroyer un bonus.
De mon côté, c’est moins glorieux. Je multiplie les bourdes avec miss bigote (j’avoue avoir une forme d’allergie à l’abstinence quand on se l’impose) et sa conversation est à peu près aussi passionnante que l’observation d’un ciel nocturne par temps nuageux.
- … et depuis plusieurs jours, je traîne ce mal de crâne ici, me dit-elle avec la passion d’un militaire faisant un lit au carré en pointant l’arrière de sa tête avec son index.
- Ah oui, le manque de sexe provoque ce genre d’effet secondaire, rétorqué-je alors que je pense toujours à cette histoire d’abstinence.
Je constate à son air que ce n’est pas le genre de propos qu’elle attendait. Elle commence à agiter les bras comme si elle manquait d’oxygène et qu’un malaise la guettait. Ah non, le malaise ne la guette pas, elle vient de s’écrouler. A côté de sa chaise. Tout le monde s’approche et tente de la relever. La situation a l’air sous contrôle, je m’éclipse discrètement vers la cuisine, espérant trouver les enfants qui sont plus malins et se sont enfuis depuis vingt bonnes minutes.
Je tombe sur mon oncle et un saladier de gressins. J’en attaque un et me verse un grand verre d’eau glacée.
J’entends de manière assez lointaine la famille en train de s’enquérir de miss coincée. On lui tapote la joue, on demande de l’eau. Je me retiens d’amener mon verre, on m’accuserait sans doute de vouloir l’empoisonner. Tout le monde est aux petits soins. Seule la grand-mère est un peu décalée : elle hurle toujours afin de savoir si le père-noël est déjà passé.
Mon oncle me tape sur l’épaule. Je vois un immense saladier d’un cocktail à base de menthe trôner au centre de la table de la cuisine. J’ai envie de plonger dedans et de m’y endormir jusqu’à demain matin.
- Ah, pas de chance pour la blague sur le sexe. Je pense qu’elle est aussi vierge que ce mojito, me dit-il.
- C’est un virgin mojito ? le questionné-je.
Il me fait un clin d’œil, met une louche pleine dans son verre et l’ingurgite entièrement en deux secondes.
La soirée sans alcool. C’est peut-être la solution pour ne pas aggraver la situation. De toute manière, je me traîne un rhume terrible depuis hier, je ne risque pas de faire la différence au goût. Je jette un œil dans la salle-à-manger et prends le saladier sous le bras. Puis, je me dirige le plus discrètement possible vers la salle où j’entends les enfants s’amuser.
Un terrain neutre.
Leur table est installée et ils ont commencé à attaquer des morceaux de dinde à pleines dents. Leur enthousiasme carnassier me remonte un peu le moral. Je pose le saladier sur un bout de table.
- Ça va ? leur demandé-je tout en m’asseyant sur une chaise restée libre.
- Ben ouais, répondent-ils en cœur.
- Le père-noël vous a gâtés ?
- Eh dis donc, t’es pas un peu con de penser qu’on croit encore au père noël à notre âge ? rétorque le plus jeune.
Si j’étais venue chercher du réconfort auprès de la jeune génération, je pense que l’on peut conclure que c’est raté. Je retente ma chance :
- Je vous sers un cocktail sans alcool ?
Les deux se regardent en pouffant. Puis, après un ou deux signes de tête incompréhensibles pour un adulte, ils se retournent vers moi.
- Ouais, répondent-ils en chœur.
Ça y est, je suis leur meilleur pote. Cette soirée ne fait que commencer après tout, je peux encore remonter la pente.
« The night is young », comme on dit.
***
Après quinze minutes de discussion à bâtons rompus sur l’école, le sport ou encore le meilleur endroit pour passer ses vacances, je vois les deux bambins se mettre sérieusement à bâiller. Je suis moi-même prise d’une certaine lassitude.
Je retourne dans la salle-à-manger pour constater que tout le monde s’est remis de ses émotions. Je me dirige vers la belle sœur aux seins en carbone.
- Faudrait peut-être coucher vos enfants, parce qu’ils m’ont l’air un peu claqués.
- Ah bon ? Il n’est même pas 22h, c’est bizarre.
- Ah oui tiens, dis-je en regardant ma montre.
Elle me suit alors dans la pièce adjacente, ce qui me permet de constater que sa coupe de cheveux tient, elle aussi, toute seule. On dirait qu’elle a une sorte de choucroute qui lui trône sur le crâne.
Les deux bambins sont en train de ronfler sur le tapis.
- Mais qu’est-ce que c’est que ce… ? commence-t-elle avant de saisir la louche du saladier.
- Je sais pas ce qu’ils ont fait de leur journée mais ça devait être fatigant, dis-je pressentant un problème mais ne comprenant pas totalement la situation.
Miss choucroute se dirige vers moi et s’arrête tout à coup. Elle ouvre la bouche, puis la referme. Finalement, elle l’ouvre :
- Putain, mais ce con a fait boire du mojito aux enfants !
- Euh, non, non, c’est un cocktail sans alcool.
- Mais qui vous a dit que c’était sans alcool, hein ? Bordel, ça pue le rhum.
- Ah, peut-être, je suis enrhumé en fait…
Le bruit a ameuté l’assemblée adulte qui se presse autour de nous, une onde d’inquiétude se répandant parmi eux à la vision des deux enfants allongés sur le tapis. Je me retourne, cherchant du regard l’oncle et le découvre hilare dans un coin de la pièce.
