Elles viennent de remporter le Prix du Public pour leurs séries photographiques au Festival de Hyères : Elsa et Johanna se sont rencontrées pendant leurs études à New York et leur affinité artistique a fait son œuvre. Depuis, elles aiment se mettre en scène dans des autoportraits fictifs où elles incarnent des personnages de leurs inventions, soignant le décor et les tenues pour une illusion parfaite. Tantôt jeune femme au foyer usée par le quotidien, tantôt adolescente un peu dark, les clichés sont sensibles, évocateurs d’une mémoire collective. Rencontre.
Comment sont nées vos passions respectives pour la photographie ?
Johanna – J’ai eu de la chance de tomber là-dedans par hasard. J’ai commencé la photographie à 13 ans, un peu par ennui pendant l’été. Au début c’était vraiment quelque chose de social, une passion qu’on partageait avec mes deux meilleures amies d’enfance, de nos 13 à 18 ans. C’était exaltant de se retrouver pour imaginer des photos qui mêlaient littérature, musique… Je pense que cela a été l’une des périodes les plus créatives de ma vie. Mes copines sont ensuite parties dans d’autres voies et je suis la seule à avoir décidé de faire les Beaux-Arts de Paris. Là-bas, j’ai surtout fait de la nature morte ! C’était rafraîchissant et drôle de retrouver Elsa sur des projets de portraits.
J’ai grandi entourée de livres et de choses liées aux monde de l’art, avec deux parents architectes qui dessinaient beaucoup. Ils m’ont d’ailleurs inscrit dès 6 ans à l’école des Beaux-Arts. – Elsa
Elsa – Moi, c’est un peu comme Jo. J’ai découvert la photo assez jeune. J’ai grandi entourée de livres et de choses liées aux monde de l’art, avec deux parents architectes qui dessinaient beaucoup. Ils m’ont d’ailleurs inscrit dès 6 ans à l’école des Beaux-Arts. Un jour mon père m’a offert un appareil photo et un camescope pour mon anniversaire, j’ai commencé à faire des photos et des autoportraits. En parallèle de ça, j’avais un blog que je tenais avec une copine : on faisait des photos de scènes romantiques, un peu dark, très ado. J’ai fait une année de Beaux-Arts où j’ai beaucoup peint, puis j’ai décidé de faire que de la photos et de la vidéo.
Votre rencontre remonte à un échange que vous avez fait à New-York. Racontez-nous le début de votre amitié ?
Elsa – On s’est retrouvées dans le même amphithéâtre. J’ai tout de suite repéré que Johanna était française ! Je me suis rapprochée d’elle.
Johanna – Moi j’ai cru qu’elle venait des pays nordiques avec la blondeur de ses cheveux et sa grande taille ! (rires) On devait être 6 étudiants étranger en échange dont 3 Français. Une solidarité naturelle s’est créée entre nous. On était assez impressionnées de nous retrouver dans cette école américaine, on se cherchait des amis pour décompresser ! (rires) Le soir de la rentrée, on est allées ensemble dans un club où passait un DJ dont on nous avait parlé. C’est parti comme ça !
Qu’avez-vous pensé du travail de l’une et de l’autre ?
Elsa – J’ai été assez stupéfaite, je ne m’attendais pas à voir ça ! J’ai trouvé son travail très assumé, osé même !
Johanna – Oui, c’était des photos de cadavres de porc ! (rires) Moi, j’ai découvert ton travail sur Internet parce que j’avais regardé la liste des étudiants en échange, et j’avais été épatée parce qu’on était jeune et que ton travail était super affirmé aussi. Je me souviens de photos de transsexuels dans des clubs, c’est quelque chose que je n’aurais jamais fait non plus, j’étais admirative !
Cela ne nous intéressait pas de bosser seules, alors progressivement, on a commencé à présenter aux profs des séries communes : ça a été le déclic n°1. – Johanna
Comment avez-vous commencé à travailler ensemble ?
Johanna – Au début, on a surtout commencé à se donner des conseils mutuellement. On n’a eu aucune pudeur à ce niveau-là et surtout, il y avait beaucoup de bienveillance entre nous. On avait aussi pas mal de cours en communs avec des devoirs à rendre, ce qui était assez nouveau pour moi ! (rires) Cela ne nous intéressait pas de bosser seules, alors progressivement, on a commencé à présenter aux profs des séries communes : ça a été le déclic n°1. Puis on a fait un road trip ensemble en Californie avec une amie : on voyait les mêmes choses aux mêmes moments aux mêmes endroits et on était attirées par la même esthétique ! On s’est lancées dans des projets à deux comme ça.
