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Elise Thiébaut, « Une ménopause heureuse est possible »

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C’est bien pour poser un autre regard sur la ménopause qu’Elise Thiébaut a repris la plume et sorti un nouvelle essai « Ceci est mon temps – Ménopause, andropause et autres aventures climatiques » paru aux éditions Au Diable Vauvert. Loin des discours alarmistes, sexistes et misogynes, Elise Thiébaut nous propose, au travers de sa propre expérience de la ménopause, d’embrasser ce passage, cette métamorphose personnelle, pour en sortir plus libre et plus épanouie. Dans un langage précis, documenté et toujours aussi drôle, l’essayiste nous embarque dans cette révolution intime qui nous invite à « ne plus vivre pour l’espèce, mais pour l’esprit ». Rencontre sans langue de bois !

Crédit photo de couverture – studio pauline rousseau


Elise Thiébaut, vous commencez votre essai par expliquer que la ménopause est… une invention !

En réalité, c’est le mot qui a été inventé par Charles de Gardanne au 19ème siècle. Avant, on parlait plutôt de « climatère » : un terme qui évoquait le vieillissement reproductif qui touche homme et femme, de manière différente. Avec l’invention du terme « ménopause », qui étymologiquement signifie « une pause de menstruations », on saisit comment les femmes, leur âge et ce moment précis de leur vie est perçu dans notre culture.

Au Japon par exemple, le mot n’existe pas, on appelle « konenki » le passage progressif vers la vieillesse, quel que soit le genre auquel on appartient. Il existe cependant un terme, « konenki shengai », qui désigne les troubles survenant chez les femmes qui ont eu une vie supposée dissolue ou égoïste, et que l’on dit punies par la Nature, tandis que les femmes soumises seraient épargnés ou, plus vraisemblablement, silencieuses quant à leurs ressentis.

Mon propos était surtout, dès le début de l’essai, d’expliquer que la ménopause est devenue une construction sociale bien plus qu’un fait biologique, intime, personnel.

élise Thiébaut

Une thèse défendue d’ailleurs par Cécile Charlap.

Votre essai, Elise Thiébaut, est aussi un récit intime et drôle de votre propre expérience de la ménopause. Pourquoi cette nouvelle mise à nu ?

Parce que c’est la façon dont je travaille ! S’agissant des menstruations comme de la ménopause, j’ai toujours souhaité éviter le regard surplombant, ne pas faire comme si cela ne m’était pas arrivé. Dans ce déni se trouve beaucoup de racines du tabou.

Je pense qu’il faut revenir à ses ressentis, à la singularité des vécus plutôt que de se fier aux idées reçues et aux injonctions qui peuvent agir sur nous comme des sortilèges. Il y a une volonté politique de mettre cette intimité au centre de mon récit.

Pour ce qui est du ton de l’humour, le rire va dissoudre la peur et pour une raison que j’ignore, ma vie est toujours très romanesque ! (rires)

Loin de faire la liste de la « ménopause propaganda » vous souhaitez au contraire proposer aux femmes une nouvelle façon de vivre cette métamorphose. Quel est ce chemin ?

Nous vivons dans une société où la femme vieillissante et ménopausée est bonne à jeter !

élise Thiébaut

Je ne voulais donc pas insister lourdement sur tous les discours très misogynes et violents envers les femmes. Les hommes aussi sont concernés par l’andropause, mais d’une façon bien différente. Je voulais surtout donner un chemin, une liberté possible pour s’approprier ce qu’on est en train de vivre.

La ménopause est une expérience universelle, un passage, une métamorphose personnelle, au même titre que la puberté et la matrescence. Mais comme cela n’arrive qu’aux femmes, c’est l’expérience interdite !

élise Thiébaut

Vous expliquez que votre expérience personnelle de la ménopause vous a ouvert par exemple à une sexualité bien plus épanouissante qu’auparavant. Comment l’expliquez-vous ?

Lorsqu’on atteint l’âge de la ménopause, il y a bien une baisse passagère de libido, c’est physiologique. Tous les récepteur cérébraux, sous l’effet de modifications hormonales, se recomposent.

