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Lauren Bastide, « Je voulais créer un espace médiatique réservé aux femmes »

Le podcast a le vent en poupe ! Mais avant de devenir le nouveau format médiatique tendance, une pionnière, Lauren Bastide, décide de créer La Poudre en décembre 2016 : un podcast où elle reçoit dans une chambre d’hôtel une femme inspirante, artiste, activiste, politique pour une conversation intime et profonde. Julie Gayet, Leïla Slimani, Sophie Fontanel, Pénélope Bagieu, Juliette Armanet… Toutes se confient à son micro pour parler de leur histoire. Jusqu’où ira l’inarrêtable Lauren ? On lui a posé la question.

Tu es journaliste de formation avec un parcours déjà extrêmement riche : presse écrite, web, télé, radio… Formidable touche-à-tout ! Serais-tu par hasard hyperactive ?

Ahahah ! Oui, je suis démasquée. Mon hyperactivité est incontrôlable et m’épuise parfois. Par exemple, quand j’ai lancé La Poudre et Nouvelles Ecoutes, en 2016, je me suis lancée en même temps dans un Master en études de Genre à Paris 8. Avec le recu,l je me demande comment j’ai réussi à tout mener de front. Mais ce qui m’anime, c’est aussi une grande curiosité, un appétit insatiable d’expériences et de savoirs, qui font que la vie vaut la peine d’être vécue.

En 2016, tu créées Nouvelles Ecoutes remettant au goût du jour le podcast. Pourquoi t’être tournée à ce moment précis vers ce format ?

Mon associé et ami Julien Neuville et moi, on écoutait alors tous les deux plein de podcasts américains. On trouvait beaucoup de plaisir à ce format, en tant que journalistes mais aussi en tant que consommateurs d’informations et de divertissement. A l’époque, il n’existait que très peu de podcasts natifs français, on a été assez fous pour vouloir faire partie des pionniers en France ! Cela correspondait à un moment où ma réflexion sur la place des femmes dans l’espace public commençait à mûrir. Je voulais créer un espace médiatique exclusivement réservé aux femmes. Le podcast m’a semblé le format idéal. C’est comme ça que La Poudre est née.

J’avais envoyé un mail à Rebecca, qui est une vieille amie, je la connais depuis plus de 15 ans, pour lui proposer d’enregistrer le pilote de mon podcast avec moi.

Tu lances le programme LA POUDRE où tu reçois des femmes qui te parlent de leur parcours, de leur enfance et de féminisme. Raconte-nous ton tout premier podcast avec Rebecca Zlotowski…

L’enregistrement a eu lieu en avril 2016. On n’avait à l’époque qu’un seul micro USB branché à un ordinateur portable, la qualité sonore laisse vraiment à désirer quand je le réécoute aujourd’hui ! J’avais envoyé un mail à Rebecca, qui est une vieille amie, je la connais depuis plus de 15 ans, pour lui proposer d’enregistrer le pilote de mon podcast avec moi. Je l’admirais énormément, j’avais plein de questions à lui poser sur son travail, et en même temps je la connaissais suffisamment bien pour ne pas craindre le problème technique ou la crise de panique en sa présence ! On avait demandé à l’hôtel Providence de nous prêter une chambre (à l’origine, c’était simplement parce qu’on avait aucun budget pour un studio!) et le jour J, je me suis réveillée… avec une angine ! Typique. J’avais perdu la voix. Heureusement, l’enregistrement s’est très bien passé, Rebecca a aimé mes questions et m’a donné confiance : je tenais mon concept, je pouvais me lancer. Je lui ai été si reconnaissante que je lui ai fait envoyer un énorme bouquet de fleurs pour la remercier.

Je n’oublierai jamais ma rencontre avec Latifa Ibn Ziaten, j’ai passé toute l’interview à sentir les larmes couler sur mes joues, sans que cela s’entende au micro.

Les femmes se confient à ton micro. Un podcast t’a-t-il particulièrement marqué ?

Je n’oublierai jamais ma rencontre avec Latifa Ibn Ziaten, j’ai passé toute l’interview à sentir les larmes couler sur mes joues, sans que cela s’entende au micro. Je suis aussi très fière d’avoir reçu Salcuta Filan, femme rom et héroïne du documentaire « 8 Avenue Lénine ». Et j’ai un faible pour les écrivaines. Léonora Miano, Chloé Delaume et plus récemment Lolita Pille : à chaque fois je ressors avec de nouvelles idées, de nouvelles visions du monde, quelle chance j’ai !