C’est durant votre fameux road trip en Californie que vous avez réalisé vos premiers portraits. Racontez-nous les coulisses de votre toute première photo à deux ?
Johanna – On est toutes les deux fans de vintage. A l’époque, on n’avait pas d’argent et on était hébergé chez des gens qu’on ne connaissait pas. Notre hôte vivait avec sa cousine Brita avec qui elle ne s’entendait pas du tout, c’était une ambiance nulle ! (rires) Je te fais le tableau : Brita avait recueilli une portée de chatons pas très en forme, il y avait des croquettes partout, une odeur horrible… Elle collectionnait les robes vintages et elle nous a ouvert son placard en nous disant : “Prenez ce que vous voulez” ! On a fait nos premières photos avec ces robes-là dans leur jardin.
Comment est née la série Couple of Them ?
Elsa – Le fait de rentrer en France et d’avoir le blues d’avoir quitté New York a été très fort émotionnellement. On a tout de suite voulu y retourner ensemble avec un projet photographique : Couple of Them.
Johanna – On a commencé à se mettre en scène chez Elsa au Pays Basque. On a incarné des personnages qui nous rappelaient des jeunes de notre adolescence et on a eu envie de le faire à New York. Pendant un mois, on est resté dans le même quartier en jouant un duo de personnages, on sortait tous les jours pour faire des photos, on n’était jamais nous-mêmes car tout était un prétexte pour faire des photos. On a tout de suite eu envie de regards qui scrutent le spectateur, de mises en scène, de performances.
Jusqu’où poussez-vous l’histoire de vos personnages ?
Elsa – En général, on imagine tout un film sur le personnage dans un temps précis. Par exemple, si on femme a 40 ans, on se demande ce qu’il se passe dans sa vie à ce moment-là, est-elle heureuse ou malheureuse… On a besoin de croire à son histoire.
Johanna – Il n’y a pas de règles, ni de scénario écrit. Nos interprétations surviennent énormément par rapport à un lieu et à nos interactions, je pense que c’est de là que vient la performance. On se laisse surprendre.
Nos personnages sont brut de décoffrage. – Johanna
Vos personnages portent des vêtements de fripe. Vous n’achetez jamais de vêtements neufs ?
Johanna – Le vêtement usagé a une histoire, on ne sait pas trop de quand il date, il n’est ni beau ni laid, il n’est pas à la mode… On souhaite que nos personnages soient intemporels, donc pas à la mode. Le vêtement neuf casserait ça. Nos personnages sont brut de décoffrage.
Avec quel projet vous êtes-vous présentées au Festival de Hyères ?
Johanna – On a présenté 5 photos de Couple of Them, et 15 photos de Beyond the Shadow, série la plus récente qu’on a réalisé en octobre dernier.
Quel était le projet derrière Beyond the Shadow ?
Elsa – On avait toutes les deux envie de prolonger ce qu’on avait fait avec Couple of Them, en continuant un travail d’autofiction avec nos propres mises en scène dans des multitudes de personnages, mais en se rapprochant de l’intime. Dans Couple of Them, tout se passe dans la rue, dans des lieux publics, dans une supérette, sur des terrasses. Pour cette nouvelle série, on est allées chez des gens, dans des manoirs, des airbnb… On voulait aussi éclater le format en proposant des photos en paysage pour se rapprocher d’une vision cinématographique et en réintégrant la nature morte, très narrative.
Johanna – On a cette obsession de la mémoire collective : on veut créer des images à partir de nos souvenirs et les réinterpréter pour qu’elles fassent échos dans la tête des spectateurs, comme s’ils les avaient déjà vues.
Êtes-vous tentées par des projets en solo ?
Elsa – On ne se l’interdit pas, ça viendra peut-être, mais on a fait le choix de se concentrer sur notre duo et on a très peu de temps pour des projets personnels !
Johanna – On touche un peu à tout, on met un peu de nous dans nos projets, donc ce n’est pas frustrant.
Où peut-on voir votre travail exposé ?
Elsa – A la villa Noailles pendant un mois ! Et nous exposons également en ce moment 36 photos de Couple of Them dans le très beau musée Mac Val à Vitry, dans le cadre de l’exposition « Lignes de vies – une exposition de légendes » jusqu’au 25 août !
Johanna – Et puis on expose au Musée Carlshütte du 11 juin au 13 octobre à Büdelsdorf en Allemagne : l’expo “Some of us” présente 20 artistes femmes des 20 dernières années dont nous faisons partie !