Parallèlement à cela, on sort progressivement du champ visuel patriarcal : on perd en attractivité. Et quand on a été habituée, comme beaucoup de femmes de ma génération, à indexer notre désir au regard de l’autre et au désir de l’autre, il peut y avoir un passage à vide. On ne sait pas bien où on en est avec nos désirs. Cela vaut pour les femmes et les hommes, en couple ou non. D’après mon expérience, je pense qu’il est plus facile de vivre ce passage quand on est célibataire car on a envie d’avoir la paix !

Pendant cette période de perte de désir, je me rappelle m’être dit que je n’aurai peut-être plus jamais de sexualité. Et cette idée me convenait parfaitement ! J’ai renoué avec la sexualité quelques années après le tournant final de la ménopause et cela a repris dans des termes totalement différents.

Quand j’évoque la ménopause, je ne veux pas parler de « perte » de quelque chose mais de recomposition ».

En quoi votre sexualité est plus épanouie aujourd’hui, grâce à la métamorphose de la ménopause ?

Dans les cultures taoïstes, on considère la sexualité comme un énergie vitale. Dans la culture chinoise, à partir du moment où cette énergie n’est plus orientée vers la reproduction, on peut l’orienter vers la longévité, la transmission et la recherche spirituelle. Cela n’exclut pas la sexualité, mais cela lui donne une autre forme, une autre intention.

En ce qui me concerne, la sexualité est meilleure que jamais depuis la ménopause. Par exemple, j’ai acquis une sensibilité fine au toucher que je n’avais pas précédemment. Une fois la phase de la transformation passée, c’était la grande surprise à laquelle je ne m’attendais pas.

En quoi être ménopausée a été finalement pour vous une libération ?

A la ménopause, de manière symbolique et psychique, une partie de nous est libérée du fardeau reproductif, qu’on ait eu des enfants ou non, qu’on soit hétéro ou non.

élise Thiébaut

Et c’est là qu’il est intéressant d’embrasser ce moment : c’est assez exaltant de sentir son corps autrement, de se relâcher enfin. Personnellement, c’est à ce moment-là que je me suis rendue compte à quel point je devais faire des efforts pour faire ce qu’on attendait de moi. Et avec le recul, si je devais faire autant d’effort, c’est peut-être parce que ce n’était pas exactement ce que je voulais. Cela a abouti à des choses dramatiques comme des séparations, mais aussi à des choses extraordinaires.

Je me suis tout le temps dit en écrivant cet essai que si j’avais su tout cela à 30 ou 40 ans, j’aurais vécu ma vie et ma sexualité différemment.

Quand je vois des femmes qui font tellement d’efforts à la ménopause en se privant de manger pour ne pas grossir, qui se font des injections de botox pour ne pas vieillir… Je ne les juge pas, mais ce sont des efforts (vains !) d’autosurveillance permanente et de privation…

élise Thiébaut

Les femmes sont habituées à se penser en objet. On parle bien de la femme comme « objet de désir ». Grâce à cette transformation qu’apporte la ménopause, on échoue à rester objet de désir : cela peut être le moment d’enfin devenir et se penser comme sujet.

Le refus de la vieillesse, c’est un refus de la vulnérabilité, du sensible, du non-pouvoir, du non-agir. […] Une culture de mort qui refuse l’idée d’un possible recommencement dans les cycles secrets de la vie.

Elise thiébaut, extrait de « Ceci est mon temps »

Vous sentez-vous plus heureuse aujourd’hui ?

Oui. L’expérience qu’on acquiert de la vie sert à quelque chose.

J’ai 62 ans aujourd’hui, je me sens bien mieux qu’à 50 ans, et à 50 ans je me sentais bien mieux qu’à 40… Grâce à la ménopause, j’ai gagné en joie, en liberté, en santé, en créativité.

élise Thiébaut

Dans votre essai Elise Thiébaut, vous évoquez la piste d’un service humanitaire (en référence au service militaire) pour nous apprendre à aimer. On ne sait pas aimer selon vous ?

On ne sait pas aimer, on ne sait pas faire l’amour… C’est terrible le niveau de méconnaissance.

