« J’avais envie de parler à d’autres mariées qu’à la fille de 25 ans sans enfants pour qui c’est le premier ». Depuis la création de sa marque en 2011, de plus en plus de mariages bruissent du nom de Laure de Sagazan : la créatrice a su imposer un style à l’élégance lumineuse et impertinente. Une question demeurait pourtant : est-ce que son succès en France comme à l’étranger ne serait pas en partie dû au fait que ses créations lui ressemblent trait pour trait ? Une rencontre et quelques questions plus tard, on a envie de répondre comme ses mariées, un grand « Oui ! »… Portrait.
La vidéo présentant ta collection deux mille dix-huit (vive les chiffres en toutes lettres !) est espiègle et décalée tout en restant dans la lignée vintage et bohème de tes collections précédentes. Quelles sont tes inspirations et tes tendances mariée pour cette saison ?
C’est vrai qu’on a voulu donner une tonalité espiègle à cette vidéo. Nous travaillons avec la même mannequin depuis le lancement de la marque, ce qui permet de jouer avec son environnement en le réinventant chaque saison. Cette fois-ci, nous avons tourné dans une villa des années 30, et le rendu était inspiré par les films de Godard.
La poitrine à l’air, ça ne me correspond pas vraiment… La suggérer plutôt, tandis qu’on dévoile le dos, permet une d’être à la fois sexy et vintage sans verser dans la provoc’.
Dans toutes tes collections on note un gros travail sur le dos des robes. Est-ce que pour toi c’est une signature ou un simple jeu de « pile ou face », puisqu’après tout on voit beaucoup la mariée de dos ?
J’aurais pu effectivement me baser sur un constat pratique, mais cette volonté de travail sur le dos des robes découle plutôt de ma vision de l’élégance. On peut se permettre un jeu de transparences et de matières sur le dos que je n’aurais pas envie de voir à l’avant. La poitrine à l’air, ça ne me correspond pas vraiment… La suggérer plutôt, tandis qu’on dévoile le dos, permet une d’être à la fois sexy et vintage sans verser dans la provoc’. Et comme j’aime bien réitérer ce travail sur le dos chaque saison, c’est vrai qu’il est devenu une signature.
Et la dentelle de Calais, est-ce également une « matière signature » pour toi et pourquoi ?
Complètement ! D’abord parce que je suis d’origine Lilloise et que j’ai à cœur de mettre en avant le travail qui est fait dans ma région. Pour la dentelle c’est simple, tout se passe à Calais ! J’ai eu la chance de visiter des ateliers de fabrication petite fille, ça m’a laissé un souvenir marquant. Les denteliers ont un savoir-faire de dingue, un mode de travail manuel et familial qui me parle. C’est sympa de voir à quel point le secteur se renouvelle, se modernise, et d’accompagner cette évolution en travaillant avec eux. J’ai aussi une passion pour le vieux linge et la broderie, ainsi que pour les années 30 : le fait d’avoir accès aux archives de ces denteliers me permet d’alimenter sans cesse mes inspirations, et même parfois de donner l’impulsion d’une collection ! Donc oui, la dentelle de Calais joue un rôle primordial pour moi, en tant que matière mais pas seulement.
J’avais envie de dépoussiérer un peu le milieu lisse du mariage, de parler à d’autres mariées qu’à la fille de 25 ans sans enfants pour qui c’est le premier…
Tu introduis régulièrement des éléments qui cassent les codes traditionnels de la mariée dans tes collections : un pantalon, un turban, une combinaison, des baskets… Est-ce que c’est une envie perso, une demande des clientes ou les deux ?
Il s’agit d’abord d’une envie perso, mais qui a fait naître des envies dans l’esprit des clientes, et créé des demandes. J’avais envie de dépoussiérer un peu le milieu lisse du mariage, de parler à d’autres mariées qu’à la fille de 25 ans sans enfants pour qui c’est le premier… C’est aussi un défi que je me lance chaque saison, une façon pour moi de sortir de la routine « robe, voile, jupe, top ». Pour la combinaison par exemple, on m’avait prédit un flop, et pourtant elle continue à bien marcher. Parce que je crois qu’il n’y a pas un seul type de mariée, et qu’il ne faut pas en avoir une vision étriquée. À mon sens, c’est juste une histoire d’audace bien dosée, avec un accessoire bien pensé qui fait qu’on n’attirera pas que des mariées « classiques ».