Je continue d’espérer recevoir un jour Christiane Taubira, mais je crois que l’interview intime n’est pas son truc.

Tu accueilles de superbes personnalités dans ton studio. Quelles femmes rêverais-tu d’accueillir dans le futur ?

Je continue d’espérer recevoir un jour Christiane Taubira, mais je crois que l’interview intime n’est pas son truc. Je rêverais aussi de m’entretenir avec Annie Ernaux. Sinon à l’international Michelle Obama, Greta Thunberg, Malala Mustafarzai…

Il me semble absolument évident aujourd’hui que si le féminisme ne se fait le porte-voix que des femmes blanches privilégiées, ça n’est pas du féminisme.

Tu es connue et reconnue pour ton engagement féministe fort. On t’associe la plupart du temps à un féminisme intersectionnel. Peux-tu nous expliquer de quelle vision il s’agit ?

C’est l’idée très simple que le féminisme doit tenir compte des vécus de toutes les femmes, y compris celles qui se trouvent à l’intersection de plusieurs discriminations, c’est-à-dire qui subissent le sexisme mais aussi le racisme, le validisme et/ou l’homophobie. C’est une notion qui a été conceptualisée par une juriste américaine, Kimberlé Crenshaw, à l’origine pour parler des violences spécifiques subies par les femmes noires. Il me semble absolument évident aujourd’hui que si le féminisme ne se fait le porte-voix que des femmes blanches privilégiées, ça n’est pas du féminisme.

Quelles sont les auteur(e)s et les courants de pensée qui nourrissent aujourd’hui ta réflexion sur le féminisme ?

Je suis tombée dans Maggie Nelson, l’autrice américaine des Argonautes. Je la considère comme « Dieue » sur Terre. Je me nourris aussi beaucoup en ce moment de la réflexion de Paul B. Preciado.

Quel est le livre que tu conseillerais à toute femme (et tout homme ?) de lire ?

Un lieu à soi de Virginia Woolf, bien sûr. Et puis La pensée Straight de Monique Wittig.

Tu es porte-parole de l’association Prenons la Une qui lutte contre le sexisme dans les médias. As-tu été toi-même victime de ce genre de comportement ?

Prenons la Une, qui réfléchit à la place des femmes aussi bien dans les rédactions que dans les pages des médias, résume parfaitement tout ce pour quoi je me bats. Je suis très fière d’en faire partie. Nous allons bientôt transmettre au gouvernement les doléances qui sont sorties de nos Etats Généraux des Femmes Journalistes d’avril dernier. Et nous allons aider à la mise en place de module de sensibilisation aux discriminations de genre dans les écoles.

Un jour, je l’espère, je pourrai me retirer dans ma chambre à moi et pondre un vrai livre qui fera Boum.

Tu as sorti un livre avec Jeanne Damas intitulé A Paris qui est une déclaration d’amour à la capitale, est-ce que cela t’a donné envie d’écrire d’autres ouvrages sur des thèmes plus proches encore de tes engagements au quotidien ?

Je me suis beaucoup amusée à faire ce livre avec Jeanne et j’en suis fière car nous avons pris soin de représenter des femmes de tous milieux et de tous âges, pour casser l’image stéréotypée de la Parisienne, j’y ai même glissé quelques messages et références féministes 😉 Oui, bien sûr, j’adorerais pouvoir écrire un livre plus politique, proche de mes engagements actuels. J’ai eu plusieurs projets ces deux dernières années, mais les éditeurs s’arrachent les cheveux avec moi : j’ai tellement à faire entre La Poudre, mes conférences, Nouvelles Ecoutes et mes engagements militants, que je ne trouve jamais le temps de coucher une seule ligne sur le papier. Le prix de mon hyperactivité ! Mais un jour, je l’espère, je pourrai me retirer dans ma chambre à moi et pondre un vrai livre qui fera Boum.

Pour écouter des épisodes de La Poudre, c’est ici !

Crédit photo couverture : Patrice Normand/LEEXTRA

 

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[…] femmes dans les espaces d’expression et de décision de la société, la journaliste et activiste Lauren Bastide livre une réflexion exhaustive, excellemment documentée et puissamment engagée. A lire […]

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[…] à priori, puisque grâce à quelques influenceuses bien intentionnées (merci Lauren Bastide que nous avions rencontrée, à la gynécologue @lauraberlingo qui lui a répondu et à la […]