« Il pleut dans la maison », c’est le nom poétique et intrigant du premier long-métrage de fiction de Paloma Sermon-Daï présenté à Cannes à la Semaine de la Critique. Coup de cœur du Prescripteur, je suis allée à la rencontre de cette jeune réalisatrice qui présente, avec authenticité, justesse et beauté, l’histoire inspirée des couleurs de sa propre adolescence d’un frère et d’une sœur livrés à eux-mêmes le temps d’un été…
Paloma Sermon-Daï est une jeune réalisatrice belge née à Namur en 1993. Diplomée en image à la Haute Ecole libre de Bruxelles, son court-métrage de fin d’études Makenzy est sélectionné à Visions du Réel en 2017. En 2020, elle réalise un premier long-métrage documentaire sur sa propre famille, Petit Samedi, qui remporte de nombreux prix dont le Magritte du Meilleur Documentaire. Avec « Il pleut dans la maison » sélectionné à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, Paloma signe avec brio sa première fiction inspirée en partie de sa propre vie, mais aussi de celles des acteurs (Purdey et Makenzie Lombet, demi-frère et sœur dans la vraie vie, Purdey étant la nièce de Paloma). Le fil rouge de ses projets cinématographiques ? Son attachement aux histoires familiales, aux relations humaines et à son village natal.
Paloma nous livre ici les coulisses de réalisation de son premier long-métrage de fiction : son année de préparation avec Purdey et Makenzie (qui n’étaient pas comédiens !), sa liberté d’écriture, la pression de réussir le passage du docu’ à la fiction et son bonheur d’être sélectionnée cette année au Festival de Cannes.
Habituée au format documentaire, « Il pleut dans la maison » est ton premier long-métrage de fiction. Qu’est-ce qui t’a poussée à explorer ce genre-là ?
J’ai adoré faire des documentaires, mes films tournaient tous autour de l’histoire de ma famille, mais j’avais beaucoup de pression en terme d’éthique… En passant à la fiction, j’ai gardé cet univers tout en m’exprimant beaucoup plus. Je me suis sentie plus libre de pouvoir aborder un sujet familial difficile sans jugement.
Si j’avais choisi le format documentaire, je sais que je me serai bridée, notamment sur le personnage de la mère. Avec les codes de fiction, et grâce à une actrice pro, j’ai pu aller plus loin dans la dureté de ce personnage-là.
Paloma Sermon-Daï, réalisatrice de « Il pleut dans la maison »
C’est ta première fiction et elle est sélectionnée à la Semaine de la Critique à Cannes. Comment vis-tu cette mise en lumière de ton travail ?
C’est magnifique. J’essayais de ne pas trop penser au Festival de Cannes avant d’apprendre la sélection du film, je ne voulais pas me mettre la pression.
J’ai pris cette sélection à Cannes comme une surprise et un cadeau : c’est la plus belle exposition pour le film et ma carrière.
Paloma Sermon-Daï, réalisatrice de « Il pleut dans la maison »
Le duo d’acteurs sont de ta famille (Purdey est ta nièce), et sont demi-frère et sœur dans la vie. Ils ont aussi gardé leur vraie identité pour le film. Etait-ce pour flouter les contours entre fiction et documentaire ?
Il faut savoir qu’à la base, je n’avais pas pensé à travailler avec eux pour ce projet. Je voulais effectivement travailler la relation frères-sœur, l’absence des parents… J’avais fait un documentaire avec Makenzie, Purdey y avait une belle apparition…
C’est finalement mon producteur qui m’a proposé de travailler avec Purdey et Makenzie, qui n’étaient pourtant pas comédiens ! Mon producteur aime ces méthodes de travail en dehors du star système. Il savait que cela allait apporter plus d’originalité et de fraîcheur au film.
Paloma Sermon-Daï , réalisatrice de « Il pleut dans la maison »
On a travaillé un an en préparation, ce qui n’aurait pas pu être possible je pense si j’avais travaillé avec des acteurs professionnels. On se voyait toutes les deux-trois semaines, au bord du lac, pour faire des répétitions et rentrer dans le film petit à petit. Le film s’est écrit comme ça.
Tu as écrit le film en fonction de Purdey et Makenzie ?
En quelque sorte ! En fait, le film a bénéficié d’une aide aux productions légères de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour obtenir ces aides, il suffisait de fournir 5 pages détaillant le projet : je n’ai pas complètement développé le scénario. Plein de dialogues étaient résumés en quelques lignes. J’ai travaillé pendant un an avec Purdey et Makenzie avec des improvisations pour réécrire ensuite les scènes et leur proposer un texte qui collait au plus près de ce que je souhaitais et ce qu’ils pouvaient me donner. J’ai encouragé ce qu’ils savaient faire – même s’ils ont bien sûr du potentiel pour réaliser d’autres choses ! – plutôt que de les faire rentrer dans les ambitions d’un scénario peu réaliste par rapport à leur personnalité. Travailler avec eux était très fluide, car on vient du même village, on a les mêmes codes.