Est-ce que tu as mis en pratique ce décalage pour ton propre mariage ? Et est-ce que tu as reporté ta robe ?
Pour le décalage, oui, puisque j’ai gardé pour mon mariage des éléments du quotidien, les bracelets et les bagues que je porte tous les jours.
En revanche, je n’ai pas remis ma robe, c’est l’extrême inverse, elle doit être encore sur la chaise où je l’ai laissée (sourire) ! Par contre, je porte régulièrement les tops de la collection avec un jean et des chaussures plates, donc ce n’est pas qu’un argument de vente, on peut VRAIMENT porter à nouveau les pièces.
Il faut être honnête : une robe longue dos nu va être compliquée à décaler, par contre un ensemble top et jupe peut facilement se dépareiller.
Justement, cette façon de « recycler » les robes, de les porter à nouveau, de les décaler avec une pièce plus casual dans la « vraie vie »… Est-ce une façon pour toi de défendre une vision plus moderne du mariage, moins statutaire et plus évolutive?`
Carrément ! Je trouve ça dommage de sacraliser à l’excès le moment en laissant sa robe au grenier. Après, il faut être honnête : une robe longue dos nu va être compliquée à décaler, par contre un ensemble top et jupe peut facilement se dépareiller. J’ai le souvenir d’une mariée qui a porté à nouveau sa jupe avec un t-shirt en coton gris rentré à l’avant et des spartiates, c’est super moderne et ça crée une nouvelle histoire pour sa tenue. Et bien sûr, j’adhère complètement à ça !
Dans quelle mesure tes robes sont-elles « sur-mesure » ? Et est-ce qu’elles le sont toutes ?
Toutes les robes ne sont pas sur-mesure, puisque la collection civile suit les tailles du prêt-à-porter classique. Dans nos points de vente, nous travaillons en demi-mesure, c’est à dire que nous proposons des modèles de la taille 34 à la taille 44 sur lesquels une couturière locale opère les retouches.
En revanche, toutes les robes confectionnées à l’atelier sont sur-mesure, avec un patronage unique aux mesures de chaque cliente.
Laure se lève, se saisit du patron d’une robe sur un portant, explique en détail… Si ce n’est pas de la passion, ça y ressemble fortement ! Et c’est là qu’on comprend pourquoi elle y arrive et pas d’autres … Le feu sacré, ce n’est pas que pour ses mariées !
Comment sélectionnes-tu les modèles qui figurent dans les « intemporels » ?
Ce sont des modèles qui ont bien marché et qui représentent pour moi la signature de chaque saison. Ils sont disponibles aussi en point de vente aux côtés de la collection actuelle, et permettent aux mariées de créer des combinaisons à la fois très personnelles et très actuelles. Une de mes amies a par exemple choisi une robe de la première collection en 2011 et un top de la dernière, le rendu était très cohérent et pas du tout daté de telle ou telle saison. Je n’aime pas suivre les tendances de toute façon…
Est-ce que tu valides chaque robe une fois finalisée? Si oui cela induit une vraie proximité avec les clientes mais aussi beaucoup de temps… Comment est-ce que tu le gères ?
Au début, je pouvais le faire, maintenant avec une moyenne de 10 rendez-vous par jour c’est devenu beaucoup plus compliqué… Cela dit, j’ai cette grande chance d’avoir mon bureau dans mes ateliers qui ne sont pas externalisés, c’est une rareté qui me permet d’être présente dès que c’est nécessaire. Dès qu’une association de pièces inédite s’opère en bas lors d’un essayage, les filles m’appellent et je descends jeter un œil… C’est une constante source de motivation et d’inspiration de voir les choses se construire devant soi.
On avait peu d’espoir au départ ; on nous disait que « les robes de mariée, c’est saisonnier, les retouches c’est super compliqué… ». Notre gros point fort a été de tout développer sur place directement avec notre atelier.
Ta boîte est « familiale » au premier sens du terme, puisque tu es associée à ton mari et à ta cousine. Comment cela s’est fait et est-ce que c’était une condition indispensable pour toi de t’entourer de très proches pour monter ton projet ?
