Écriture incisive. Précise. Violente. Joffrine Donnadieu avait marqué ses lecteurs avec son premier roman Une Histoire de France, paru aux éditions Gallimard, l’histoire de Romy, 9 ans, victime de pédophilie féminine. Avec Chienne et Louve, lauréat du Prix de Flore 2022, elle revient avec un deuxième roman plus lumineux où Romy reprend le contrôle de sa vie. Elle m’a raconté, dans le brouhaha d’un café parisien, comment elle a conquis le cœur du boulevard Saint-Germain…
Joffrine, c’est un prénom très rare !
Oui ! J’ai été appelée ainsi en référence au Maréchal Joffre ! Mon arrière-grand-mère est née lorsque la maison familiale d’Epernay était occupée par les Allemands, et mon arrière-arrière-grand-père voulait les embêter… Il souhaitait un fils, et l’appeler haut et fort Joffre ! Il a eu une fille, alors il l’a appelée Joffrine.
Mon prénom a clairement une influence sur qui je suis : je porte le nom d’un maréchal, d’un militaire, je suis née dans l’Est de la France qui est un territoire très marqué par la guerre et je sens aujourd’hui que ce thème revient régulièrement dans mes textes.
Joffrine Donnadieu
Donnadieu en revanche, est un nom emprunté à Marguerite Duras…
Oui, j’ai changé mon nom pour signer mes romans, car à l’époque je travaillais beaucoup en milieu hospitalier et psychiatrique et,je voulais bien faire la différence entre mon travail d’animatrice en atelier d’expression, et mes activités de romancière. Et puis j’avais 28 ans, plein de copines se mariaient, ça m’amusait de changer de noms sans passer la bague au doigt ! (rires) Je me suis rebaptisée, une renaissance.
J’ai choisi Donnadieu qui est le nom de famille paternel de Marguerite Duras : une femme libre, réalisatrice, dramaturge, romancière, qui a côtoyé la folie, a joué avec…
Tu as reçu le Prix de Flore pour Chienne et Louve, ton deuxième roman. Tu as été surprise ?
Complètement, c’était vertigineux, nous étions 480 à sortir un roman entre mi-août et début septembre. A la rentrée, je n’étais dans aucune liste des prix littéraires… Alors, je me suis dit que j’allais défendre mon livre comme je le pouvais et surtout, écrire le troisième de suite, enchaîner, passer à autre chose ! La première sélection pour le Prix de Flore s’est faite mi-septembre, puis la deuxième, puis la troisième… Je continuais à me protéger et à ne pas y penser : j’avais même prévu de rapatrier des affaires chez mes parents en Lorraine, le lendemain de l’annonce des résultats. Quand le prix a été décerné, j’étais abasourdie !
Le prix de Flore est particulièrement important pour moi, car avant d’être un prix littéraire, c’est un prix parisien !
Cela fait 17 ans que je suis à Paris, je viens de Toul, et j’ai eu l’impression, avec cette reconnaissance, d’être acceptée par les Parisiens. J’ai mon verre gravé au Flore, avec mon petit verre de Pouilly tous les jours pendant un an ! (rires)
Chienne et Louve est une suite sans être une suite de ton premier roman Une Histoire de France, et on y retrouve Romy, la petite fille abusée par France qui débarque à 20 ans à Paris… Elle te hantait ?
Elle me hantait oui, je n’arrivais pas à la quitter ou elle n’arrivait pas à me quitter, je ne sais pas… Quand j’ai terminé Une Histoire de France, et que je me suis lancée dans l’écriture de mon second roman, j’ai commencé à travailler d’autres personnages et les traits psychologiques de Romy revenaient sans cesse. J’ai décidé d’arrêter de me mentir et de lui laisser toute la place dans Chienne et Louve.
Il y a un contraste frappant entre la violence de ton premier roman, et la lumière de Chienne et Louve…
Quand tu abordes un sujet comme la pédophilie féminine, tu ne peux pas être dans la douceur. C’est violent. Je ne pouvais pas utiliser des métaphores dans Une Histoire de France, car il est important de révéler cette réalité.
Dans le cadre de mon travail, j’entendais des témoignages d’enfants abusés par des femmes, moi-même par ma propre expérience également, je ne pouvais faire l’économie d’un vocabulaire cru. Dans mon premier roman, Romy est dans la survie, dans le deuxième, dans la vie ! C’est aussi pour cela que je suis passée à un récit à la première personne. J’avais envie de montrer d’autres couleurs, d’autres émotions. J’aime jongler avec les différentes caméras braquées sur le personnage. Je vois tout comme dans un film. Je voulais à tout prix ne pas faire de Romy une victime, mais bel et bien une héroïne : elle ne se plaint pas, elle avance et elle y va.
Comment t’es-tu préparée à l’écriture de Chienne et Louve qui nous plonge notamment dans l’univers des clubs de strip tease de Pigalle ?
Je fais beaucoup d’enquêtes avant l’écriture. J’utilise les outils du dramaturge et du comédien. Pendant un an, j’ai enfilé le costume d’Odette et de Romy pour me fondre dans mes personnages. Mais à l’issue de tout cela, au lieu de monter sur scène, je me mets derrière mon ordinateur pour écrire ! (rires)
Le matin, j’allais dans les maisons de retraite interroger des gériatres pour comprendre le vieillissement, j’ai testé je ne sais pas combien de déambulateurs, j’ai enfilé des pyjamas de personnes âgées, et des couches aussi pour comprendre leur manière de se déplacer…
L’après-midi, j’avais des cours de danse avec les filles du Crazy Horse. Et le soir, j’allais dans les clubs de strip tease de Pigalle, pour sentir l’atmosphère, observer les gens, interroger les vigiles…
Dans quelles conditions écris-tu ?