Je pense que tout le monde m’attendait au tournant. Avec un scénario minimaliste, j’avais cette pression d’arriver à un vrai film de fiction qui se détache du documentaire auquel j’étais habituée.
Paloma Sermon-Daï , réalisatrice de « Il pleut dans la maison »
« Il pleut dans la maison » est inspirée de ta propre vie, même si la trame est fictionnelle : ce film a été une forme de caméra braquée sur ta propre histoire ?
C’est délicat de dire que c’est ma propre vie : ce sont plus des sensations, des réalités sociales, des habitudes de langage, des souvenirs d’une vie passée au bord de l’eau dans une région très précarisée, avec un manque d’accès à la culture, un plafond de verre… C’est très organique.
Paloma Sermon-Daï , réalisatrice de « Il pleut dans la maison »
L’histoire raconte celle de deux jeunes sans père et délaissés par leur mère alcoolique et fêtarde. On suit comment chacun va vivre ce délaissement : Purdey en prenant les choses en main et Makenzie en sombrant dans une certaine violence… Comment as-tu travaillé le chemin que chacun emprunte ?
Je voulais épouser une certaine réalité. Dans une fratrie comme celle-ci, c’est souvent la fille aînée qui remplace la mère, j’avais envie de créer une forme de détermination chez ce personnage de 17 ans. Purdey, dans le film, prend en charge cet espoir de fuite, elle est d’une plus grande maturité que son frère. En tant qu’actrice, elle a d’avantage intellectualisé son personnage. Makenzie, lui, a une violence intérieure, enfouie. Dans son jeu d’acteur, il a été dans des choses plus physiques et renfermées.
Dans ton film se déroule une scène assez dure où Makenzie fait la connaissance d’un jeune garçon privilégié : s’en suit une des scènes les plus violentes du film… Qu’est-ce qu’il était important de montrer pour toi ?
Je pense que j’avais besoin que le personnage de Makenzie éclate. Mais j’aime casser l’effet fréquent de cause et conséquence en fiction : cette démonstration de violence n’aura pas de conséquence particulière.
Mon scénario étant simple, je ne voulais pas qu’il devienne évident : c’était important pour moi que le spectateur ne puisse pas savoir ce qui allait se passer la minute d’après.
Paloma Sermon-Daï , réalisatrice de « Il pleut dans la maison »
J’ai eu le sentiment que Makenzie découvrait aussi une attirance pour son meilleur ami… Tu confirmes ?
Ce n’est pas quelque chose que j’ai travaillé, mais tu n’es pas la seule à me l’avoir fait remarquer ! Je pense que Makenzie est quelqu’un d’asexué dans le film : il est tellement dans ses problèmes, qu’il ne s’autorise pas à parler de fille avec son copain. Il n’en est pas encore à cet instant de sa vie. La scène où l’on voit un couple gay au lac a été filmée par hasard : il se trouve que ce couple était au lac au même moment que nous !
« Il pleut dans la maison » est un titre à prendre au premier et second degré. Qu’as-tu voulu exprimer ?
J’aimais ce côté double sens, le fait que ce soit à la fois une image et la réalité de ce qu’il se passe dans le film avec cette maison précaire aux fenêtres cassées qui laissent rentrer la pluie, rendant la vie à l’intérieure difficile. Cette phrase n’est pas prononcée dans le film, mais elle aurait pu l’être !
Les images du film sont superbes : elles sont très lumineuses pour un drame !
Ce qui me fascine, c’est qu’on travaille souvent des décors sombres pour les drames, alors que la chaleur étouffante d’un été ensoleillé peut rendre l’atmosphère tout aussi pesante !
Paloma Sermon-Daï , réalisatrice de « Il pleut dans la maison »
J’ai travaillé l’image avec Frédéric Noirhomme pour l’image. Je voulais être dans les souvenirs de mon adolescence avec une lumière très solaire et en même temps donner cette image d’une maison qui transpire avec les personnages, qui étouffe, qui suffoque.
La fin de ton film est délibérément ouverte : c’était important pour toi de ne pas trancher ?
Tout à fait, je voulais rester ouverte, prendre un morceau de vie, sans donner de conclusion. Même s’il y a une note d’espoir avec Makenzie qui semble, enfin, se détacher de sa mère…