Les deux parents se succèdent à tour de rôle dans une danse splendide et hypnotique consistant à baffer leurs enfants afin de les réveiller. Il semblerait que leur diagnostic indique sans contradiction possible que leur progéniture ne doit pas dormir – je trouve ça idiot, mais n’ayant pas d’enfants et étant à l’origine de cette sieste impromptue, je m’autorise à ne pas trop la ramener.
Les enfants ouvrent finalement les yeux en grommelant. Bonne nouvelle : ils ne sont pas morts.
- J’ai la tête qui tourne, dit l’un des deux, ce qui me vaut un regard consterné mais néanmoins réprobateur de mon frère.
Tout le monde entreprend alors de trouver le jeu le plus crétin afin de tenir les enfants éveillés – la palme revenant à miss bigote qui tente un bien peu pertinent « un, deux, trois soleils » qui voit les deux enfants sombrer de nouveau.
Ne pouvant rester à l’écart de cet effort collectif, et grâce à l’aide de l’alcool qui parcourt désormais mes veines – y répandant une atmosphère de fête foraine et d’audace –, je saisis un verre et le fais tinter.
- C’est le père noël ? demande la grand-mère tandis que l’assemblée se tourne dans ma direction.
- Non, ce n’est que moi, commencé-je.
Je cherche les yeux de toutes les personnes présentes. Chaque paire oscille entre hostilité contenue et perplexité. J’ai l’impression de passer un entretien d’embauche pour un groupe terroriste après avoir menti sur la durée de mon stage chez Al-Qaeda.
- Soyons honnête, j’ai déconné. Si ça peut vous rassurer, les enfants n’ont pas beaucoup bu… Dieu merci, ils ne sont pas fans de menthe (rire de soutien d’Elixir, merci bichette).
Je fais une pause. J’ai lu quelque part que le plus important dans un discours, c’étaient les silences. Je ne me souviens plus où j’ai pu lire de telles conneries, mais quitte à sombrer, autant le faire en beauté.
- C’est très laid de faire boire des enfants. Même involontairement. C’est impardonnable. Je pense qu’il n’y a pas grand-chose de plus laid que ça. A part peut-être une Toyota Prius (cette fois-ci, même Elixir ne rit pas).
Je crois que c’est le pire monologue de toute ma vie. Cette soirée est un cauchemar.
- J’ai une idée pour les tenir éveillés.
- Ah ? interroge mon frère.
- Ils aiment la magie ?
- Hein ?
- Oui, je connais quelques tours…
Je note la perplexité au fond des pupilles présentes mais la politesse prend le dessus.
- OK, il me faut un briquet et un mouchoir, dis-je en tendant la main.
Ma belle-sœur passe de la perplexité à la réticence mais ne s’oppose toujours pas à ma proposition et me tend un briquet, puis extrait un kleenex d’un petit paquet.
- Ne vous en faites pas, j’ai fait ce tour plein de fois, dis-je pour la rassurer.
Je positionne le briquet verticalement sous le mouchoir et appelle les enfants qui s’approchent de moi. Les deux se disputent, l’un voulant être à la place de l’autre (ou inversement). Au moment où je commence mon tour, le plus jeune, mécontent de sa place, pousse brusquement sa sœur qui tombe sur la table et percute la carafe d’eau. Je la rattrape avant qu’elle ne renverse son contenu par pur réflexe mais par un concours de circonstance que je n’arrive pas à m’expliquer, je déclenche par la même occasion le briquet qui enflamme le mouchoir.
Le mouchoir s’envole.
… puis atterrit sur la choucroute de ma belle-sœur.
… qui s’enflamme elle aussi.
Le reste est un peu flou.
***
La soirée s’est finie prématurément, chacun prétextant une crise de fatigue aigüe ou du lait sur le feu, bref fallait que l’on se sépare, mais c’est bien dommage car c’était une chouette soirée.
Ce n’était pas forcément prévu, mais Elixir m’a suggéré que nous restions dormir là. Je n’ai pas réfléchi, j’ai accepté, ma mère était ravie.
Nous sommes désormais dans mon lit d’ado. Serrés. Je pensais vivre le pire noël de ma vie puis son corps m’a réchauffé. Puis échauffé.
Elle prend ma main. La glisse sous son t-shirt. J’ai son sein droit sur ma main gauche et mon sexe raide comme un bout de bois contre ses fesses. J’ai connu pire situation.
Elle fait descendre ma main contre son ventre, puis vers une légère étoffe de coton que je caresse doucement.
Elle m’invite alors à passer dessous et je retrouve avec délectation les poils qui m’avaient fait vibrer quelques jours auparavant. Je titille son clitoris doucement et j’ai l’intime conviction qu’il me répond. Je me détache avec peine de celui-ci et rencontre ses petites lèvres trempées. Son corps entier semble réclamer mes caresses. Comme happé, je glisse un doigt en elle, puis deux.
Elle gémit doucement.
Nous n’allons pas dormir tout de suite.
- Alors c’est quand la prochaine fête ? demande-t-elle alors dans un murmure.
- La prochaine fête ?
- Ben oui… On est partenaires de fête, tu te souviens ?
- Euh…
- Le 1er de l’an chez moi ?
Ayant deux doigts en elle, je n’ose la contredire.
Cela aurait pu être pire, elle aurait pu me donner rendez-vous pour la St Valentin.