Le matin, je vais courir : non pas pour m’entretenir (rires), mais pour me vider de toutes les pensées du quotidien qui peuvent m’envahir, car cela n’appartient pas à l’histoire ! Le roman est le territoire de l’imaginaire, il n’y a pas de place pour le jugement et le règlement de compte. J’enfile une tenue très confortable, j’écoute de la musique, je danse un peu pour que l’écriture vienne des tripes et que je n’intellectualise pas… Et, le plus important, je garde mes rideaux fermés. Tout le temps ! J’ai besoin de me couper du monde, du jugement, du regard des autres.
Créer dans un contexte nocturne me donne plus de liberté.
Le personnage de Romy est très extrême, instable, toujours sur le fil du rasoir. Anticipes-tu chacune de ses actions ?
Non, si je savais tout ce qui allait se passer dans mon roman, je n’écrirais pas.
Lorsque je commence à écrire, j’ai les décors, les personnages, une situation et les grandes lignes… Et puis, au bout de quelques chapitres, je n’ai plus de trame, je ne maîtrise plus rien. Les personnages me prennent par la main.
Ça me fait partir dans des scènes violentes que je n’aurais jamais imaginé. Une scène a été particulièrement douloureuse à écrire pour moi dans Chienne et Louve : Romy est humiliée sur scène et elle va retourner cette violence contre elle-même. Pour se punir, elle se cogne à un angle du bac de douche afin de taire la petite voix qui l’humilie. Je sais que c’est le personnage qui m’a emmenée vers cela.
Quels sont tes points communs avec Romy ?
On a deux points communs : elle vient de province et elle a fait les Cours Florent. C’est une provinciale qui part à la conquête de Paris ! J’avais envie, dans Chienne et Louve de parler du théâtre vécu de l’intérieur : comment on choisit un personnage, comment on l’interprète, comment on vit avec… Pour moi aucun livre n’avait encore exploré cette expérience du théâtre de façon romanesque.
Avant d’être publiée chez Gallimard, tu avais déjà soumis plusieurs manuscrits à des maisons d’édition…
Oui, il faut savoir que j’avais déjà écrit 4 ou 5 manuscrits ! J’ai commencé à écrire vers mes 17 ans, j’ai envoyé mes premiers manuscrits très jeune, heureusement que j’étais insouciante ! (rires) A mes 26 ans, j’ai commencé à recevoir des lettres de refus plus personnalisées ! C’était un pas énorme. Et puis un jour, je suis tombée sur un article portant sur les ateliers d’écriture chez Gallimard : je me suis dit que c’était cela que je devais faire. Le souci : 2 ans d’attente et 1500€ à débourser, ce que je n’avais pas. J’ai alors cherché quel était l’auteur qui avait publié dans plusieurs maisons d’édition afin de lui demander conseil. Le nom de Patrick Besson est ressorti. Je suis allée au siège du Point où il tenait une chronique pour déposer une lettre et mon manuscrit. Par chance, quelques jours plus tard, il m’a contactée, m’a dit qu’il ne lirait pas mon manuscrit, mais m’a proposé un café. On s’est rencontré et il m’a conseillé de faire l’atelier d’écriture chez Gallimard, retour à la case départ… J’ai donc adressé une très longue lettre de motivation aux ateliers pour expliquer mon urgence d’écrire. Deux jours plus tard, on m’a rappelée, il y avait un désistement de dernière minute, je pouvais participer au prochain atelier… dans 3 jours. J’ai fait un emprunt à la banque, j’ai refusé un job afin d’y assister, un saut dans le vide. Au premier atelier, Jean-Marie Laclavetine nous a donné le mot « Serrure » pour qu’on écrive quelques lignes.
Et là, sans que je me l’explique, le premier chapitre d’Une Histoire de France a jailli d’un coup. Je pense que ce thème de la pédophilie féminine était en moi depuis des années…
Joffrine Donnadieu
L’atelier d’écriture a été un déclic pour toi ?
Oui, il a déclenché quelque chose, j’en avais besoin pour me redonner confiance. Jean-Marie m’a dit que j’avais mon style, mon sujet, je devais foncer. Il m’a donné en quelle sorte l’autorisation d’y aller. J’avais toujours eu un frein car je n’ai pas passé mon bac, je n’ai pas fait d’étude, et je croyais que c’était à cause de cela dans le fond que mes manuscrits étaient refusés. L’avantage de cet atelier, c’est que tu peux directement soumettre ton manuscrit et avoir une réponse dans un délai assez bref. La suite, tu la connais !
Tu travailles déjà sur ton troisième roman ?
Oui, je commence à stresser ! (rires) Des thèmes reviennent comme celui sur la difficulté de trouver un logement, sur les guerres de toutes sortes, l’amour impossible, la solitude… J’ai aimé lire les nouvelles de Marcel Aymé et de Edgar Allan Poe, j’ai envie d’aller vers un peu de fantaisie ancrée dans le réel… Romy m’a bien quittée pour ce troisième roman, ce seront de nouveaux personnages !
Série photo – Lucie Sassiat pour Le Prescripteur | Bijoux – Morgan Lou & Mayrena