La structure familiale n’était pas du tout un prérequis, j’avoue qu’au départ on me l’a plutôt fortement déconseillée (rire) ! Mais cela s’est fait par la force des choses, puisque j’ai créé la boîte avec Edouard, à l’époque mon copain et aujourd’hui mon mari, et que ma cousine Mathilde a été ma première cliente. J’ai travaillé seule un moment, puis Mathilde est venue me rejoindre, et enfin Edouard après 3 ans sans avoir quitté son autre job !
Ce qui a peut-être facilité les choses et levé les appréhensions, c’est qu’on avait peu d’espoir au départ ; on nous disait que « les robes de mariée, c’est saisonnier, les retouches c’est super compliqué… ». Notre gros point fort a été de tout développer sur place directement avec notre atelier. Et finalement, travailler en famille est aujourd’hui un atout énorme, puisque chacun sait fixer les limites, on n’en est que plus forts.
Nous avons de plus en plus de commandes, nous apprenons donc à découvrir la mariée Laure de Sagazan outre-Atlantique. Il est certain que si elle est plus sophistiquée que la française, je peine à croire que toutes ces filles croisées dans Soho, au look si naturel et simple, se transforment en meringues surchargées pour cette journée !
Tu as ouvert une boutique à New York l’année dernière, et cette année des points de vente à Miami et Vancouver, est-ce que cela nécessite de présenter ton travail différemment ou il suffit de laisser agir la mythique « French Touch » à l’international ?
On adapte assez peu nos modèles finalement, en revanche on apprend ! L’ouverture de 2 points de vente au Japon nous a poussés à créer la taille 34 par exemple. On peut faire ce type d’ajustement « technique » mais ensuite la collection est assez dense pour permettre à des mariées de toutes nationalités d’exprimer leur créativité, avec un choix d’emmanchures ou de col, une longueur…
Par contre, nous serons peut-être amenés à créer des modèles spéciaux pour le marché américain puisque nous avons ouvert un atelier de confection à New York en octobre dernier avec des filles de l’atelier parisien qui sont parties y travailler. Nous avons de plus en plus de commandes, nous apprenons donc à découvrir la mariée Laure de Sagazan outre-Atlantique. Il est certain que si elle est plus sophistiquée que la française, je peine à croire que toutes ces filles croisées dans Soho, au look si naturel et simple, se transforment en meringues surchargées pour cette journée ! J’ai donc hâte de voir comment elles s’approprient nos robes, elles qui ont l’habitude de pièces beaucoup plus volumineuses et apprêtées pour leur mariage.
Comment concilies-tu cette expansion internationale et le maintien d’une fabrication « made in France » artisanale et locale ?
Tout simplement en agrandissant l’atelier parisien en juin dernier, actuellement il compte 30 à 40 personnes à l’année. Les périodes de creux permettent de constituer du stock pour anticiper les demandes internationales. Il y a aussi l’atelier de NY sur lequel nous comptons beaucoup pour le développement aux Etats-Unis.
Sezane, Jacadi… Tu signes régulièrement des collaborations. Quelle sera celle de 2018 ?
Cette année, nous faisons équipe avec Gabrielle Paris, une jeune marque de linge de maison, avec laquelle nous avons développé une parure de linge de lit en lin inspirée du trousseau traditionnel de la mariée. Elle reprend les initiales des mariés ainsi que la date du mariage, c’est un joli cadeau qui dure dans le temps, idéal à offrir par les témoins !
Je voterais pour une discrétion d’ensemble fidèle à certaines traditions (ongles nude, cheveux remontés) parsemée de notes joliment désinvoltes comme une coiffure à l’effet « à peine fixée » (même si on a mis une heure à la faire en vrai!) .
Quelle routine beauté conseillerais-tu à une mariée pour le civil ?
Pour le civil, j’aime l’ambiance dans laquelle nous avons shooté la robe Feutry. Des cheveux lâchés, un make-up nude et un accessoire un peu décalé, comme du vernis à ongles rouge.
Et pour le jour J ?
Je recommanderais la simplicité. J’ai souvent été surprise de voir des mariées qui ne se ressemblaient pas ce jour-là, que ce soit au niveau du teint, trop poudré, ou avec un maquillage trop chargé… Je voterais pour une discrétion d’ensemble fidèle à certaines traditions (ongles nude, cheveux remontés) parsemée de notes joliment désinvoltes comme une coiffure à l’effet « à peine fixée » (même si on a mis une heure à la faire en vrai!) . Et en touche finale, une peau bien gommée et hydratée, puisque la mariée est étreinte et embrassée toute la journée !
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