Nos représentations de l’amour sont très calquées sur l’approche consumériste de nos sociétés. On consomme l’amour avec des algorithmes, au détriment de notre sensibilité.

élise thiébaut

Je ne demande pas qu’on en sorte, j’utilise moi-même les applis de site de rencontre, mais j’aime l’idée de considérer sérieusement la recherche de la sagesse, de la connaissance interne et de celle du monde, en sortant des sentiers faciles consommateurs qui produisent beaucoup de frustrations. Si on se dit que ce qui compte le plus, c’est le lien et l’amour, alors tout change !

Vous évoquez le passé de courtisanes de vos ainées qui explique probablement votre peur bleue pendant longtemps des maladies sexuellement transmissibles, de la mise au banc de la société. Ce livre libérateur, l’avez-vous également écrit pour elles ?

Mes deux arrières grands mères ont eu des enfants non reconnus par les pères. Elles ont été séduites et abandonnées, puis mise au banc de la société. Cette crainte de la chute morale s’est transmise dans ma famille.

Pour mes arrière-grands-mères courtisanes, la vieillesse et la ménopause, c’était l’horreur, la déchéance, la fin, la mort, l’opprobre. Affirmer dans mon essai qu’une ménopause heureuse est possible est une manière de leur rendre justice.

élise thiébaut

Ecrire cet essai a été très libérateur pour moi : les maladies sexuellement transmissibles m’ont toujours terrorisée, j’avais une angoisse liée à la sexualité qui était très présente chez moi. Je devais me faire violence pour y arriver, probablement un héritage transgénérationnel.

Plein de jeunes femmes aujourd’hui remettent en cause la sexualité : on assiste à une réappropriation de la sexualité et le moment de la ménopause est un moment propice pour y arriver.

Murakami le disait très bien : « On n’est pas les même après une tempête, c’est justement pour cela qu’il y a des tempêtes ».

Elise Thiébaut, la conclusion de votre essai est purement écoféministe.

Ce que le climatère nous inflige parfois, dans un monde moderne déconnectés des cycles naturels, où l’on nous demande à tout bout de champ de jurer à notre ordinateur que nous ne sommes pas des robots, nous l’infligeons désormais à la Terre. Ses bouffées de chaleur et les nôtres semblent nous condamner à la catastrophe finale. Je crois au contraire que l’acceptation profonde de qui nous sommes nous permettra de donner ensemble naissance à d’autres formes de société, d’autres façons de vivre ensemble, reliées aux savoirs anciens et futurs.

Elise thiébaut, extrait de « Ceci est mon temps »

C’était important pour vous de clôturer ainsi votre livre ?

La pensée écoféministe a été une révélation pour moi car c’est une pensée qui lie intimement deux questions politiques qu’on a tendance à séparer : la préservation de la Terre et les droits des femmes.

On entend beaucoup « on s’occupera du droit des femmes quand on aura fait la révolution », car la condition des femmes est toujours considérée comme une question subalterne, accessoire. Or, l’écoféminisme dit que la domination masculine est la matrice de toutes les autres inégalités. Et il n’y a aujourd’hui que cette pensée pour remettre au centre le vivant.

Je suis sensible à la dimension presque spirituelle présente dans l’écoféminisme même si je n’appartient à aucune traditions ésotériques. Je trouve fondamentale l’idée que nous ne sommes pas des machines provisoires, mais des organismes reliés les uns aux autres. C’est un cheminement spirituel et politique qui me correspond et qui est, à mon avis, le seul à répondre aux enjeux du présent.

Pouvez-vous nous révéler les sujets de vos prochains essais ?

Je travaille sur un livre qui traite des femmes et l’écriture. Je sors une adaptation BD de mon essai sur la ménopause : elle va s’appeler « Chaudes ! » et je travaille de nouveau avec l’illustratrice Elléa Bird. Et j’ai également deux essais en préparation, l’un sur la mort et l’autre sur l’énergie sexuelle…

Ceci est mon temps : Ménopause, andropause et autres aventures climatiques, par Elise thiébaut, éditions au diable vauvert (20€)
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